Premier paradoxe
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Au cours de la dernière décennie, le législateur belge s'est penché sur la délinquance sexuelle envers les mineurs bien avant l'affaire Dutroux, mais à la suite :
-d'une part de la Convention internationale des Droits de l'enfant, ratifiée par 187 pays, dont le nôtre, le 15 avril 1989;
- d'autre part de plusieurs affaires de pédophilie bien moins médiatisées que celles survenues en 1986 et qui se déroulent, quant à elles au début des années nonante
En matière d'abus sexuels sur les mineurs et à l'exception de nos voisins français, la plupart des autres pays européens ont entrepris de réformer leurs lois dans un sens plus répressif seulement à partir de 1996. Le plus souvent, ces réformes furent introduites après une tendance à réduire le champ des infractions sexuelles et de leurs sanctions applicables. Ainsi en va-t-il en Suisse (1), en Allemagne (2), en Angleterre (3) ou encore en Autriche (4). On voit dans ces pays une sorte d'inflexion de la législation après 1996 avec référence expresse à l'Affaire, tandis que la Convention de 1989 avait plutôt incité à mettre l'accent sur les droits du mineur à user librement de son corps et de son esprit grâce à l'abandon de la notion culturelle de " bonnes mYurs " - qui compose par exemple la notion belge d' " attentat à la pudeur " - et à l'établissement de nouveaux droits pour les enfants d'un certain âge devant certaines juridictions. Cette tendance générale, alors, n'est d'ailleurs pas absente de la législation belge puisque le décret du 4 mars 1991 stipule le droit du mineur de 14 ans et plus de se faire entendre devant le tribunal de la jeunesse, tandis que l'article 56 bis de la loi fédérale donne bientôt ce même droit aux enfants d'au moins 12 ans en matière de divorce, d'adoption et d'autres procédures civiles (5).
Reste qu'en Belgique, la loi du 4 juillet 1989 étend la notion de viol à " tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit et par quelque moyen que ce soit commis sur une personne qui n'y consent pas ", et établit la " présomption irréfragable de viol " pour les mineurs de moins de 14 ans. En 1994 déjà , la campagne " Article 34 ", lancée par le délégué aux droits de l'enfant, souligne l'article du même nom de la Convention, spécifique à la protection des mineurs contre les abus sexuels. Enfin, dès le 13 avril 1995, outre des dispositions concernant l'audition d'enfants dans les affaires de mYurs, la loi introduit l'interdiction faite aux délinquants sexuels d'exercer certaines fonctions les mettant en présence d'enfants, la surveillance de ces délinquants, l'obligation pour eux de suivre une thérapie après leur libération et reporte le délai de prescription de l'action publique à la majorité du mineur victime. Cette loi de 1995, complétée par le projet de 1999 (10) (voir infra), inspirera le législateur français en 1998 suite à l'affaire Dutroux (14). C'est qu'en France, de même, un projet de loi controversé, déposé par le garde des Sceaux fin 1993, prévoit la condamnation à perpétuité avec mesure de sûreté de trente ans pour les meurtriers d'enfants dont l'acte s'accompagne de violence sexuelle.
Bien que contesté par les psychiatres, ce projet mènera à la loi de février 1994 qui institue une peine incompressible pour les crimes sexuels contre un mineur de moins de 15 ans. Tout cela - en France comme en Belgique - avant l'affaire Dutroux.
L'effet médiatique de l'affaire se trouve donc ailleurs, du moins en Belgique: bien plutôt dans la multiplication des campagnes de dépistage des maltraitances et abus (6), à la faveur de la demande accrue d'une population frappée par les événements - demande qui, du reste sera alimentée par de telles campagnes. Ainsi, le taux d'expertises en matière d'inceste suite à un divorce était de 5% en 1990 pour grimper ensuite à 25% en 1996, 75% en 1997 puis se tasser à 50% en 1998 (7), Dans le cadre de la campagne " Article 34 ", une brochure initialement offerte à 18 000 exemplaires aux professionnels de l'éducation est réimprimée à 50.000 puis 100.000 exemplaires à partir de 1996 (voir infra). Outre les affiches " Ne reste pas seul ",et " Un enfant n'est pas un partenaire sexuel " dans le cadre de cette même campagne, le téléphone vert " Ecoute enfant ", nommé par d'aucuns " ligne corbeau " et ouverte par la gendarmerie sur demande du juge Connerotte, est approuvé par la Communauté française en février 1997. Plus officiellement encore, le décret du 12 mars 1998 permet l'installation d'équipes " SOS enfants " autres que celles qui sont subsidiées par l'ONE. Ce même décret institue une obligation de dénonciation pour les professionnels de l'éducation sans pour autant définir le terme de " maltraitance " - ce qui posera maints problèmes quant au respect de la vie privée et du secret professionnel (8). Enfin, après " Mimi, fleur de cactus ", le délégué aux droits de l'enfant lance le conte pour enfant " Zoé, petite princesse " , au contenu fort discutable, le 2 juin de la même année (voir infra). Ce processus ne semble pas avoir pris fin puisque, dans son " plan de sécurit", le ministre de la Justice actuel entend placer des boîtes aux lettres dans chaque école, CPAS, centre PMS, maison de justice, - afin d'encourager la dénonciation des abus et maltraitances sur les mineurs.
Sans même parler des appels à la délation, il apparaît que ces campagnes - et il s'agit ici des seules campagnes officielles - revêtent des caractères éminemment dangereux.
+ Quant aux plaintes accompagnant, précédant, ou suivant une séparation ou un divorce, le péril, bien qu'évident, mérite quelques exemples dans la mesure où la justice traite certains cas de façon parfois surprenante:
- Monsieur X (dont j'ai suivi l'affaire) a été condamné à ne plus voir sa fille de onze ans après que sa femme, issue d'une riche famille catholique, a produit des photographies prouvant qu'il se promenait nu dans la maisonnée.
- Le tribunal de Bruxelles du 1er décembre déchoit totalement Monsieur Y de son autorité parentale après que sa femme a présenté des photos le montrant nu, le sexe en érection, tenant son fils adoptif Z dans ses bras. " Attendu que, s'il est permis de croire que Z n'a pas effectivement fait l'objet d'attouchements de la part de son père adoptif, il n'en demeure pas moins que, nonobstant sa " passion de la paternit", ce dernier a mêlé son fils adoptif à ses jeux sexuels et ainsi placé celui-ci dans un contexte éducatif déstructurant de nature à atteindre gravement l'équilibre psychique de l'enfant ".
- En revanche, comme l'attestent les attendus de la Cour d'appel du 16 février 1998, le même tribunal n'a déchu que partiellement un père pour des faits de viol sur sa fille mineure qui, sans doute, n'était pas adoptive.
Notons qu'il s'agit ici de cas où il y a preuve et condamnation tandis que les diverses mesures administratives vexatoires suite à dénonciation laissent peu de traces dans la littérature, bien qu'elles influencent le destin de l'enfant et de sa famille en renforçant la position du mineur comme victime.
+ Remarquons également que ces campagnes - à l'instar de la législation en matière d'accompagnement thérapeutique - amalgament la plus fameuse figure de pédophile au moindre des délinquant sexuels, comme si tout délinquant sexuel était profondément pervers et , partant cryptopédophile. Elles attisent par là ce que certains parlementaires ont nommé une " atmosphère de puritanisme hystérique "(9).
+ Lisons plus avant la brochure précitée, publiée dans le cadre de la campagne " Article 34 ". Elle définit l'abus sexuel comme " la participation d'un enfant ou d'un adolescent mineur à des activités sexuelles qu'il n'est pas en mesure de comprendre, qui sont inappropriées à son âge et à son développement psycho-sexuel, qu'il subit sous la contrainte par la violence ou séduction ou qui transgressent les tabous sociaux concernant les rôles familiaux. ". Outre les amalgames déjà remarqués, cette définition issue de la " Société internationale pour la protection des enfants abusés et maltraités ", va à contre courant de toutes les lois inspirées par la Convention internationale de 1989:
- formellement d'abord parce que celles-ci ne connaissent pas la notion d' " adolescent mineur " dans la mesure où, depuis la Convention, tout individu de moins de 18 ans y est défini comme " enfant ";
- mais surtout : elle contredit la tendance générale déclarée de supprimer la référence aux " bonnes mYurs " et aux tabous culturels pour faire place à la notion nouvelle d' " intégrité sexuelle " de la personne de l'enfant - cette notion fût-elle encore, hélas, indéfinie (10).
Continuons la lecture de la brochure: " Certains acte ou attitudes, sans être des sévices, sont néanmoins abusifs. S'ils ne laissent aucune trace visible chez l'enfant, les séquelles psychologiques par contre sont réelles ", ce qui on le reconnaîtra, laisse place à toute interprétation-
Suit une liste d'abus cités en vrac: - Les conversations salaces en présence d'enfantsÂ
- Le visionnement d'images pornographiques avec l'enfant
- L'exhibitionnisme
- Le voyeurisme sur l'enfant
L'intrusion de la sexualité adulte imposée à l'enfant peut prendre différentes formes:
- L'attouchement
- La masturbation
- Les contacts génitaux
- Le viol avec pénétration orale, vaginale, anale,-
L'action préventive recommandée consiste entre autres chose à apprendre à l'enfant " à se méfier de l'adulte qui lui demande de garder des secrets " et de lui expliquer " que son corps lui appartient et que personne n'a le droit de le " toucher " si cela le perturbe. Et même plus radicalement, si le " toucher " qu'on lui propose " (on s'interroge ici sur l'emploi des guillemets ndlr) sort des conventions culturelles. "
On a vu que les premiers destinataires de la brochure furent les professionnels de l'éducation. Et que vit-on lors d'une journée portes-ouvertes dans un internat que la protection de la jeunesse, en son article 37, qualifie d' " établissement appropri"? Un éducateur expliquer aux parents de deux enfants impubères que l'un des quatre principes éducationnels affichés aux murs de la classe se formulait ainsi : " Pas de sexualit". Que ce soit sur base de la brochure ou des consignes d'un supérieur avisé, l'éducateur précisa que les enfants eux-mêmes ne pouvaient " se toucher mutuellement le corps " et qu'il était interdit de se masturber. Mais il ne sut que répondre lorsqu'on lui expliqua que par ces interdictions c'était lui, l'éducateur, qui possédait le sexe et le corps des enfants. Sa pratique avait eu quelque effet puisque, alors qu'elle avait quitté l'établissement, on dut expliquer à une fille de 5 ans que son sexe lui appartenait et qu'elle pouvait le regarder et le toucher sans se salir. J'espère que, ce faisant, on a pu lui éviter une immaturité affective et sexuelle future. Quant à la pratique de l'éducateur, est-ce là ce que le législateur nomme " formation du personnel de l'aide à la jeunesse " ? Ou est ce là ce que le délégué aux droits des enfants appelle " convention culturelle " ?
Car il s'agissait bien dans le chef de l'éducateur d'une interprétation logique de la brochure. N'y lit-on pas qu'attouchement et masturbation demeurent spécifiques d'une sexualité adulte et, partant, sont dangereux pour l'équilibre de l'enfant ? Et dans le cas où il s'agit là d'une " convention culturelle ", ne faudrait-il pas dès lors tolérer l'excision des jeunes filles sous d'autres cieux ? A dire vrai, ces conventions constituent le plus pervers des pouvoirs sur le corps d'autrui et la reproduction d'une névrose se développant en paranoïa infantilisante par la plus monstrueuse des bêtises. Aussi bien: qui est alors le délinquant sexuel ? Et qui est l'enfant ? Car peut-on encore aujourd'hui qualifier d'adulte une personne ignorante des pratiques onanistes des petites filles ? (11)
+ Quant au conte pour enfant " Zoé petite princesse ", voici son résumé officiel composant le dossier de presse du 2 juin 1988 : "Zoé est une petite fille très protégée par sa maman. Maman poule disent ses amis. Maman adoptive aussi. Zoé ne comprend pas pourquoi sa mère a si peur quand elle est seule dehors, quand elle a cinq minutes de retard- Son papa lui explique que c'est parce qu'elle l'aime très fort. Et tous les soirs, il lui raconte un conte : le petit chaperon rouge, le petit Poucet,- Un jour elle découvre, dans le grenier, des photos. Ses parents sont jeunes et tiennent un bébé dans les bras. Elle n'a pourtant pas de frère ! Alors Zoé mène son enquête. Quel mystère ses parents lui cachent-ils ? Elle apprendra enfin qu'avant elle, il y avait un autre enfant dans la maison, un petit garçon qui a été enlevé, puis tué. Et le mystère percé, l'enfant disparu retrouve sa place dans la famille et les parents peuvent enfin réapprendre à rire et à vivre- "
La présence de nombreux psychologues et pédopsychiatres dans le comité de rédaction ne m'enlèvera pas l'idée que ce conte manifeste un goût douteux, morbide, crée un sale petit secret familial monstrueux et est très certainement perturbant pour n'importe quel enfant.
Je ne suis pas le seul. Concernant toutes ces campagnes, le "manifeste pour reposer la question de la sexualité - Reconnaître et protéger la sexualité des enfants " présente de nombreux signataires. On y lit que " les mesures prises depuis deux ans (c-à -d 1996 ndlr) dans le domaine de la protection de l'enfance ont des conséquences néfastes pour le développement de la sexualité des enfants (-) elle représentent un péril majeur pour la protection démocratique de la vie privée de tous les citoyens (-) (Les enfants) y sont présentés comme des êtres asexués, confrontés à des pères ou à des éducateurs désormais suspects et qui n'osent plus exprimer leur tendresse ni par des mots ni par des contacts physiques. On ne leur présente qu'une sexualité morbide et menaçante à travers des programmes dits " de prévention " (-). Le retour à un esprit de contrôle, voire de répression sexuelle n'est pas seulement explicable par l'ignorance, le malaise et la peur que suscite encore la sexualité. Cristallisant autour de la figure démonisée du pédophile le malaise inhérent à la crise citoyenne, il s'inscrit dans un processus de privatisation de la violence sociale, qui néglige les causes collectives (économique, sociales, culturelles, éducatives) de la misère en général et de la misère sexuelle en particulier. (-). La stigmatisation des individus et des groupes violents puis, par extension, de ceux qui pourraient l'être ou le devenir. Les délinquants sexuels, les parents incestueux, violents ou négligents, les malades mentaux, les toxicomanes, les jeunes, les immigrés, les étrangers- voire les gendarmes. La stigmatisation, loin de restaurer le respect de la personne et la primauté du droit, permet la privatisation de la violence et l'installation d'un dispositif punitif développant l'offre de système d'aide (-)". Or ce que dénonce le manifeste ne se résume-il pas au vent venu d'ouest que l'on nomme par une traduction boiteuse de l'anglais : " police de proximit" ? (11 bis)
Par ailleurs, les signataires du manifeste (parmi lesquels on trouve de nombreux professeurs, professionnels de l'enfance, organisations et même un ancien ministre d'Etat), remarquent qu'"il a été démontré que ce n'est pas tant au niveau du dépistage que se situent les manquements qu'au niveau de l'action ". Et, en effet, tous les mineurs disparus en France en 1995 ont été retrouvés dans l'année (13). Alors pourquoi pas chez nous? Oublie t-on que rien ne prouve que Dutroux soit pédophile : kidnappeur et proxénète certainement mais pédophile, rien n'est moins sûr. Par contre il était indicateur rémunéré. Or, malgré une note du paquet mettant cette matière en tête des priorités suite aux dysfonctionnements bien connus (15), rien n'a été fait, que l'on sache, depuis 1996 pour réglementer cette pratique. Par contre, la première mesure de poids consistera à rendre plus difficiles et plus tardives les libérations conditionnelles, alors même que, aux dires des législateurs français (14), ce ne sont pas celles-ci, mais bien les grâces collectives, qui permettent la libération des criminels en matière de sexualité-
Deuxième paradoxe
Légalement, notre pays est l'un des - sinon le - plus sévères en Europe en matière de crime sexuel contre des mineurs. Pourtant, dans les faits, cela se remarque peu.
En Belgique, les abus sexuels contre les mineurs sont punis par les articles 372 et suivants du Code pénal qui constituent l'essentiel du chapitre " de l'attentat à la pudeur et du viol ". On a vu que la notion de " présomption irréfragable " posée par la loi de 1989, établit qu'en dessous de 14 ans, l'âge de la victime ne constitue pas une circonstance aggravante mais bien un élément constitutif du viol, même s'il y a consentement. Dans ce cas, la peine consiste en travaux forcés de 15 à 20 ans, de même que si le viol est prouvé sur un mineur de moins de 16 ans. Si l'enfant a moins de 10 ans, le viol est puni des travaux forcés à perpétuité. Dix à 15 ans pour le viol commis sur des mineurs de plus de 16 ans. Les autres agressions sexuelles sont visées par l'article 373 : "Attentat à la pudeur commis avec violence ou menace ". Si l'attentat a été commis sur un mineur de plus de 16 ans, la peine sera la réclusion. Sur un mineur de moins de 16 ans, la peine sera des travaux forcé de 10 à 15 ans. Dans le premier cas il s'agit d'un délit, dans le second d'un crime. Quant aux attentats à la pudeur commis sans violence ni menace, elles sont punies de la réclusion si le mineur a moins de 16 ans, et de 10 à 15 ans si l'attentat est commis par un ascendant de la victime, même sur un mineur de plus de 16 ans.
En Italie, depuis les années 70' la réforme des dispositions relatives aux infractions sexuelles à fait l'objet d'un vaste débat parlementaire. Ainsi la loi du 15 février 1996 abandonne la présomption irréfragable de viol. L'âge de la victime constitue donc seulement une circonstance aggravante. Il n'existe pas de disposition particulière concernant le viol des enfants. Tout viol est puni de réclusion entre 5 et 10 ans. Mais la peine est portée de 6 à 12 ans quand le crime est commis sur un mineur, de 7 à 14 ans lorsque la victime est âgée de moins de 10 ans. En Suisse la peine appliquée au viol sur mineur ne dépasse pas 10 ans de réclusion. En Angleterre, le viol est susceptible d'être puni d'un emprisonnement à vie mais tout viol repose sur l'absence de consentement de la victime. En Autriche, la peine la plus élevée s'applique à tout rapport sexuel avec un enfant de moins de 14 ans. La sanction est une peine de prison de même durée que pour un viol avec violence aggravée, à savoir de 1 à 10 ans (de 10 à 20 ans en cas de décès). En Allemagne, le viol de mineur est puni d'une peine de prison entre 1 et 10 ans (5 et 15 ans s'il entraîne la mort). En Espagne, depuis la réforme de 1995, le Code stipule qu'il ne peut y avoir consentement lorsque le mineur a moins de 12 ans. Le viol en général est puni d'une peine de 6 à 12 ans. La peine la plus haute avec circonstances aggravantes (viol de mineur avec violence dégradante ou commis par trois personnes ou plus ou commis par un membre de la famille ou encore susceptible d'entraîner la mort ou une lésion grave) est puni d'une peine de prison de 12 à 15 ans. Les peines concernant viol et homicide sont cumulatives en cas de décès de la victime. Enfin, seul le Danemark a établi la présomption irréfragable de viol pour un enfant de moins de 15 ans, la peine maximale (mineur de moins de 12 ans avec contrainte ou menace) étant de dix ans.
Mais tout cela est bien théorique. Avant 1995, en Belgique, le viol sur un mineur de moins de 10 ans, punissable des travaux forcés à perpétuité, était l'un des rares crimes non correctionnalisables. Selon le rapport gouvernemental de 1996 sur la mise en Yuvre de la Convention, "l'extension de la notion de viol à tout acte de pénétration sexuelle par la loi de 1989 avait entraîné une augmentation du nombre de dossiers qualifiés de viol qui ne correspondait pas à un accroissement du nombre réel d'agressions sexuelles sur de jeunes enfants. Par ailleurs, la compétence de la Cour d'Assises offrait des désavantages manifestes tels que le caractère inadapté de la procédure orale à ce type de faits, la lourdeur et le coût de la procédure ou encore l'encombrement des juridictions résultant de l'augmentation du nombre de dossiers non correctionnalisables. Ce contexte fut source de classements sans suite d'opportunité et d'un recours plus systématique à la mesure d'internement. Ces différentes raisons ont justifié le changement législatif intervenu dans la loi du 13 avril 1995 (concernant entre autres l'audition enregistrée d'enfants ndlr voir supra). Le Ministre de la justice, dans une circulaire du 17 mai 1995 rappelait cependant que dans les cas de criminalité organisée (réseaux de pédophiles) ou de faits commis avec violence, la Cour d'Assises restait la juridiction de référence. Par ailleurs, même correctionnalisés, les faits de viol sur mineur de moins de 10 ans peuvent donner lieu à une condamnation à une peine de 10 ans d'emprisonnement et, en cas de récidive légale, à un peine de 20 ans d'emprisonnement ".
Reste que la correctionnalisation des faits de viol sur mineur entraîne de faibles condamnations comme ces 3 ans avec sursis pour les 2/3 pour un homme ayant pénétré de sa main munie de gants de chirurgien une fillette de 8 ans attachée à son lit ; ou encore de 5 ans avec sursis pour les 2/3 concernant un viol manifeste sur une fille de 14 ans (16). Ce qui conduit à des emprisonnements effectifs comparables à ceux encourus pour vol avec effraction ou consommation de drogues dures en groupe.
Troisième paradoxe : le pédophile n'est pas un malade mental
En revanche, on aimerait bien qu'il le soit. D'abord pour des raisons pratiques comme le montre le recours systématique à l'internement en cas d'encombrement des tribunaux. Ensuite, pour des raisons politico-idéologiques, voire "scientifiques" dans la mesure ou cela servirait de ciment pour la cohérence de toute criminologie à tendance répressive. L'intervention du psychiatre Bernard Cordier en commission française des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel du Règlement et d'administration générale (13) est révélateur.
Il n'y a pas de portrait robot du pédophile. Par ailleurs ceux-ci " ne représentent pas d'anomalie biologique ". A la première question : sont-ils malades mentaux ? - le psychiatre répond : " là dessus il faut être clair. Il y a une anomalie dans la mesure où nous sommes programmés à être stimulés par la vision de corps sexués matures, formés. Il y a donc une anomalie, et personne ne peut le contester (-) Ce n'est pas un choix d'orientation comme pour l'homosexualité. " On le voit : ce n'est pas clair du tout . " Anomalie " n'est pas un concept psychiatrique. En réalité, comme on le verra, le psychiatre se trouve confronté au désir des politiques et aux termes criminologiques qui n'ont pas de sens dans sa discipline.
Deuxième question : y a-t-il aliénation mentale ? Ce qui est quand même un terme plus fort que "maladie mentale" : "Je réponds non. Il y a une proportion infime (0,1%) (-) Le pédophile peut perdre son contrôle au delà d'un certain degré d'excitation. Mais il peut le plus souvent faire en toute liberté le choix de ne pas cultiver cette orientation ". Ce qui contredit quelque peu la réponse précédente. Mais le psychiatre est mal à l'aise: il redoute que le "corps médical soit poursuivi pour échec thérapeutique " et prévient:"Nous sommes dans un domaine où l'on peut déraper, soit dans le sens d'un amalgame entre les maladies mentales et les dépravations, soit dans le sens où l'on considérerait qu'il n'y a rien à faire". Selon le même psychiatre ce qu'il a dit " n'est pas valable pour ce qu'on pourrait trouver dans les pensions, dans les couvents, dans les prisons ou chez des gouvernantes " frustrées ". Il s'agit de compensation sexuelle et non pas d'orientation vers la pédophilie ". Donc, reprend M. Rufin, les pédophiles ne sont pas des malades mentaux mais ils ont une anomalie. Cette anomalie résulte-t-elle d'une malformation ? Le psychiatre répond pour un seconde fois par la négative. "Ce n'est pas parce que certaines personnes commettent des actes dont on dit qu'il faut être " fou " pour les commettre, qu'ils sont des malades mentaux " où il répond plus clairement à une question qu'on lui avait posée il y a un moment.
Qu'a-t-on appris à ce stade? Que le pédophile n'est certainement pas un aliéné mental dans la mesure où l'on trouve chez lui aucune anomalie biologique, même hormonale. Qu'il est cependant " anormal " - mais ce n'est pas un terme psychiatrique, sans être un malade mental (ceci après quelques hésitations). Aussi ne peut-on interner des pédophiles qualifiés de "pervers" "avec des malades qui sont la proie idéale pour les manipulateurs ".
On apprend également que la pédophilie n'est pas un choix d'orientation, bien que cultiver la pédophilie soit un choix d'orientation. (On apprend également que l'homosexualité est un choix d'orientation, ce qui paraît être une déclaration péremptoire.) Par ailleurs, bien que dénué d'anomalie biologique, le pédophile ne se classe pas parmi les délinquants sexuels motivés par une frustration affective. Par contre, pour répondre à une question quant à l'influence de la permissivité des mYurs, le psychiatre remarque que l'on rencontre aussi bien la pédophilie dans les institutions religieuses.
On voit par là que le psychiatre a beaucoup de mal à cerner l'objet de sa thérapeutique, objet qui lui est par ailleurs imposé par la loi. C'est pourquoi il rappelle que toute thérapie efficace doit être choisie librement par le patient - ce qui paraît difficile en l'occurrence dans un contexte de soins imposés.
Quant aux différents types de pédophiles, le psychiatre les classe ainsi :
- "Â Les malades mentaux: ils sont rares;
- Les victimes de pédophiles dans l'enfance: il existe un processus paradoxal de répétition chez l'être humain déjà identifié de maltraitance. " . Toutefois il a déclaré auparavant que " s'il y a une relation de cause à effet, nous avons de fortes raisons de nous inquiéter, mais ceci n'est pas prouvé car l'argument est souvent utilisé pour la défense du pédophile. " . Ce qui nuance fortement le lieu commun.
- Enfin: "les personnes qui ne se sentent pas à l'aise dans le monde adulte et qui retournent vers l'enfance comme vers la jouvence, dans un milieu où il sont sûrs d'eux-mêmes. D'autres sont restés dans l'adolescence, sans sexualité avec des adultes. J'ai plusieurs patients mariés que je rencontre avec leur épouse. Ils sont généralement tous les deux volontaires pour participer à l'abstinence. Si l'épouse n'est pas au courant, le mari peut invoquer des raisons médicales qui le rendent impuissants momentanément ". Donc des personnes infantilisées et frustrées de leur sexualité adulte, ce qui paraît bien proche de l'exemple des prisons, couvents etc- dont il voudrait démarquer la pédophilie. Ce qui nous renvoie également à ce que nous avons dit plus haut sur la reproduction de l'infantilisme paranoïaque. Mais cela, nul psychiatre ni criminologue ne saurait l'avouer s'il veut déterminer scientifiquement l'objet de sa pratique-
Quatrième paradoxe : les délinquants sexuels ne sont pas particulièrement des récidivistes au sens légal
Comme les chiffres belges me sont inaccessibles, on se reportera aux statistiques étrangères. Lors de son audition par la Commission française des lois, le docteur Roland Coutenau (14) a présenté quelques statistiques montrant qu'en pratique - sachant que la moyenne des récidives tourne autour de 40-50% - la récidive des délinquants sexuels en dehors de tout traitement médical restait finalement très limitée : moins de 5% chez les pères incestueux - en général des beaux-pères dont le remariage avait été un prétexte pour assouvir leurs tendances - moins de 10% pour les violeurs de femmes adultes et entre 10 et 20% chez les pédophiles. Les statistiques du ministère de la justice du même pays vont dans le même sens : viols, 3 à 5% attentats à la pudeur : environ 10%, -
Selon les chiffres du département de psychologie et du CICC de Montréal, pour l'ensemble des crimes sexuels, la récidive est de 28% alors qu'elle est de 50% pour le vol et se situe autour de 35% pour l'ensemble des catégories. Les différentes méthodes thérapeutiques feraient baisser le taux de récidive à 20% chez les agresseurs sexuels. Mais selon certains psychiatres français, les thérapeutiques ferait diminuer le risque de récidive de 95% à 20%. D'après ceux-ci, en effet, tout pervers serait inéluctablement récidiviste, à moins d'être traité. Toutefois le terme de " pervers " demeure impossible à définir légalement. D'autre part, au vu des chiffres qui précèdent, cette déclaration ne semble pas exacte, même s'il faut manipuler ces chiffres avec prudence dans la mesure où il s'agit de récidives légales ou du moins connues (mais cette remarque vaut également pour les autres catégories).
Pour cause du manque de place chronique de chaque Banc Public (fut-il de huit pages), les deux paradoxes suivants: "l'inadéquation de la majorité sexuelle, du droit à la parole devant les tribunaux et de la majorité civile" et "l'article 423 ou la norme juridico-naturelle impossible (la loi de 1999)" seront traités le mois prochain.