ETUDIER LE TERRORISME

Banc Public n° 244 , Janvier 2016 , Catherine VAN NYPELSEER



Dans les Banc Public précédents, nous avons signalé plusieurs ouvrages récents en relation avec les attentats terroristes et leur contexte. Le livre de Montasser ALDE'EMEH, "POURQUOI NOUS SOMMES TOUS DES DJIHADISTES", publié mi-juin 2015 (après les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Casher début 2015, mais avant les attentats de Paris du vendredi 13 novembre dernier) constitue une somme d'informations et de réflexions originales incroyablement utile pour qui souhaite tenter de comprendre ce phénomène d'actualité.

 

 

L'auteur est un jeune chercheur néerlandophone (multilingue) de l'Université d'Anvers, d'origine palestinienne, qui termine un doctorat sur "l'extrémisation violente des jeunes musulmans" (p.8) de Belgique. Il a été capable d'étudier ce phénomène de l'intérieur, en se servant de sa propre expérience de vie et en prenant le risque (social, danger de mort …) de contacter de jeunes djihadistes belges partis en Syrie et de les y rejoindre en juillet 2014 pour y étudier leurs motivations.

 

Ce jeune homme de 26 ans environ a aussi été capable de créer un "centre de déradicalisation" intitulé "De Weg Naar" (en néerlandais, 'le Chemin vers…'), qui tente d'apporter une aide sociale et des connaissances sur l'Islam, la culture arabe… cette activité en synergie avec son travail de recherche.

 

Souffrance

 

La première chose qu'il rappelle, c'est la souffrance de ces jeunes qui choisissent de se donner la mort. Ceux qui commettent des attentats-suicide souhaitent mourir. Leur dépression (pour échapper à un état dépressif) est telle qu'ils choisissent la mort pour y échapper.

 

Haine

 

Ceux qui entraînent volontairement d'autres personnes dans la mort souffrent aussi "la Haine".

Ce sentiment sociologique est très bien décrit dans le livre.

 

Importance d'Israël

 

C'est la première fois que l'on parvient aussi bien à me faire comprendre comment la présence d'Israël est ressentie par les jeunes Arabes d'ici et de là-bas, et l'importance affective que ce conflit représente pour des musulmans qui ne sont pas directement concernés. En fait, ils voient sans-cesse à la télévision (notamment les chaines satellites) des images désespérantes et révoltantes de jeunes, auxquels ils s'identifient, commettre ou subir sous leurs yeux des actes d'une violence terrifiante. Ces drames génèrent chez certains une volonté de réagir, de se battre à leur tour pour protéger leurs "semblables", une personne âgée, un enfant.

 

Islam

 

La religion est très présente dans le livre. Elle est présentée de manière concrète, via des dialogues retranscrits, par exemple, et aussi théorique car Montasser Alde'Emeh est capable de rédiger une structure arborescente logique qui permet de structurer des connaissances théoriques sur l'islam, qui sont en général plus difficile à mémoriser sans cela.

élite palestinienne

 

Parmi les jeunes djihadistes, les Palestiniens bénéficient d'un respect particulier.

 

Jeunesse

 

Dans l'ensemble des trajectoires de vie qui transparaissent dans cet ouvrage, il est évident que des jeunes sont capables d'actions et de choix dès un âge bien inférieur à celui de la majorité légale dans les sociétés occidentales (18 ans actuellement en Belgique).

 

Quand on lit ces récits de jeunes femmes parties "dans un pays en guerre" avec leur compagnon ou mari, qui y tiennent un ménage, y mettent au monde des enfants qu'elles ont désirés (voir l'article du Banc Public d'octobre 2015 intitulé "Sans ma fille" sur le livre-témoignage d'une Maman française sur l'histoire de sa fille, "Embrigadée") , ou ces jeunes hommes qui assument leur couple, leur paternité, et se battent avec compétence militaire et courage, on repense à l'adage: "La valeur n'attend pas le nombre des années".

 

Dans un autre contexte, je me souviens d'avoir lu que de jeunes ingénieurs s'expatriaient jadis au Congo belge car ils pouvaient y obtenir directement des responsabilités qu'on ne confiait qu'à des ingénieurs chevronnés en Europe, après une longue carrière dans une structure hiérarchique.

 

On sait les ravages de l'inactivité sur la personnalité, le lien social. Les jeunes musulmans qui ont un physique 'typé' ou un habitat dans des quartiers "communautaires" subissent des discriminations réelles lorsqu'ils sont à la recherche d'un emploi.

 

Chômage

 

Celles-ci continuent lorsqu'ils sont parvenus à en décrocher un, comme pour ce jeune homme dont Montasser Alde'Emeh décrit la persécution par un agent de police d'Anvers à chaque fois qu'il essaie de garer sa camionnette de livreur.

 

Pour les filles, j'avais écrit un article d'opinion sur le problème du voile, opinion qui différait de celle du Gerfa ( "Veuillez cacher ce voile" dans le Banc Public n°189 d'avril 2010, site www.bancpublic.be ). Le fait d'interdire cette pièce de vêtement lorsqu'elle ne dissimule pas le visage conduit selon moi à des contradictions insurmontables. Ceux qui revendiquent une telle interdiction commettent une erreur lourde de conséquences sociales et psychologiques.

 

Dans le livre, on voit que le fait d'imposer l'absence de voile sur les cheveux complique la recherche d'emploi des jeunes filles et femmes, et révolte de jeunes hommes qui n'y voient qu'une discrimination à l'encontre de leurs "soeurs" ou mères, et de leur religion.

 

Critique du mode de vie occidental

 

Le livre de Montasser Alde'Emeh apporte encore un autre élément très intéressant: l'importance dans la trajectoire de vie des jeunes djihadistes de la critique du mode de vie Occidental induit par la structure capitaliste de l'économie. "Perdre sa vie à la gagner" est un danger auquel essaient à juste titre d'échapper les jeunes générations.

 

Autant vaut-il alors (risquer de) la perdre dans un combat qui en vaille la peine à leurs yeux, puisque leur vie est de toute façon perdue, gâchée, croient-ils dans leurs moments de désespoir.

 

Religion

 

La religion joue bien sûr un rôle très important dans le phénomène des jeunes djihadistes. Mais quelle religion? Souvent, ils ne connaissent que très peu de choses de l'Islam, et adaptent à leur manière leur vision de la religion à leur besoin de structurer leur vie et d'échapper ainsi à la dépression nerveuse et au désespoir.

 

Ainsi, ces mouvements comportent des jeunes musulmans d'origine, mais aussi des convertis élevés dans la religion catholique, à la recherche d'une religion simplifiée, orientée vers la vie pratique, qui leur permette de mener une vie digne en en respectant les préceptes, sans devoir se préoccuper de questions compliquées sensibles affectivement comme la permission ou la diabolisation de l'homosexualité.

 

On a ainsi l'impression d'une communauté de jeunes qui se soutiennent mutuellement pour protéger leurs amis du péril du désespoir.

 

Psychodrame

 

Comment ne pas penser à cette technique psychothérapeutique - comme si elle était mise en œuvre par ces jeunes et leurs mentors dans leur quête de l'équilibre psychique - lorsque l'on apprend des drames comme l'assassinat d'une Maman par son propre fils au motif qu'elle l'avait supplié de quitter l'organisation Etat Islamique. Il ne s'agit hélas pas d'une rumeur fumeuse née dans le cerveau pervers d'un psychologue occidental, mais bien d'un fait journalistique établi jusqu'à preuve du contraire:

 

"Un djihadiste syrien de 20 ans a exécuté en public sa mère qui avait tenté de le convaincre d’abandonner le groupe État islamique (EI), a affirmé l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).

La mère, une postière de 40 ans, a effectué les 50 km reliant Tabaqa, où elle habite, à Raqqa, capitale de facto de l’EI, pour implorer son fils de la suivre en lui exprimant ses craintes qu’il trouve la mort dans des bombardements de la ville par la coalition conduite par les États-Unis.

Le jeune homme, qui a appartenu successivement aux modérés de l’Armée syrienne libre (ASL) et au Front Al-Nosra, branche syrienne d’al-Qaida, avant l’EI, a aussitôt informé ses supérieurs qui ont arrêté cette femme.

Il a ensuite abattu mercredi sa mère d’une balle dans la tête devant une centaine de personnes rassemblées sur une place de Raqqa face à la Poste."

(Belga, www.dhnet.be du Vendredi 8 janvier 2016 à 13h).

 

Il ne reste plus qu'à souhaiter bonne chance au précieux fils en question le jour éventuel où il reprendra ses esprits et prendra pleinement conscience de l'acte qu'il a commis.

 

Conclusion

 

Banc Public recommande vivement à ses lecteurs de lire le livre de Montasser Alde'Emeh. Bien qu'il contienne une somme de connaissances du niveau d'une thèse universitaire, il est écrit sur un mode passionnant basé sur l'aventure personnelle de ce jeune chercheur qui s'est rendu en Syrie dans le cadre de sa thèse de doctorat, muni d'une lettre officielle de son Professeur de l'Université d'Anvers.

 

Ce livre présenté sans prétention par son éditeur comme "Témoignage & Document" constitue en fait une somme de connaissances structurées très intéressante à lire, avec des allers et retours entre le passé et la réalité actuelle, la culture théorique et les aventures de l'auteur, l'actualité du terrorisme dans le monde, etc.

 

Le présent article n'aborde qu'un tout petit sous-ensemble des thèmes abordés, car l'ouvrage est extrêmement dense et riche.

 

Son auteur est un érudit dont la Belgique peut être fière.

 

Il informera à peu de frais nos lecteurs travaillant à la Sûreté de l'Etat, les journalistes, les spécialistes du terrorisme, dont les magistrats, les policiers, et tous les citoyens qui se sentent concernés par ce phénomène actuel très inquiétant.

 

A le lire, on repense encore à un beau roman de Christiane Rochefort, paru en 1975: "Encore heureux qu'on va vers l'été" où elle racontait une épidémie incompréhensible de départ de jeunes filles (et jeunes hommes) vers le Sud de la France. Sauf que la violence était absente de cet épisode de fiction décrit sur un ton journalistique.

 

On espère que l'une ou l'autre petite coquille laissée dans le texte ne découragera pas nos fidèles lecteurs.


Catherine VAN NYPELSEER

     
 

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