L'ISLAM ET SON EVOLUTION

Banc Public n° 236 , Mars 2015 , Catherine VAN NYPELSEER



Au cœur de l'actualité, nous sommes confrontés à une caricature de la religion islamique mise en scène par des jeunes gens qui agissent avec une extrême violence en se revendiquant de celle-ci.Il nous a paru intéressant, dans ce contexte chargé, de nous documenter à une autre source sur les concepts fondamentaux de cette religion et ses possibles interactions avec les sociétés occidentales contemporaines.

Le livre de Tariq Ramadan, "De l'islam et des musulmans", publié peu avant les massacres de Charlie Hebdo et de l'Hyper casher au début du mois de janvier 2015, nous en présente une vision différente, nettement plus civilisée (et conceptualisée).

 

La paix intérieure

 

Le terme "islam" vient de la racine arabe "salama" qui a deux significations:

- d'une part, l'acte de soumission, au sens "d'offrir son être, c'est-à-dire la reconnaissance par la conscience de l'homme d'un Etre au delà de tous les êtres, d'un créateur Un et Unique, auquel la conscience reconnait la préséance sur toutes choses" (p. 19).

- d'autre part, l'accession à la paix, au sens de se protéger de tout ce qui peut nous perturber "afin d'accéder à l'état de paix intérieure" (p. 20). C'est la reconnaissance de Dieu par l'homme, sa relation à la transcendance qui lui procure la paix intérieure.

 

Un seul Dieu

 

Dans la religion islamique, il n'y a qu'un seul Dieu. Contrairement à la religion catholique, la notion de Trinité est absente; rien ne ressemble à Dieu ou ne peut le représenter.

 

Dieu est irréductible à l'intelligence humaine. Il est parfait et "illimité dans sa perfection, ce qui le rend inaccessible à notre intelligence limitée". On ne peut "dire de Dieu que ce qu'il nous a dit de lui-même" (p. 23).

 

Conception de l'homme

 

Chaque être humain "dans l'intimité de son être et de son cœur possède un souffle originel qui le lie à la transcendance et à la recherche de la spiritualité" (p. 29). Chacun doit chercher "à cultiver cette graine et à la laisser s'épanouir, afin d'être en phase avec sa nature originelle de ‘témoin’ de la présence du divin" (p. 30). La foi est enrichie par la raison, et non pas, comme dans la conception de Camus, quelque chose qui intervient lorsque la raison s'arrête.

Le "jihad"

 

Ce terme est défini dans l'ouvrage de Tarik Ramadan d'une façon bien différente que dans l'actualité médiatique.

 

L'homme "possède une propension naturelle à oublier Dieu". Il a "un effort perpétuel à faire sur notre être pour passer de la négligence possible à la dignité du rappel, du souvenir". Le souvenir de Dieu "nécessite un travail intense de méditation intérieure, l'éducation spirituelle de l'être".

 

Cela implique, par exemple, "qu'au lieu de manger dans l'oubli, le musulman se rappellera Dieu en commençant par invoquer Son nom avant de manger et Le remerciera après le repas" (p. 41). Tout acte, "dès lors qu'il est réalisé avec le souvenir de Dieu, est considéré comme sacré" (p. 42). Les relations sexuelles ne sont pas un péché, sauf si on leur donne "une orientation strictement physique".

 

Le musulman doit mener un combat contre sa propre violence. L'auteur cite un exemple donné par le prophète Mahomet  lorsqu'il demanda à ses compagnons: "Qui est le plus fort parmi vous ?".

Entendant comme réponse: "C'est celui qui renverse son ennemi.", il corrigea en disant . "Non, l'homme le plus fort parmi vous est celui qui maîtrise sa colère" (p. 43).

 

Le premier sens du mot "jihad" est celui d'effort. Pour Tarik Ramadan, dans la tradition musulmane , jihad veut dire "savoir faire la part des choses entre ce qui est, ce qui doit être et ce que nous sommes" (p. 44). En arabe, "jihad an-nafs" "signifie l'effort que l'homme doit faire sur lui-même pour être digne de son humanité en luttant contre sa propre violence, sa colère, sa cupidité, son égoïsme" (p. 45).

 

Lors des Croisades, les musulmans employaient le terme "jihad" au sens de résistance contre l'agresseur. Le sens du mot a  glissé à cette période vers celui de guerre sainte.

 

La place des femmes

 

Le chapitre consacré au problème de la condition des femmes dans le monde musulman n'est pas du tout conventionnel. Tarik Ramadan critique durement - et "pas seulement parce que c'est devenu le sujet de prédilection de ceux qui veulent s'en prendre à l'islam" - la place actuelle des femmes dans les sociétés musulmanes. Pour lui, "il existe un fossé immense entre les orientations fondamentales des sources islamiques et ce que pressentent aujourd'hui les sociétés majoritairement musulmanes" (p. 81). La question des femmes est un révélateur des "sérieux manquements" développés dans "la représentation que les musulmans ont de leurs sources et d'eux-mêmes".

 

Selon lui, les musulmans connaissent très mal leurs propres textes fondamentaux, confondent la tradition avec les coutumes de leurs différents pays, négligent l'exemple du prophète...

 

Leur représentation de la femme et leur discours sont "plus 'antioccidentaux' en leur orientation que réellement islamiques en leur essence"; leur pensée "devient superficielle, dangereusement binaire, avec une logique du type 'Si l'Occident est si libre et si permissif,  alors plus d'islam c'est moins de libertés et plus d'interdits' " (p. 82). Ce type de pensée est pour lui "gravement simpliste".

 

Il note que "les discriminations sont légion et dans tous les domaines: éducation, mariage, famille, travail, etc.". Avant de réformer tout cela, il faut commencer par une première étape de "rétablissement de l'image de l'identité de la femme" (p. 84).

 

Il défend un projet de réforme radicale:

 

"Ce qu'il faut promouvoir aujourd'hui est une véritable mobilisation des hommes et des femmes, non pas les uns contre les autres, mais ensemble et au nom des principes fondamentaux de l'islam, et ce afin de lutter contre les discriminations entretenues, les coutumes faussement islamiques et les alibis culturels." "Il s'agit de (...) s'opposer aux discours réducteurs et refuser l'instrumentalisation de l'islam pour couvrir des discriminations manifestes" (p. 85).

 

Et la musique ?

 

La musique est-elle permise en islam?

 

Certains, s'appuyant sur certains versets ou sur les opinions de savants comme par exemple Ibn al-Qayyim al-Jawziyya, ou sur les avis juridiques de savants contemporains, ont conclu que la musique était illicite.

 

D'autres, se basant sur les mêmes textes interprétés différemment ou sur d'autres textes et les opinions d'autres savants, concluent que les expressions artistiques sont licites lorsqu'elles respectent certaines conditions:

 

- l'intention de l'œuvre artistique et son contenu doivent correspondre à l'éthique islamique;

- elle ne peut entraîner d'attitude qui y serait contraire.

 

L'évaluation de ces conditions appartient à l'artiste ou à l'amateur d'art lui-même, qui doit mesurer la place que prend cet art dans sa vie et s'assurer que sa pratique ne l'amène pas à "négliger ses obligations devant Dieu et devant les hommes" (p. 91).

S'adressant à ses coreligionnaires installés en Occident, il leur suggère de sélectionner les productions artistiques, en évitant celles jugées négatives, "sans morale ni pudeur, les rassemblements des soirées et concerts déshumanisés" (p. 94), de participer à la critique, ainsi que de "promouvoir une culture islamique occidentale" ?

 

Conclusion

 

Tariq Ramadan est un débatteur à la réputation relativement sulfureuse. Ce livre est le premier (et le seul) de cet auteur dont nous avons pris connaissance.

 

Nous y avons découvert une expression modérée, s'adressant principalement aux musulmans installés dans les pays européens; il les engage à s'intégrer dans les sociétés où ils se trouvent, en conservant les principes de leur religion, mais en remettant une série de préjugés en question, notamment en matière de droits des femmes: on a vu qu'il se montre extrêmement critique par rapport aux discriminations observées dans les sociétés islamiques.

 

Ce livre nous montre en tous cas, loin des certitudes agressives de certains criminels qui prétendent agir au nom de l'islam, qu'il existe un débat dans une société qui n'est pas monolithique, et que certains musulmans ont la volonté de faire évoluer leur participation à la société.

 

 

 


Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

De l'islam et des musulmans

Réflexions sur l'Homme, la réforme, la guerre et l'Occident

par Tariq Ramadan

Presses du Châtelet

Décembre 2014

217 pages - 20,15 Euros

 
     

     
   
   


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