$startRow_categb = $pageNum_categb * $maxRows_categb; ?> NOUS AVONS LU POUR VOUS... DÉMONTER LES CLICHÉS SUR LA WALLONIE
NOUS AVONS LU POUR VOUS... DÉMONTER LES CLICHÉS SUR LA WALLONIE

Banc Public n° 301 , Janvier et( fé 2024 , Jean-Françopis Goossens



L´auteur

 

Thomas DERMINE, né en 1986, après des études secondaires en Flandre qui l´ont apparemment fort marqué, obtient des diplômes d´ingénieur de gestion à SOLVAY et en sciences politiques (ULB) ainsi qu´en politique publique à Harvard. 


 

Consultant chez MAC KINSEY de 2009 à 2016, il pilote en 2017 le plan CATCH (CATalysts for CHarleroi!), destiné à accélérer la reconversion de la région après la fermeture de CATERPILLAR, ce qui lui vaut, de manière sans doute prématurée, le prix du « Wallon de l'année » décerné par l´Institut Jules DESTRéE (2018) : en effet, si le plan permet de créer des emplois de haute technologie dans l´agglomération, il a échoué jusqu'à présent dans la réaffectation du site de CATERPILLAR, les projets successifs d´implantation d´une usine chinoise de voitures électriques (CHLOé)  et d´un parc d´attractions (LEGOLAND) ayant avorté,  et le ministre wallon BORSUS a jugé récemment qu'il serait plus sage d´envisager la division du terrain en plusieurs lots pour des projets moins ambitieux... Directeur de l´Institut Émile VANDERVELDE en novembre 2019, Th. DERMINE est depuis octobre 2020 secrétaire d´État fédéral à la Relance, aux Investissements stratégiques et à la Politique scientifique.

 

 L´objectif du livre

 L´auteur s´efforce de démonter les clichés négatifs répandus en Flandre sur la Wallonie et malheureusement de plus en plus intériorisés par les Wallons eux-mêmes. Il vise à convaincre tant les Wallons que les Flamands, puisque l´ouvrage est publié simultanément en néerlandais (Walen werken wel!, éd. Borgerhoff & Lambrigts). Il est préfacé par le politologue Dave SINARDET (Vrije Universiteit Brussel et UCLouvain Saint-Louis), qui regrette comme d´habitude l´absence d´un véritable espace public belge au sens de HABERMAS,"condition décisive de la légitimité démocratique des États" -situation inévitable dans un État binational qui n´a pas (plus?) de langue commune-, félicite l´auteur pour le caractère bien documenté et étayé de son livre et sa maitrise du néerlandais, qui n´a pas d´égale au sein du gouvernement fédéral parait-il, avant de souhaiter que soit réalisée une étude analogue  « des préjugés francophones sur la Flandre ». Dans son avant-propos, Th. DERMINE évoque quelques souvenirs plus ou moins traumatisants de ses relations avec les Flamands. Son livre est "un acte de résistance", il témoigne de sa fierté d´être wallon et de sa foi en l´avenir de la Wallonie. 

 

Six clichés 

 

1. Le  chapitre Ier, "L´écart économique entre la Flandre et la Wallonie a-t-il jamais cessé de se creuser?", est prétexte à une évocation cavalière de l´histoire de ce pays depuis CÉSAR (!), empreint des poncifs habituels sur la construction de la Belgique "ni plus ni moins artificielle que celle des autres nations" (il n´y a pas de nation belge) et la prétendue unité sociologique de son espace géographique. Il ressort la légende belgicaine sur la bataille des Éperons d´or (11 juillet 1302) : "c´est une armée d´artisans et de paysans flamands assistés de milices namuroises, brabançonnes, liégeoises et même zélandaises qui triompha face à la puissante armée française" (p.38). Il n´en est rien : le comte de Namur, fils aîné du comte de Flandre et lui-même ancien régent de Flandre, envoya "600 hommes en armures" au secours des Flamands, c´est-à-dire des chevaliers (et non des milices) du Rhin, de la Basse-Meuse, du Limbourg (ancien) et du Brabant commandés par des Allemands; si Wallons il y eut, c´était dans le camp français (1).

Plus sérieusement, l´auteur montre que si la révolution industrielle fondée sur le charbon et l´acier assuré la prospérité wallonne jusqu´en 1950, la Flandre a entamé son rattrapage économique dès l´entre-deux-guerres; "les PIB par habitant des deux régions se croisent en 1965 et ne se rencontreront plus" (p.65). Néanmoins, depuis 2000, l´écart de PIB par tête, certes considérable (26 à 30%), se stabilise.

 

2. "La Wallonie est-elle responsable de son déclin économique et la Flandre mérite-t-il ses succès?" L´auteur répond que "ni le déclin de la Wallonie ni l´essor de la Flandre ne sont réellement des 'exceptions´" en les comparant à des régions 

 

 

 

 

européennes de profil similaire et que "l´essentiel du déclin de l´économie wallonne et de l´essor économique flamand ont pris place alors que la Belgique était un État unitaire" (2). La régionalisation de l´économie est donc arrivée trop tard pour la Wallonie. Quoi que l´on pense de la qualité de la gestion régionale, un rattrapage calculé en termes de PIB par tête supposerait un taux de croissance supérieur de 50% à celui de la Flandre pendant 40 ans, hypothèse qui n´est ni réaliste ni même désirable "face à l´impératif de la transition écologique". Nous pensons que la Wallonie doit se fixer ses propres objectifs,  sans se référer constamment à une Flandre menacée par une crise écologique grave, et qu´il faut peut-être aussi viser d´autres indicateurs de développement que le PIB.

3. "La Wallonie est-elle un désert économique au regard de la Flandre?" Ici, l´auteur souligne l´importance des disparités intrarégionales, en citant la prospérité du Brabant wallon, et sectorielles, en vantant les "pôles de compétitivité", mais "les créations d´emploi dans les nouveaux secteurs ont essentiellement compensé les dernières pertes d´emploi dans les secteurs traditionnels". La proximité de Bruxelles est évidemment une des causes de la situation favorable du Brabant wallon, mais Th. DERMINE n´en tire aucune leçon politique sur le développement des synergies entre  Bruxelles et la Wallonie au sein de l´État fédéré des Francophones qui doit dépasser la simple solidarité culturelle,  ni de l´affirmation d´un axe économique nord-sud de Bruxelles à Arlon qui croise l´ancien sillon industriel est-ouest.

 

4. "Le travailleur wallon est-il plus paresseux que le travailleur flamand?" L´auteur estime que le caractère présumé industrieux d´une population est lié à l´état de prospérité économique, comme le montre la perception inverse que les Wallons avaient des Flamands au XIXe siècle. Il ne nie pas les problèmes : en particulier, la proportion élevée de chômeurs de longue durée, le niveau d´instruction et la discordance entre l´offre d´emplois qualifiés et des demandeurs qui ne le sont pas, le taux anormal d´incapacité de travail (14% de la population active en Wallonie, 9% en Flandre) corrélé à un état de santé moyen moins bon. Néanmoins, le taux d´emploi de la Flandre est gonflé par le vieillissement, qui réduit la population en âge de travailler, et par la proportion plus élevée du travail à temps partiel. 

Par contre, les Wallons sont plus nombreux à exercer un emploi à temps partiel plus par nécessité que par choix et parcourent en moyenne une plus grande distance pour se rendre au travail (plus de 50% s´ils vont à Bruxelles). Les trajets en train sont en outre plus longs : "comment expliquer que la durée pour rallier la capitale en train sont près du double depuis Charleroi que depuis Gand?", demande-t-il. Soufflons-lui la réponse : parce que la clé de répartition des investissements ferroviaires est fixée arbitrairement à 40% pour la Wallonie et 60% pour la Flandre, alors que la Wallonie a une superficie plus grande et un relief plus accidenté!

Une enquête de la KUL certes déjà ancienne ("Le Flamand est plus paresseux que le Wallon", De Standaard, 14 juin 2011) montrait que les Wallons avaient une éthique de travail plus forte que  les Flamands.

 

5. "Les divergences économiques entre la Wallonie et la Flandre sont-elles exceptionnelles?" Ici encore, la comparaison avec les États européens montrent des divergences maximales de PIB plus élevées entre les régions les plus pauvres et les plus riches qu´entre la Wallonie et la Flandre, même aux Pays-Bas; les divergences de taux de chômage sont légèrement inférieures dans les pays limitrophes, mais nettement supérieures en Italie et en Espagne. Ces divergences sont dramatisées en Belgique parce qu´elles affectent des régions voisines et de langue différente.

 

6. "La Wallonie vit-elle aux crochets de la Flandre?" En fait, la question ne devrait même pas être posée pour la sécurité sociale, qui organise la solidarité entre individus selon une logique d´assurance. Ensuite, Flandre et Wallonie bénéficient de transferts de revenu massifs en provenance de la Région bruxelloise, puisque les revenus du travail sont taxés sur le lieu de résidence des travailleurs (3). Budgétairement, la Flandre (6,2 milliards d´euros) mais aussi Bruxelles (900 millions) sont contributeurs nets, la Wallonie bénéficiaire nette (7,1 milliards); la Flandre est bénéficiaire nette en matière de pensions. Enfin, les transferts régionaux sont en diminution structurelle depuis 1995. Ici encore, les comparaisons internationales montrent que les transferts budgétaires entre régions sont faibles en Belgique.

 

Conclusion : comment relever la Wallonie 

 

L´auteur prévient d´emblée : "l´économie régionale est faite de cycles longs". Or,  la Région wallonne est lourdement endettée, de nouvelles réformes institutionnelles seraient inexorables et une convergence avec la Flandre apparait peu réaliste à court terme. Des territoires ont réussi leur reconversion, mais le succès est le fruit de politiques volontaristes. Les exemples cités ne sont pourtant pas des plus heureux : l´Irlande et le Grand-Duché, paradis fiscaux et financiers, au préjudice principalement de leurs partenaires européens! Par ailleurs, il est inexact d´affirmer que le Brabant wallon n´a "pas connu les affres de la désindustrialisation" : rappelons-nous FABELTA à Tubize, les Forges de Clabecq, HENRICOT à Court-Saint-Etienne, les papeteries de Genval et de La Hulpe, TUDOR à Wavre...

 

Th. DERMINE préconise six "axes de travail" qui misent sur les atouts actuels de la Wallonie et s´inscrivent dans le cadre de la transition vers une économie décarbonée.

 

1. La réindustrialisation est un impératif qui vaut pour toute l´Europe, en misant sur nos points forts et sur les secteurs liés à des enjeux de souveraineté.

2. Saisir les occasions offertes par la transition écologique : l´alimentation fournie par l´agriculture durable, plus intensive en main-d´oeuvre, qui favorise la qualité et les circuits courts; le tourisme de proximité dans des régions au climat tempéré; la construction, pour couvrir les besoins en isolation des bâtiments, en remplacement des systèmes de chauffage et en développement de nouvelles sources d´énergie.

 

3. Réconcilier l´aménagement du territoire et le développement économique par le souci de la qualité de vie, facteur d´attraction, par le renforcement des villes à vocation de métropole, par la lutte contre l´étalement urbain.

 

4. Augmenter le taux d´emploi en élevant le niveau de qualification, en améliorant la connaissance des langues, en orientant les jeunes vers les carrières scientifiques et technologiques et les métiers en pénurie, et en réinsérant les chômeurs : l´auteur ne croit pas à l´efficacité des mesures coercitives visant à diminuer leurs allocations, mais propose de s´inspirer de l´expérience des "territoires zéro chômeur de longue durée" en France.

 

5. Sceller un nouveau partenariat économique avec la Flandre, qui tire parti de son manque de main-d'œuvre et de terrains industriels.

 

6. Développer un sens de la responsabilité et donc de l´identité wallonne, qui passe par une réappropriation de la culture.

 

Ces deux derniers points sont sujets à caution : l´auteur y affirme sans complexe ses tendances à la fois néobelgicaines et régionalistes. "Confiant dans l´avenir de son pays", à  la veille d´élections qui pourraient donner aux nationalistes flamands (N-VA + Vlaams Belang) la majorité absolue en sièges au Parlement flamand et dans le groupe linguistique  néerlandais à la Chambre -où est le fameux "plan B"?- et alors qu´il reconnait lui-même que l´identité belge fait problème au Nord, Th.DERMINE ne semble pas envisager que la Wallonie se doit d´abord à elle-même au lieu de toujours se définir par rapport à la Flandre, qu´il lui faut s´ouvrir au monde et au Sud au lieu de se confiner dans l´entre-soi belgo-belge. Il ne suffira pas d´apprendre le néerlandais et de dérouler le tapis rouge devant les investisseurs flamands pour résoudre ses problèmes.

Par  ailleurs, l´affirmation de l´identité wallonne, qui consiste d´abord dans son appartenance à la culture française totalement absente de l´horizon de DERMINE, conduit à une dérive dangereuse :

"(...) il est impératif de construire un récit alternatif et mobilisateur, un récit à la base d´un sentiment d´appartenance renouvelé à la Wallonie. (...) Un levier essentiel pour... faire vivre ce récit est celui de la culture... Des questions sur le système institutionnel belge s´invitent ici de manière dérobée (!) dans notre raisonnement puisque les matières culturelles sont gérées aujourd'hui par la Fédération Wallonie-Bruxelles. À l´heure où les enjeux régionaux sont fondamentalement différents (!) -où Bruxelles doit s´affirmer sur la scène internationale comme une capitale multilingue (!) parmi les plus cosmopolites au monde et où la Wallonie doit retrouver un sens et une direction collective-, il serait légitime (!) de se la poser, non pas sur la base d´un régionalisme romantique et defraichi, mais sur celle d´un pragmatisme assumé pour le développement socio-économique de nos régions respectives". Cette envolée champignacienne ne dissimulera ni le matérialisme vulgaire de l´ingénieur commercial ni la tentation du lâchage de Bruxelles lors de négociations institutionnelles "inexorables" ... contre des sous?

 

Thomas DERMINE finit en citant François VAN BELLE, fils d´immigrés flamands et militant wallon, à l´appui de son étrange conception de l´identité  : il se garde bien de nous dire -mais le sait-il  seulement?- que le député socialiste liégeois, qui fut aussi président de Wallonie libre, défendit la motion en faveur de l´indépendance de la Wallonie associée à la France devant le Congrès national wallon d´octobre 1945.


 

 

Jean-Françopis Goossens

     
 

Biblio, sources...

Thomas DERMINE, "Wallonie-Flandre. Par-delà les clichés ", Kennes, 2023, 240 pp., 24,90 EUR.

(1) Maurice BOLOGNE, Notre passé wallon, 2e édition, Institut Jules DESTREE,  1978, p.46.

 

(2) Voir Michel QUEVIT, Les causes du déclin wallonL´influence du pouvoir politique et des groupes financiers dans le développement régional, Éditions Vie ouvrière, 1978, ouvrage de référence en la matière qui n´est pas cité !

 

(3) Voir aussi l´éditorial de Charles-Étienne LAGASSE "Bruxelles, pauvre petite région riche", 4Millions7, décembre 2023.


 
     

     
   
   


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