Un autre point de vue sur le voile

Banc Public n° 292 , Juin 2021 , Frank Furet



Née au Maroc, réfugiée en Europe puis devenue française, Zineb El Rhazoui est professeure d’Arabe, sociologue des religions et journaliste. Elle est l’une des survivantes du massacre de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015. Militante féministe et laïque, elle est persécutée par les islamistes et la femme la plus protégée de France, sous protection policière. 

 

Pour Zineb El Rhazoui : «le voile est une technique de marquage visuel non pas de celles qui le portent, mais de celles qui ne le portent pas. Au Maroc le voile est apparu dans les années 80 avec certaines filles des milieux universitaires des grandes villes proches des organisations islamistes naissantes. La radicalisation montait peu à peu. À l’époque, on pouvait porter une jupe et utiliser les transports en commun, aujourd’hui seules les femmes qui possèdent une voiture peuvent s’habiller relativement comme elles le veulent.

 

Certaines féministes ont capitulé depuis longtemps dans cette guerre que mènent les islamistes. Ainsi, pour ne pas se faire traiter d’islamophobes, elles acceptent la tutelle masculine sur les musulmanes notamment sous la forme du voile. Or ce voile sous toutes ses formes est loin d’être une banale étoffe synonyme de liberté d’expression, de droit de s’habiller comme on veut, de symbole de pudeur, ou de spiritualité. C’est bel et bien un instrument militant sexiste, pour faire avancer le fascisme islamique en domestiquant les femmes. Contraindre une femme à porter un vêtement qu’elle n’a pas choisi est une violence, mais, plutôt que d’en sanctionner l’auteur, ces féministes proposent de s’en accommoder.»

 

Les burkinis apparaissent, maintenant que des islamistes ont donné des coups de couteaux à des femmes en bikini. Il y a eu des pages entières de slut shaming (*) sur facebook, où des islamistes balançaient des photos de femmes en maillot de bain pour dire: «Regardez ces mécréantes, ces salopes». «Les plages marocaines ne sont pas en train de se remplir de burkinis, elles sont en train de se vider de femmes » estime Zineb El Rhazoui.

 

Selon elle, il y a aussi une partie du mouvement féministe, «qui admet le voile comme une ''liberté'' alors qu’il sert de technique de marquage visuel non pas de celles qui le portent, comme elles le prétendent en France, mais de celles qui ne le portent pas dans les pays où il est obligatoire légalement ou socialement. Ne pas porter le voile dans un contexte où il prolifère, c’est être immédiatement identifiée comme non-adhérente à l’idéologie islamiste.»

 

Zineb El Rhazoui peut concevoir que celles qui portent aujourd’hui le voile, intégral ou non, n’ont pas été forcées manu militari à le faire, mais au cours de la décennie noire en Algérie, des centaines de milliers de femmes ont fait ce ''choix libre'' d’un seul coup. « C’est quand même curieux » estime-t-elle.

 

Wassyla Tamzali, écrivaine et militante féministe algérienne, explique que le voile n’est pas un choix, mais un consentement : «tant qu’il y a des endroits où les femmes sont couvertes de la tête aux pieds et qu’elles sont fouettées par la police religieuse si elles ne le font pas, qu’on ne vienne pas me parler de choix.»

 

Pour Zineb El Rhazoui, celles qui parlent de choix en France sont en réalité soit des femmes qui ont consenti à porter le voile, soit des militantes de l’idéologie islamique qui empruntent les outils dialectiques des droits de l’homme et des libertés individuelles pour justement imposer la négation des droits de l’homme et de la liberté. Cet habit est un uniforme en Arabie saoudite et dans d’autres pays.

 

«Ceux qui tiennent des propos qualifiés d’ ''islamophobes'' en Europe, dans le monde musulman, seraient mis en prison, fouettés, agressés ou assassinés. Là-bas, les islamistes disposent de moyens légaux pour faire taire tous ceux qui critiquent leur idéologie. En Europe, ils n’ont pas ces moyens-là et ils ne peuvent pas nous mettre en prison. Ils peuvent soit nous assassiner, comme ce qu’ils ont fait avec la rédaction de Charlie Hebdo. Ou alors s’ils ne veulent pas emprunter la voie terroriste, le seul moyen qui leur reste est de recourir à cette ruse sémantique qu’est l’islamophobie. Critiquer leur idéologie, c’est être raciste, puisqu’elle serait inhérente à leur race… »

 

«Le différentialisme culturel prôné par certains antiracistes», conclut Zineb El Rhazoui, «est l’antithèse de l’antiracisme. Accepter une idéologie totalitaire qui réprime les femmes, les homosexuels et l’altérité de façon générale, comme étant l’expression légitime d’une différence culturelle, c’est dénier à certaines cultures les droits que l’on admet pour soi. Les droits humains, l’égalité homme-femme, ne sont pas l’apanage des blancs, ils sont faits pour tout le monde. La forme de racisme la plus pernicieuse, c’est celle qui consiste à considérer les ''musulmans'' comme une race/culture/religion condamnée à être régie par sa coutume. Encenser les lumières quand il s’agit de culture occidentale et la dénier à l’Islam (avec un grand I), c’est ça le racisme.»

 


Frank Furet

     
 

Biblio, sources...

  • * slut shaming : cette expression, traduisible en français par ''intimidation (ou humiliation) des salopes'' ou ''couvrir de honte les salopes'', regroupe un ensemble d'attitudes individuelles ou collectives, agressives envers les femmes dont le comportement sexuel serait jugé ''hors-norme''.

  • «Le voile est une technique de marquage visuel non pas de celles qui le portent, mais de celles qui ne le portent pas», Zineb El Rhazoui, Feminist Resources, 5 avril 2020


 
     

     
   
   


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