Cachez ce saint...

Banc Public n° 154 , Novembre 2006 , Catherine VAN NYPELSEER



La publication par un journal danois, le Jyllands-Posten, le 30 septembre 2005, d’un ensemble de douze caricatures représentant le prophète de la religion musulmane, Mahomet, a fait l’objet, au début de l’année 2006, d’une polémique mondiale ainsi que de dizaines de morts lors de manifestations de foules en colère dans des pays musulmans.
Mohamed Sifaoui, journaliste de religion musulmane, dont le domaine de prédilection est l’islamisme, a voulu revenir sur ce dossier qu’il estime extrêmement important.
Son livre, intitulé «L’Affaire des caricatures», se compose d’une enquête détaillée ainsi que d’une prise de position explicite extrêment nette en faveur de la liberté d’expression.

La démarche du Jyllands-Posten

La première information que nous apporte son ouvrage est de nous expliquer la démarche du Jyllands-Posten. Dans le contexte créé par l’assassinat du réalisateur Théo Van Gogh aux Pays Bas en novembre 2004 et le procès de son assassin en juillet 2005, qui avait eu un grand retentissement dans les pays scandina­ves, un auteur danois de livres pour enfants et adolescents connu pour son sérieux, Kare Bluitgen, ne parvenait pas à trouver un illustrateur pour son projet de livre sur le Coran et la vie du prophète Mahomet. Les différents dessinateurs contactés refusaient le travail pour des raisons de sécurité, par peur des représailles. Kare Bluitgen avait publié cette information en dénonçant l’autocensure qui sévissait au Danemark depuis l’assassinat du réalisateur Théo Van Gogh, au cours d’un entretien au quotidien de gauche Politiken intitulé «Peur profonde de la critique de l’islam».

Lors d’une réunion de rédaction au Jyllands-Posten, le plus grand quotidien danois en termes de tirage, un journaliste avait alors suggéré l’idée de faire réaliser et de publier des caricatures du prophète Mahomet afin de «mesurer le degré de la liberté de la presse au Danemark». Après un long débat, l’idée avait été acceptée, et le journal avait contacté la société des caricaturistes danois, qui compte quarante dessinateurs. Seuls douze ont alors accepté de participer à l’expérience. Il ne s’agissait donc pas d’une provocation gratuite ou d’une attitude inconsciente, mais bien d’une démarche journalistique construite, visant «davantage à mesurer le niveau de l’autocensure chez les dessinateurs qu’à choquer les musulmans»(p.50) .

La réaction des imams danois

Dès avant la publication des caricatures, dès qu’ils sont au courant du projet, les islamistes essaient d’interdire ce sujet.





L’imam de Copenhaghe envoie au journal une lettre mettant en garde les responsables de la rédaction contre «la réaction des musulmans», en leur rappelant qu’il est selon eux «interdit de représenter le prophète Mahomet».

Qu’en est-il de cette interdiction? Pour Mohamed Sifaoui, elle ne s’applique évidemment qu’aux musulmans, tout comme l’interdiction de manger du porc, ou celle de la pratique des taux d’intérêt par les banques occidentales... De plus, il n’y a pas unanimité sur ce sujet parmi les différents courants de l’islam, certains étant totalement muets sur la question, comme certains courants sunnites et les différentes écoles chiites (p.54). Il existe des représentations du prophète Mahomet dans l’art islamique traditionnel et même dans des adaptations du Coran sous forme de bandes dessinées, comme celles de l’universitaire tunisien Youssef Seddik. Enfin, la finalité de cette interdiction, lorsqu’elle existe, est de prévenir l’idolâtrie...

Les douze caricatures

La plupart sont, selon Mohamed Sifaoui, totalement anodines voire insipides. Elles ne représentent d’ailleurs pas toutes le prophète. Celle qui a fait le tour de la planète représente le prophète de la religion musulmane en homme barbu au regard dur, coiffé d’un turban contenant une bombe.
Pour cet auteur, «contrairement à ce que l’on pourrait croire dans certaines
(suite page 4)
capitales occidentales, les caricatures n’étaient pas offensantes pour tous les musulmans. Elles ne pouvaient l’être que pour les intégristes»(p.58). Pour lui, les autres musulmans n’ont pas voulu réagir parce qu’ils connaissent la réalité, rappelée notamment par le rédacteur en chef de l’hebdomadaire jordanien Shihane: «qu’est-ce qui porte plus préjudice à l’islam, ces caricatures ou bien les images d’un preneur d’otages qui égorge sa victime devant les caméras, ou encore d’un kamikaze qui se fait exploser au milieu d’un mariage à Amman?»(p.59).

Finalement, la pire des caricatures est, selon l’image d’un éditorialiste du journal algérien francophone Al Watan, «la treizième, celle qui a été dessinée dans les rues par les musulmans eux-mêmes»(p.109).

Un dossier tendancieux

Pour convaincre, les imams qui se sont organisés en «comité européen pour la défense du prophète» préparent un dossier dans lequel ils font figurer les douze caricatures du Jyllands-Posten, des images publiées par un autre journal danois, diverses correspondances et communiqués, ainsi que trois images dont personne ne connait la provenance, mais qui sont, elles, vraiment insultantes.

L’une d’elles, un dessin, «représente un homme barbu avec des cornes de diable tenant deux poupées à la main», sur lequel figure l’inscription suivante: «le prophète Mahomet est un pédophile». Une autre, un photomontage, représente un musulman prosterné, en train de prier tout en se faisant sodomiser par un chien. La troisième est la photo d’un homme déguisé en cochon, sur laquelle il est écrit «ceci est la véritable image de Mahomet». En réalité, il s’agit de la photo d’un Français participant à un concours d’imitation de cri du cochon, prise lors du championnat annuel de cette discipline.

Ces trois images n’ont jamais été publiées. Pour Mohamed Sifaoui, elles posent la question de la manipulation. Selon le porte-parole du comité, ces images, reçues selon lui par E-mail, sont des exemples montrant «l’hostilité de la société danoise envers l’islam». Or, selon plusieurs témoignages, «ce sont ces images qui ont le plus choqué les autorités musulmanes»(p.76).

Pour le surplus, le dossier présente le Danemark comme un pays raciste et vise particulièrement le Jyllands-Posten, qui était semble-t-il dans le collimateur des islamistes dès avant la publication des caricatures, notamment parce qu’il publiait régulièrement des traductions en danois de prêches extrémistes tenus dans les mosquées.

Ce dossier est utilisé pour mobiliser les médias arabes et les ambassadeurs des pays musulmans au Danemark. Suite à la réception d’une lettre du comité, onze d’entre eux demandent audience au premier ministre danois qui refuse et prend position en défendant la liberté d’expression.

Les imams danois organisent alors l’internationalisation de l’affaire. Une délégation se rend en Egypte puis au Liban, munie du fameux dossier. A cette occasion, ils prétendent notam­ment lors d’une conférence de presse que des Danois s’apprêteraient à publier une version tronquée du Coran. En Syrie, on prétend que les Danois s’apprêtent à brûler des exemplaires du Coran sur la grand place de Copenhague!  Ils parviennent de cette manière à obtenir des manifestations de rue, qui s’étendent bientôt à d’autres pays musulmans.

Boycott suivi d’excuses

Fin janvier 2006, une chaîne de supermarchés des Emirats arabes unis annonce le lancement d’une campagne de boycott des produits danois. Le chef spirituel des frères musulmans appelle au boycott des produits danois. Or, le chiffre d’affaires d’un groupe laitier danois atteignait, au Moyen Orient, 1,5 millions de dollars par jour!

Les pays musulmans veulent obtenir les excuses du Danemark; certains vont même plus loin en souhaitant l’adoption de lois anti-blasphème.
Le premier ministre danois s’exprime alors à nouveau. Adoptant un profil bas, il affirme respecter toutes les religions, tout en tentant d’expliquer qu’il ne dirige pas les journaux. Quelques jours plus tard, le rédacteur en chef du Jyllands-Posten présentera ses excuses et celles du journal par écrit.
Lâchage international

Aucun pays n’a soutenu le Danemark. Mohamed Sifaoui en est scandalisé. En France, Jacques Chirac a même pris position contre la publication des caricatures.

Or, cette affaire est pour lui extrême­ment importante dans le combat à mener contre l’islamisme, qu’il définit de la façon suivante: «une idéologie fasciste instrumentalisant une religion à des fins de pouvoir»(p.10).

L’affaire des caricatures tend à nier l’existence de musulmans «qui refusent de concevoir leur vie exclusivement autour de la religion» et de laisser celle-ci aux mains d’une idéologie rétrograde (p.15). Mohamed Sifaoui – qui est bien évidemment l’objet de menaces de mort – a tenu à nous faire savoir qu’il existe de nombreux musulmans démocrates, soucieux de liberté d’expression, qui «savent apprécier l’humour contenu dans une caricature et peuvent, quand c’est le cas, se montrer indulgents devant une caricature de mauvais goût»(p.12). Ne réalisant pas d’actions spectaculaires, ces musulmans n’appa­raissent que rarement dans les médias.

Son livre courageux, qui relate notamment son enquête dans les milieux islamistes danois, est certainement à recommander.


Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

Untitled document

L’AFFAIRE DES CARICATURES
Dessins et manipulations
Mohamed SIFAOUI
Editions Privé
Septembre 2006
178p – 18 Euros

 
     

     
   
   


haut de page

Banc Public - Mensuel indépendant - Politique-Société-environnement - etc...
137 Av. du Pont de Luttre 1190 Bruxelles - Editeur Responsable: Catherine Van Nypelseer

Home Page - Banc Public? - Articles - Dossiers - Maximes - Liens - Contact