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Meurtres étranges
Banc Public n° 153 , Octobre 2006 , Frank FURET
Les organisations de défense des droits de l'homme irakiennes ont découvert des informations de la police qui prouvent que plus de mille universitaires et scientifiques irakiens ont été assassinés depuis le début de l'invasion américaine. Selon l'Université des Nations Unies, 84% des institutions irakiennes de l'enseignement supérieur ont été incendiées, pillées ou détruites. Le système éducatif irakien était pourtant parmi les meilleurs de la région; l'instruction de sa population était une des ressources les plus importantes du pays. Cette situation est le miroir de l'occupation dans son ensemble: une catastrophe aux proportions impressionnantes qui se déroule dans un climat de négligence criminelle. Le gouvernement américain a lui-même admis l'assassinat de «plusieurs centaines» de professeurs universitaires. Mais la destruction systématique des universités en Irak est un aspect fort bizarrement ignoré par la presse occidentale .
La vague d'assassinats aurait débuté peu de temps après que les forces d'occupation américaines aient licencié près de 15500 chercheurs, scientifiques, professeurs et enseignants en raison d'un prétendu lien avec le parti Baath. Le personnel universitaire craint qu'une campagne pour priver l'Irak de ses enseignants universitaires ne soit en cours, campagne qui complèterait la destruction culturelle du pays, qui a commencé quand l'armée américaine est entrée à Bagdad.
Les tentatives d’assassinat continuent. Des menaces répétées sur la vie sont faites pour forcer des personnes à quitter l’Irak. La dernière semaine d’avril 2006, les médecins de Mossoul ont fait l'objet d une campagne de menaces pour les pousser à quitter l’Irak. Les assassinats, les enlèvements et les menaces sur la vie, pour contraindre les universitaires et les médecins à quitter l’Irak, ne semblent suivre aucune logique religieuse ou ethnique. Les meurtres impliquent les universités aussi bien que d’autres instituts académiques, des professeurs de tous âges, spécialisations et convictions politiques ou religieuses. Les assassins sont des professionnels, et personne n'a jusqu’à présent jamais entendu qu’un assassin ait été arrêté. Les meurtres ont lieu partout : sur la route, au travail, et aussi au domicile. Personne ne les a revendiqués et les raisons n’en ont pas été éclaircies. Les meurtres sont accomplis par tir, certains sont tués avec 3, d’autres avec 30 balles. Le nombre de ces tués, dans la seule université de Bagdad, a dépassé 80 selon les rapports officiels. Les gens craignent de demander des détails sur ces crimes. Beaucoup de professeurs et docteurs célèbres ont quitté l’Irak pour sauver leurs vies, les messages de menace de mort étant devenus quelque chose de très habituel...
Soupçons
Pour certains, une part des tueries seraient apparemment menées par la police irakienne, d’autres par les Brigades Badr. Mais les assassinats ont aussi lieu dans le nord du pays, qui est contrôlé par les milices kurdes Peshmerga. Or ces milices ont été financées et entraînées par les forces d’occupation. Le Pentagone a dépensé 3 milliards de dollars, des 87 milliards du Budget 2004, pour créer des milices et des escadrons de mort. Et d’aucuns de rappeler que John Negroponte a appris son travail au Salvador avant d’être nommé ambassadeur en Irak où il aurait transféré ses méthodes de liquidations systématiques, employées dans les sales guerres en Amériques centrale et latine au cours des années 70 et 80, à l’Irak. De nombreux mercenaires d’Amérique latine ayant appartenus aux escadrons de mort au Chili, Nicaragua, Salvador etc. auraient été recrutés par des compagnies privées et opèreraient maintenant à l’intérieur de l’Irak. Des organisations comme les Brigades Badr, la brigade « Wolf », Peshmerga et mercenaires étrangers ont remplacé l’armée régulière irakienne démantelée et peuvent être tenues pour responsables de beaucoup des tueries extralégales qui ont lieu. Ils ont fait leur apparition sur la scène irakienne derrière les tanks US. Ces milices opèrent aussi auprès des forces US contre la résistance irakienne. Mais elles ne seraient pas les seules impliquées dans les tueries d’universitaires d’Irak.
Info ? Intox?
Osama Abed Al-Majeed, le président du Département Recherche et Développement du ministère de l'enseignement supérieur, accuse le Mossad, les services secrets israéliens, d'être coupable de cette violence sélective. Un rapport du Centre d'informations palestinien publié en juin 2005 déclarait également le Mossad responsable. Un rapport compilé par le département d’Etat américain et destiné au président américain, signalerait que les agents israéliens et étrangers envoyés par le Mossad, en coopération avec les Etats-Unis, en Irak, ont tué au moins 350 scientifiques irakiens et plus de 200 personnalités académiques et de professeurs d’université. Les agents de Mossad auraient, selon ce rapport, opéré en Irak dans le but de liquider les scientifiques irakiens (spécialistes du nucléaire et de la biologie) et d éminents professeurs d’université après que les États-Unis aient échoué à les persuader de travailler pour eux. Les services de sécurité américains auraient fourni à Israël des biographies complètes des scientifiques et des universitaires irakiens pour faciliter leur élimination. Le rapport indique aussi que la campagne du Mossad, visant les scientifiques irakiens, est toujours en cours.
Opinions
Toutes les organisations et individus qui sont impliqués dans la planification et l’exécution de ces meurtres, ne semblent pas connus, mais il semble y avoir un modèle de liquidation systématique de la classe moyenne irakienne qui refuse de coopérer avec l’occupation. Le tir sur de pacifiques universitaires irakiens est le fait de plusieurs forces différentes qui partagent un même intérêt, celui de démanteler davantage l’état irakien. Tout irakien qui s’oppose à l’occupation et à son gouvernement semble une cible possible. Pour certains, le gouvernement US est responsable de cet état de fait. Le Pentagone a dépensé 3 milliards de dollars pour créer des milices et escadrons de mort. Ce seraient ces gangsters qui exécuteraient une part des tueries extralégales. Personne n’a été arrêté pour ces crimes. Or, c’est à l’intérieur de la Zone verte que se trouve l’ ambassade US, incluant de nombreux officiers des Renseignements. Ils auraient dû été capables d’enquêter et de résoudre un minimum de ces crimes et d’arrêter des meurtriers. Pour qui assemble toutes les pièces déjà disponibles du puzzle, il semble logique de conclure que l’occupation US porte une lourde responsabilité, en tant que puissance occupante, de cette situation. Le professeur Dr. Mohammed Munim al-Izmerly, un professeur irakien de chimie, aurait d’ailleurs été torturé et tué par l’équipe d’interrogation Américaine, et serait mort sous garde américaine d’un coup à l’arrière du crâne. La famille du Dr. Al-Izmeri à Londres a officiellement accusé le Pentagone de l’avoir tué au cours d’un interrogatoire basé sur de fausses allégations. L' accusation l’associant aux armes biologiques, était selon sa famille, pure propagande d’occupation ; il avait d’ailleurs été relâché après 3 ans de détention.
Protestations et réactions
Le problème des assassinats d’universitaires irakiens devient très urgent. Les tueries semblent être systématiques et très bien préparées. Le personnel universitaire irakien est désespéré. Ce sont les irakiens qui ont poussé le BRussells Tribunal à entamer une campagne à ce sujet. Le comité irakien pour les sciences et les intellectuels en Scandinavie a publié la déclaration suivante :"Le meurtre de masse, la tuerie de tous les scientifiques et intellectuels irakiens a son propre but : Il s’agit d’annihiler la richesse intellectuelle de l’Irak.. Le 18 janvier 2006 , une pétition rassemblait déjà les signatures de plus de 4 000 personnes. Parmi elles: Noam Chomsky (USA), Tony Benn (UK), l'écrivain et prix Nobel de littérature John M. Coetzee (Afrique du Sud), l'écrivain Eduardo Galeano (Uruguay), Michael Parenti (USA), Naomi Klein (Canada), Dario Fo (Italie), Jean Bricmont (Belgique) Les pétitionnaires exigent que l’UNESCO assure la défense des intellectuels et des professionnels en Irak et que l’Office du haut commissaire pour des droits de l’homme accomplisse son devoir pour protéger les vies et les droits de l’homme des médecins et des universitaires irakiens et de tous les civils irakiens. Ils demandent aussi de diffuser la problématique de cette campagne à la fédération internationale des universités ; ils invitent les médias du monde à comprendre que le massacre des universitaires et des professionnels de santé irakiens est un résultat de l’occupation. Ils veulent établir une campagne internationale de solidarité liant des universitaires irakiens en exil et en Irak aux universités dans le monde entier. Ils souhaitent également pousser les parlements nationaux et régionaux à débattre le problème de la destruction de la classe intellectuelle et professionnelle de l’Irak.
Frank FURET |
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