DE LA MISERE EN MILIEU ETUDIANT(ETRANGER)

Banc Public n° 64 , Novembre 1997 , Frank FURET



Il fut un temps où les étudiants formaient encore une couche quelque peu favorisée et en étaient fiers. La “misère” est venue leur dire que les piètres privilèges que le capitalisme développé pouvait encore leur accorder participaient à la reproduction et à l’extension de la société marchande dominante, entrée dans l’âge du spectacle; leurs illusions sur eux-mêmes et sur le monde en faisaient le milieu le plus propice à la propagation de toutes les pollutions, notamment idéologiques, culturelles et politiques, qui oeuvraient à la mise ne place d’un système d’anesthésie générale. Depuis les évènements de 1968, la contre-offensive des classes dominantes a obtenu de nombreux succès, et notamment en matière d’esclavage salarié: le capital n’a plus besoin d’autant d’esclaves pour le servir même s’il continuera à employer à bas prix ceux à qui il fera croire qu’ils sont des privilégiés puisque “le Maître” les a choisis. Le patronat et l’État ne veulent plus payer et personne ne pense qu’ils peuvent disparaître.

C’est par ces mots que l’Internationale Situationniste introduit à la (re)lecture d’une réédition d’un opuscule intitulé “De la misère en milieu étudiant” qui dérangea les milieux politiques, académiques ainsi que les organisations étudiantes classiques, moult situationnistes se faisant par ailleurs expulser des divers campus qu’ils tentaient de, mmmhhh, travailler au corps, dirons-nous.

Une situation misérable

Ni socialement, ni humainement, la situation des étudiants étrangers n’est bonne actuellement, elle se détériore même; les blocages politiques au Congo, les décisions de dévaluation, l’austérité imposée par les bureaucraties financières mondiales au tiers monde, ont brutalement aggravé les conditions d’existence des étudiants en provenance de ces pays.Les conditions désastreuses dans lesquelles ils sont obligés d’étudier (sans revenus, avec des ressources diminuées de moitié, menacés d’être expulsés de leur logement pour non payement de loyer, d’être frappés de lourdes amendes pour ne pas avoir payé les transports en commun etc.) permettent de se demander comment ils se nourrissent, s’éclairent, se chauffent, jour après jour. Une personne isolée (bien de chez nous) doit pouvoir bénéficier de 21.000 F pour vivre; ces étudiants ont souvent la moitié ou moins.

Il faudrait multiplier les initiatives diverses pour étoffer les moyens financiers, se lamente officiellement J. Puissant, vice-recteur de l’ULB.Beaucoup d’étudiants défavorisés essaient de se former avec des moyens difficiles: ils doivent travailler pour payer leurs études, réussir avec de bonnes notes s’ils veulent réaliser un doctorat, ou un 3ème cycle.

Mohammed, président du CIEE (Centre International des Étudiants Étrangers), évoque le cas des étudiants qui ne réussissent pas et commencent à changer d’école; dans les écoles supérieures, ils sont obligés d’assister aux cours mais ça leur est difficile étant donné qu’ils doivent travailler pour payer leurs études. Autre problème : quand un étudiant du tiers monde arrive en Belgique, il provient généralement d’une structure communautaire; ici, ils sont isolés ou alors, s’ils prennent une chambre à deux, ils deviennent louches. Mohammed expose le cas de nombreux étudiants maghrébins qui font de la recherche gratuite pour le compte des labos de l’ULB, dans le cadre d’un 3ème cycle. En France, ils seraient financés, mais en Belgique, ils sont exploités. Beaucoup de labos (physique, chimie, bio, géologie) fonctionnent essentiellement avec des Maghrébins qui bossent gratuitement, “trop contents” estime Karl Berliner, responsable ULB, d’effectuer un 3ème cycle chez nous. Mais ces chercheurs qui tiennent parfois les labos à bout de bras, et qui, selon eux, effectuent une recherche véritable, dont les travaux sont publiés dans des revues scientifiques, sont obligés de se débrouiller en travaillant au noir dans le nettoyage, dans les restaurants, en faisant des marchés, etc., pour survivre. Rachid estime la situation inhumaine, et quand on interpelle l’université, les autorités répondent invariablement qu’il n’y a pas de moyens.

Faukas, lui, est étudiant congolais. Il évoque le sacrifice que les familles font pour envoyer un ou deux de leurs enfants étudier en Europe: c’est souvent en rognant sur le budget santé ou alimentation, en sacrifiant la scolarité d’une partie de leur progéniture, que les parents arrivent à envoyer un ou deux enfants étudier en Europe, espérant que leur réussite finira par avoir des retombées sur toute la famille.
Pour Faukas, le problème des centresd’excellence que l’on projette de promouvoir (voir ci-dessous), c’est qu’il va leur falloir des livres, des syllabus, des moyens techniques. Les profs existent mais ils sont très mal payés en Afrique centrale; ils ne travaillent pas dans de bonnes conditions; pour lui, il faudrait améliorer les conditions des profs et des élèves. Mais l’État est absent du financement des études; la dette est énorme mais, pour lui, c’est souvent un prétexte des gouvernements locaux pour ne pas s’occuper des finances (l’armée et une certaine bureaucratie sont souvent bien loties: c’est toujours le peuple qui casque). Il y a une complicité, estime Faukas, de l’Occident qui tolère cette situation en ne mettant pas de conditions à son soutien à certains de ces gouvernements. Il évoque lui aussi le cas des chercheurs africains qui travaillent gratuitement pour les universités francophones : en 1980, 6% d’étudiants congolais en 3ème cycle effectuaient des recherches (gratuitement) pour l’ULB, les moins bien lotis (l’énorme majorité) étant obligés de faire des petits boulots pour survivre. En 97, ils sont 40 % à travailler gratuitement pour les labos universitaires; c’est aussi pourquoi, estime Faukas, on souhaite voir l’étudiant africain rester chez lui pendant se ses études de 1er et 2ème cycle (on préfère sans doute voir arriver chez nous les étudiants les plus brillants).

Un projet de convention controversé

Veut-on la disparition des étudiants étrangers en Belgique? Le gouvernement fédéral a-t-il l’intention de réduire de façon drastique leur présence dans notre bon pays? Ces deux questions, on est en droit de se les poser à la lecture d’une convention qui entrerait en vigueur dès l’année académique 98-99, et qui, si elle était signée, modifierait profondément les critères de subsidiation :
l’actuelle distinction entre pays en voie de développement (PVD) et ex-PVD serait supprimée au profit d’une nouvelle liste de pays; aucun étudiant du tiers monde ne serait plus financé pour les études de 1er cycle; seuls les étudiants bénéficiant d’une bourse de l’AGCD (Administration Générale de la Coopération au Développement) seraient certains d’être financés; les autres étudiants du 3e cycle pourraient être financés pour autant que l’enveloppe budgétaire disponible n’ait pas été épuisée par le financement des boursiers AGCD. Pour Oliver Schneider, étudiant administrateur à l’ULB, également membre de Shéhérazade (Le groupe de travail qui réfléchit sur le problème des étudiants étrangers à la FEF), l’ouverture de l’université à ces derniers est une richesse réciproque, mais il y a de plus en plus un problème d’accessibilité qui se présente.
En fait, le projet quinquennal (qui s’étend de 1995 à 2000) prévoit de diminuer de 50% l’enveloppe destinée au financement des étrangers. Actuellement, une majorité des subsides (450 millions sur 600, le solde étant attribué à la coopération universitaire sur place) est encore attribuée aux universités belges qui accueillent des étudiants étrangers. L’enveloppe va régresser à 300 millions et les universités voient leurs moyens diminuer en matière d’accueil; or, aujourd’hui, les 450 millions permettent de financer les étudiants étrangers à 52% de ce qu’ils seraient financés s’ils étaient belges; demain, à nombre égal, vue les diminutions de subsides, ils ne seraient plus financés qu’à 30%. Pour Oliver, les universités se disent qu’il serait intéressant de conclure un accord entre elles pour limiter l’accès aux étrangers. Le conseil des recteurs (le C.R.E.F.) doit trouver à terme des quotas pour les étudiants étrangers et une note prévoirait d’en exclure 40% du financement, pour mieux financer les 60% restants (qui seraient alors financés à 90%).
En 1971, les étudiants des pays en voie de développement étaient financés comme les étudiants belges. Puis on a décidé, dans les années 80, de favoriser le financement des 3ème cycle, excluant petit à petit des pays de la liste de ceux dont les étudiants sont subsidiés. 10 par ci, 50 par là, on saque progressivement dans le calme et la discrétion: comme en d’autres matières, les petits coups d’épingle sont gentiment et régulièrement distribués.
En 1997, il ne reste plus que le Congo, Haïti, le Rwanda et quelques autres sur la liste, qui est encore susceptible de se raccourcir. Quant aux étudiants provenant du Maghreb, ils se retrouvent surtout en 3ème cycle (les droits complémentaires d’inscription étant en général de 110.000F; si l’étudiant réussit, les droits complémentaires sont supprimés ou diminués substantiellement pour les années suivantes - l’ULB ne se montre pas trop gourmande, puisqu’elle pourrait demander jusqu’à 200.000 F). La convention qui est discutée actuellement, et qui n’a pas encore été signée, vise selon Olivier Schneider à exclure les derniers PVD de la liste. Les 1er et 2ème cycle ne seront plus réalisés en Belgique, mais dans les pays d’origine. Le résultat de cette convention sera que dans 10 ans le nombre de boursiers AGCD passerait de 597 (chiffre actuel) à 13. Actuellement, on est à mi-chemin de ce processus lent et discret d’exclusion et les organisations étudiantes comptent évidemment se battre pour que la convention ne soit pas signée (l’ULB est la seule à bouger actuellement, même si des contacts ont été établis ailleurs). Le combat des étrangers est un combat global contre cette logique à visée élitiste .

Un aspect communautaire!

Enfin, signalons que la problématique s’enrichit de nos sublimes querelles communautaires: suite à la communautarisation de l’enseignement, la masse financière destinée à la coopération universitaire a été répartie différemment. De plus, les Flamands possèdent des centres d’excellence - qui eux sont effectivement excellents, paraît-il - en Asie et en Amérique Latine, alors que les francophones sont plutôt implantés en Afrique Noire (où l’excellence des centres d’excellence paraît pour le moins discutable).Ainsi chacun sera ravi d’apprendre que nos glorieuses guéguerres communautaires, non contentes d’alimenter bêtement le spectacle politique belge - qui n’avait pas vraiment besoin de çà - et de nous distraire des véritables enjeux, ont trouvé à se territorialiser jusque dans la coopération universitaire, les francophones légitimant en quelque sorte leur politique discrète d’exclusion progressive en essayant “d’imiter” l’exemple flamand. Pffffft.

Ce train de mesures véhicule des visées élitistes contradictoires avec l’objectif de développement durable: il y a décalage entre les propositions et la réalité, les résultats attendus jamais atteints ni approchés. D’aucuns estiment que l’État belge ne peut se désengager d’un continent que trop de monde tente d’oublier. La coopération universitaire doit participer à cet objectif. Les États ne peuvent être les seuls acteurs de cette forme de coopération. Il faut impliquer les universités d’ici et de là-bas, les collectivités locales, les organisations de base, et les organisations non-gouvernementales.

Les centres d’excellence

Les “objectifs déclarés” des suppressions de bourses sont “diminuer la fuite des cerveaux” (en fait les décideurs déclarent craindre que les étudiants des PVD qui étudient chez nous ne retournent pas chez eux pour en faire profiter leur pays d’origine), et, d’autre part “fournir un enseignement mieux adapté aux situations locales”. Ces deux objectifs ne semblent pas remplis par une formation exclusivement belge. On envisage donc de renforcer les capacités de formation sur place en sélectionnant des “centres d’excellence” qui pourraient bénéficier d’un “certain appui logistique” et vers lesquels seraient dirigés les étudiants à qui on accorderait des bourses locales. Mais une telle démarche se heurte aux difficultés que connaissent les universités dans beaucoup de pays pauvres, les centres “d’excellence” sur lesquels on pourrait compter étant plutôt l’exception que la règle.

Bien sûr, les pouvoirs publics des PVD ont certes souvent considéré l’université locale comme un emblème symbolique de l’indépendance nationale, mais ils ont refusé - surtout en Afrique - de lui accorder ses attributs fondamentaux , à savoir les libertés académiques, l’indépendance d’esprit et l’autonomie, estime pour sa part André Laurent, professeur à l’ULB, membre du Conseil supérieur des universités francophones. N’ayant pu constituer le réservoir d’expertise scientifique adéquat, les universitaires ont peu ou rarement participé au changement social de leur propre environnement; elles ont dû absorber sans moyens adaptés et sans résistance possible les conséquences de la poussée démographique.
Et sitôt que la croissance économique s’est ralentie ou inversée, les nouveaux diplômés se sont retrouvés sans emploi possible, entrainant la reprise de l’exode vers les pays industrialisés. A présent, ces mêmes universités, dépourvues d’une réelle autonomie, subissent les effets de la dette publique et de la récession économique; les sévères programmes d’ajustement qui forcent de nombreux pays du sud - africains surtout - à la réduction drastique des flux de financement accélèrent l’implosion de ces jeunes institutions.
Les pouvoirs locaux ne leurs accordent pas les moyens (équipement et rémunérations) de recherche, et cette absence d’un effort minimal décisif pour développer la recherche fondamentale a compromis l’essor des sciences appliquées dont la maitrise est indispensable au développement et à la croissance économique de ces pays. Beaucoup n’ont pas formé, faute de moyens, un nombre suffisant de scientifiques qualifiés; seul un petit nombre d'entre eux a pu s’intéresser aux nouvelles technologies de pointe.

Des objectifs cachés?

A première vue, les objectifs de l’administration peuvent paraître séduisants: éviter l’essaimage et la trop grande dispersion de notre aide par une réduction du nombre de pays éligibles tant pour les bourses que pour les frais de fonctionnement, éviter la fuite des cerveaux, limiter les bourses et financements aux études complémentaires.

Mais derrière ce spectacle de sollicitude compétente et avertie, s’agite la volonté de réduire drastiquement la coopération universitaire, et de la limiter à des projets élitistes irréalisables dans les pays les plus pauvres. Face à ce constat, on ne peut que se demander si d’autres objectifs ne motivent pas le gouvernement.
La volonté d’éviter au maximum la venue d’étrangers sur notre territoire sous prétexte que beaucoup restent en Belgique après leurs études et y travaillent par la suite, entérine grossièrement le discours d’extrême droite.
Les étudiants protestent: l’exode des étudiants boursiers n’a jamais vraiment été établi; au contraire, ils se sentent liés plus que d’autres par un contrat moral avec leur pays d’origine; leur permis de séjour se limite bien souvent à la durée des études et leur famille reste la plupart du temps là-bas.
Enfin, la volonté de réduire l’enveloppe destinée à la coopération universitaire (restrictions de l’accès aux bourses, diminution des montants de l’intervention dans les frais de fonctionnement aux seuls boursiers) entraîne de fait une diminution des moyens consacrés à la coopération universitaire, puisqu’il n’est nullement question d’augmenter proportionnellement le nombre de bénéficiaires de ces bourses, ni de réorienter les moyens dégagés vers d’autres missions de coopération universitaire. La politique mise en place par les projets Derycke en matière de coopération universitaire est inacceptable, impraticable, irréaliste et fait preuve d’une méconnaissance grave de la situation de l’enseignement supérieur dans les pays du tiers monde. Il n’auront pour conséquence que de réduire les moyens destinés à ce pan important de la politique de coopération. Peut être est-ce le but principal du gouvernenment? Ces projets sont à rejeter, a décrété Écolo. Une réflexion sur la politique de coopération dans le domaine de l’enseignement est nécessaire et urgente, mais on imagine mal qu’elle fasse l’impasse sur la problématique de la mondialisation si elle veut tenter de s’arracher aux paradigmes économiques qui orientent et engluent actuellement les décisions.

Conclusion

Derrière le sempiternel spectacle de l’impuissance budgétaire donné par la classe politique appelée à nous inviter gentiment aux nécessaires sacrifices et aux diverses austérités souhaitées par le monde économique, des logiques dures se dessinent. Les propriétaires de la plus value, cardinaux de l’Être-Suprême (le marché), détiennent la connaissance et la jouissance des évènements vécus, signalait Debord en 67. La situation, dans le fond, n’a guère changé depuis.

Ainsi, la très influente Table Ronde des industriels européens, qui produit des rapports et des réflexions sur les sujets les plus variés, a l’oreille de la Commission européenne, dont elle est un “partenaire privilégié”. La Table Ronde souhaite repenser et redéfinir entièrement les priorités de l’éducation en Europe pour l’axer sur les “besoins futurs”, à savoir “le passage à une économie ouverte et concurrentielle”. Mais pas question d’augmenter les budgets: il faudra “améliorer l’allocation des ressources sans augmenter les dépenses” (refrain connu).

Le programme du lobby industriel européen (dont le groupe de travail éducation est présidé par le philanthrope François Cornélis, ancien cadre -très- supérieur de la BBL et présentement patron de la société belge Petrofina), tient en quelques points: premièrement, développer les liens entre école et entreprise (partenariat, formation en alternance, participation du patronat à l’élaboration des programmes). Ensuite, renforcer la sélection au seuil de l’enseignement secondaire général et de l’enseignement supérieur. Enfin, accorder une grande autonomie aux établissements d’enseignement pour en “rationaliser” la gestion, “favoriser la concurrence entre eux”, et permettre une adaptation rapide aux mutations industrielles et technologiques. Ces orientations, avancées systématiquement par la Table Ronde, ont constitué l’ossature des projets - pour mémoire très contestés par le monde enseignant - de Laurette Onkelinckx.

Du fait qu’il réduit les besoins en matières premières, en travail et en temps, en espace et en capital, le savoir devient, estime Alvin Toffler, la ressource décisive de l’économie avancée. Sa valeur monte en flèche, et c’est pourquoi de véritables “guerres de l’information” c’est à dire des luttes acharnées pour la maitrise du savoir, se déchainent dans le monde entier. Dans cette optique, il s’agit de réaliser que le savoir devient de plus en plus une marchandise, et le prix d’une marchandise, comme nous sommes dans une logique de marché, augmente avec sa rareté: moins il y a de gens qui savent, plus la valeur marchande de la connaissance augmente, et ceci vaut également pour le potentiel de “pouvoir” lié à la connaissance: non seulement nous nous situons dans une logique économique mondiale, mais nous baignons de plus dans le cadre global d’une pyramide planétaire de privilèges et de hiérarchies octroyant récompenses et punitions.
“L’économisme, juge Raoul Van Eigem, met actuellement en scène sa faillite: il annonce l’imminence du déluge et construit l’arche où prendront place les élus rentabilisés du capital et les exploités enrôlés dans les cohortes mercenaires du clientélisme”.

Le prophète du XXIe siècle


Pour corroborer ceci et pour conclure, évoquons les “vues” d’un certain monde économique à propos de l’avenir social de notre bonne vieille planète: Ian Angell, professeur à la London School Economics, chroniqueur au Wall Street Journal et au Financial Times est une star en Grande-Bretagne; on l’a nommé “prophète du 21ième siècle”, pas moins. Invité par Unisys (géant américain de l’informatique) à une conférence de presse que la société donnait à son siège international de management de Saint-Paul de Vence, le prophète a bavardé: pour lui, “l’industrialisation a répondu à un besoin chrétien; il fallait donner du pouvoir à ceux qui n’en avaient jamais eu dans l’histoire. Mais ceux-ci doivent maintenant retourner à leur place: il ne sert à rien, continue le prophète, de vouloir donner les mêmes chances à chacun; les technologies actuelles redéfinissent entièrement les marchés. Il y a 6 milliards d’humains sur Terre, dont 5 milliards ne pourront jamais être utilisés; il ne sert à rien de vouloir les aider. Pour gagner, il “faut prendre les décisions intelligentes” (éliminer les couts parasites) sinon ”l’erreur” (continuer à aider, former, informer et éduquer les plus défavorisés) “renverra notre société dans l’obscurité” (les nouvelles technologies nous passeront en dessous du nez) “et entrainera son extinction” (les modalités de l’extinction ne sont pas précisées par le prophète); “les entreprises de demain seront globales, elles n’ont plus aucune volonté de supporter les aspirations nationales de leur pays d’origine.”. Selon Ian Angell, la société est divisée en trois: “l’élite”, les “travailleurs intelligents” et les travailleurs “inutiles” (les entreprises réfléchissent actuellement à “la manière la plus appropriée” de s’en débarrasser). “La croissance est créée par l’élite et non par les travailleurs actifs dans la production ou les services de base. Dans une économie globale intégrée, seuls les pays capables de générer des travailleurs intelligents seront riches; les états doivent comprendre qu’ils deviennent des entreprises commerciales et doivent donc s’organiser comme tels. Le 21ème siècle sera le siècle de l’individu, non celui de la tribu”, conclut notre prophète.

Quand on sait l’oreille attentive que nos “politiques” peuvent prêter au discours de ces puissantes castes, la vigilance s’impose, chaque miette concédée dans le passé doit être défendue. Et ce n’est pas faire preuve de paranoïa, sans doute, que de se poser la question de savoir si, dans le fond, le problème est vraiment budgétaire ou bien si l’alibi du budget masque des intentions plus douteuses encore? Les États occidentaux, obéissant docilement aux injonctions des bureaucraties financières mondiales, sont-ils entrés dans une phase de simulation de coopération au développement (apaiser les bonnes âmes, amortir d’éventuelles réactions)? Tout ceci ne confirme-t-il pas la décision de laisser pourrir la situation des pays en voie de développement pour mieux les pénétrer, les standardiser, et leur imposer subrepticement à tous les niveaux les nouvelles normes en vigueur dans le monde économique? Les nuages qui s’accumulent en matière d’accès des étudiants étrangers aux études pourraient bien, en tout cas, s’insérer dans un tel schéma.


Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

Raoul Van Eigem “Nous qui désirons sans fin”
Alvin Toffler “Les nouveaux pouvoirs”
Défi-sud “La planète à l’heure du marché monde”
Internationale Situationniste “De la misère en milieu étudiant”
André Laurent ”Le rôle des universités dans le développement des pays du sud”
Guy Debord: “La société du spectacle”

 
     

     
   
   


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