COHABITERONS NOUS LEGALEMENT?

Banc Public n° 98 , Avril 2001 , Catherine VAN NYPELSEER



La majorité actuelle veut modifier certains aspects de la législation concernant la vie en couple, dans le sens d'une adaptation à l'évolution des moeurs:
- racourcissement du délai du divorce pour séparation de fait de cinq à deux ans;
- proposition de loi étendant les effets de la "cohabitation légale", dont le gouvernement actuel avait par ailleurs décidé de l'entrée en vigueur au 1er janvier 2000;
- discussions au sein du gouvernement sur l'opportunité de permettre le mariage entre personnes de même sexe (homosexuels).

 

Il s'agit de favoriser des formes de vie en commun, ressenties comme épanouissantes pour les personnes et utiles à la société, en tentant de supprimer des obstacles qui dissuadent les individus ou les couples à s'y engager:

Une des raisons pour lesquelles de nombreux cohabitants qui pourraient se marier ne le font pas, est l'énorme frein mis par la législation du mariage à leur liberté de rompre. Même le divorce par consentement mutuel nécessite une procédure judiciaire, ce qui implique du temps et de l'argent, ainsi qu'un droit de regard de tiers (juges, procureurs) plus ou moins bien inspirés sur leur vie privée, à une époque dont l'idéal est que les couples se forment et se maintiennent par amour, et non sous l'effet de la contrainte sociale.

Mais suite au développement depuis 1968 de cette forme de vie en couple, on a pu observer les problèmes parfois dramatiques qu'elle peut poser du point de vue matériel:
- en cas de décès d'un des "concubins", le survivant est considéré comme un tiers et ne bénéficie pas d'une pension de survie, au contraire du veuf ou de la veuve; de plus, s'il hérite par exemple de sa part dans le logement "familial" (ce qui implique un testament en sa faveur, sinon il n'a droit à rien), il devra payer au fisc des droits de succession pouvant s'élever à 80% de la valeur estimée de l'héritage, alors qu'entre époux les droits sont les mêmes qu'en ligne directe, soit 27% au maximum, sans parler des situations de concours avec des héritiers réservataires, qui entraînent un autre mécanisme de réduction, alors que le conjoint survivant bénéficie au minimum de l'usufruit de toute la succession.
- en cas de rupture le concubin qui avait délaissé son parcours professionnel au profit de l'éducation des enfants et la tenue du ménage (en pratique presque toujours la "concubine") peut se retrouver sans ressources, sans pouvoir exiger une pension alimentaire, au contraire des dispositions concernant les personnes mariées ou divorcées.

La loi du 23 novembre 1998 "instaurant la cohabitation légale" est une tentative de réponse à cette problématique, ainsi qu'une première proposition de statut de couple accessible aux homosexuels. Pour l'instant, il s'agit comme on le verra ci-dessous, d'un "monstre juridique" ; à la décharge de ses auteurs, il faut reconnaître qu'il n'est pas facile d'accorder des effets contraignants à une nouvelle institution destinée notamment à ceux qui n'ont pas voulu du mariage à cause de la lourdeur judiciaire de cette institution en cas de rupture.

La cohabitation légale

Actuellement, la loi applique aux cohabitants qui ont fait une "déclaration de cohabitation légale" à l'officier de l'Etat civil de la commune où ils sont domiciliés certains mécanismes du Code civil réservés antérieurement aux époux:
- protection du logement familial
Comme un époux, un "cohabitant légal" ne peut disposer du logement familial sans l'accord de son cohabitant légal, c'est-à-dire que celui-ci peut obtenir l'annulation d'un acte de disposition (par exemple la vente) de l'immeuble où ils cohabitent, même si l'autre cohabitant en est le seul propriétaire, s'il n'a pas donné son accord à cet acte; s'ils sont locataires, le congé n'est valable que s'il est donné par les deux cohabitants, même si le bail n'avait été conclu que par l'un d'eux.
- contribution aux charges du ménage
Elle se répartit entre les cohabitants légaux comme entre les époux, en proportion de leurs facultés, alors que les cohabitants ordinaires (ceux qui n'ont pas fait de déclaration de cohabitation légale) y contribuent par moitié chacun.
- solidarité pour les dettes
Les dettes contractées pour les besoins de la vie commune ou pour l'éducation des enfants obligent solidairement les deux cohabitants légaux, ce qui signifie que les créanciers peuvent réclamer l'entièreté de leur dette à chaque cohabitant légal.
- intervention du juge de paix en cas de rupture
Comme pour les époux, le juge de paix est compétent pour l'ensemble du contentieux en cas de rupture ou "d'entente sérieusement perturbée". Il peut notamment ordonner des mesures relatives à l'occupation du logement commun, au lieu de résidence des enfants, à une pension alimentaire pour ceux-ci. Par contre, il ne peut ordonner de pension alimentaire pour l' (ex) cohabitant légal sur base de cette loi puisqu'elle ne prévoit pas de devoir de secours entre cohabitants légaux. La centralisation du contentieux de la rupture auprès du juge de paix est un élément positif par rapport à la situation des cohabitants ordinaires dont le sort des enfants est de la compétence du tribunal de la jeunesse.

En plus de ces effets automatiques, les cohabitants légaux ont la possibilité de conclure des conventions par acte notarié auxquelles il sera fait référence dans le registre de la population. Ces conventions permettent d'organiser les règles patrimoniales de la cohabitation légale, d'une manière qui présente une certaine analogie avec le contrat de mariage.

La cohabitation légale prend fin automatiquement en cas de décès ou de mariage d'un des cohabitants légaux, ainsi que par déclaration conjointe ou unilatérale à l'officier de l'état civil. Les conventions mentionnées ci-dessus ne peuvent jamais limiter la possibilité de rompre, ce que certains juristes appellent un droit de répudiation.1.

Il n'y a donc aucune modification pour les "cohabitants légaux" de la législation en matière de succession, ni en matière de droit à une pension alimentaire entre ex-cohabitants, soit les deux situations que l'on a mentionné ci-dessus comme pouvant conduire aux problèmes les plus sérieux, susceptibles de perturber gravement l'équilibre financier de la cellule familiale.

L'intérêt de la cohabitation légale est donc très limité, voire négatif dans la mesure où la loi instaure la solidarité pour les dettes du ménage, ce qui est favorable aux créanciers des cohabitants légaux.
Ce mode d'enregistrement présente évidemment un intérêt supplémentaire pour les couples homosexuels à qui il permet d'officialiser leur union, le mariage ne leur étant (actuellement) pas accessible.
Mais nous avions annoncé un monstre juridique. Les dispositions résumées ci-dessus aboutissent à un régime très limité mais pas absurde dans la mesure où il est calqué sur des dispositions éprouvées du droit matrimonial.

Ce qui est original, et qui complique voire rend impossible toute modification du droit successoral en faveur des cohabitants légaux, c'est que, outre les couples hétérosexuels ne souhaitant pas se marier et les couples homosexuels ne le pouvant pas, la loi vise également toutes personnes souhaitant faire enregistrer leur cohabitation, comme des amis, ou des parents, qui forment un ménage: deux soeurs, une mère et sa fille, un grand-père et son petit fils... Accorder des avantages successoraux aux cohabitants légaux aboutirait donc à bouleverser les règles de dévolution successorale, par exemple à rompre l'égalité entre les enfants.

Cette ouverture à un troisième groupe de couples, aboutit donc en fait à rendre impossible une extension aisée du régime qui le rendrait attractif pour les couples hétérosexuels.
Notons que la cohabitation légale est toujours limitée à deux personnes: on ne peut conclure qu'une seule déclaration de cohabitation légale à la fois, et ce avec une seule personne (non mariée et non cohabitante légale). La situation de cohabitation d'une mère avec deux de ses enfants, de trois soeurs, de quatre amis ne peut être enregistrée dans le régime de la cohabitation légale, ce qui laisse à penser que l'intention de ceux qui ont inclus ce troisième groupe de cohabitants dans le champ d'aplication de la loi était peut-être -subtilement-, plutôt que de prendre en compte une hypothétique demande des parents ou amis cohabitants, d'éviter que l'on puisse construire une situation intéressante pour les deux autres groupes en dehors du mariage.

Les projets de modification

La première modification à apporter à la loi du 23 novembre 1998 est donc à notre avis de supprimer la possibilité de "cohabiter légalement" à des "couples" unis par les liens du sang, quitte à élaborer pour eux une législation spécifique, si le besoin s'en faisait sentir.

Ce n'est pas la voie suivie par les auteurs de la proposition actuelle2, qui ont plutôt tenté de limiter leur enthousiasme à vouloir étendre les effets de la cohabitation légale à ce qu'ils croient acceptable compte tenu du champ d'application actuel de la loi. Ils ont donc laissé de côté l'aspect successoral, mais prévoient notamment la possibilité d'une pension alimentaire en cas de rupture et un droit à une pension de survie en cas de décès. Ceci pourrait pourtant aboutir à des situations surréalistes bouleversant l'ensemble de notre système juridique lorsqu'il s'agit de cohabitants unis par des liens de filiation.


Les autres propositions 3



Deus autres propositions de loi (du 31 mai 2000 et du 8 juin 2000) visent respectivement soit à rendre le mariage accessible aux couples de même sexe, soit à créer une nouvelle institution dénommée le "partenariat enregistr" qui ne serait accessible qu'aux couples de même sexe.

Une autre piste

Indépendamment de toute la discussion concernant les institutions à modifier ou à créer, la Région flamande a, par décret du 1er décembre 2000, aligné le taux des droits de succession de tous les cohabitants sur celui des personnes mariées. Il ne s'agit donc pas seulement des "cohabitants légaux" , mais de toutes les personnes qui peuvent prouver avoir cohabité pendant au moins un an avec la personne décédée, jusqu'à son décès. Ce genre de mesure, dont l'intérêt pratique est énorme, est peut-être plus utile que la création d'institutions destinées à ceux qui n'en veulent pas. Concurrence fiscale oblige, il y aurait des propositions de décret ou d'ordonnance équivalentes du côté wallon (avec comme condition une cohabitation d'un an également) et bruxellois (sans condition de durée).


 


Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

(1) Notamment, Philippe DE PAGE, "La loi du 23 novembre 1998 instaurant la cohabitation légale ", Revue trimestrielle de droit familial 2/1999, P. 202

(2) Proposition de loi du 18 mai 2000 déposée par les députés Thierry Giet et Yvan Mayeur (PS), et cosignée par des parlementaires SP, AGALEV-ECOLO, VLD, et Charles Michel (PRL).

(3) Source: texte de la conférence du Centre de droit privé de l'ULB du 13 mars 2001:intitulée "Cohabitation légale: une nouvelle institution en mouvement", par Solange BRAT.

 

 
     

     
 
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