BONS BAISERS DE FRANCE

Banc Public n° 269 , Juin 2018 , Catherine VAN NYPELSEER



Au moment où la Sûreté de l'État belge reçoit exceptionnellement un budget supplémentaire de 15 millions d'euros, le travail minutieux de recherche historique de Jean-Christophe Notin: "Le Maître du secret - Alexandre de Marenches, légende des services secrets français"(*) sur l'action et la personnalité d'une grande figure des services secrets français de 1970 à 1981 nous a paru pouvoir intéresser nos lecteurs.

 

Le comte Alexandre de Marenches, dernier du nom, fut nommé par le président français Pompidou, successeur du général de Gaulle, à la tête du Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (S.D.E.C.E.), ancêtre de l'actuelle D.G.S.E. (Direction Générale des Services Extérieurs), juste après la fumeuse affaire Markovich au cours de laquelle certains avaient voulu faire croire à l'implication de l'épouse du président.

 

Marenches était une personnalité originale, un self-made man qui n'avait pas été formaté par le système éducatif français. Né en 1921, ayant perdu son père à l'âge de dix ans, il fut dispensé de faire des études par la seconde guerre mondiale. Franchissant les Pyrénées fin 1942, à 21 ans (l'âge de la majorité légale), il part se battre avec l'armée française en Afrique puis en Italie. Recherchant les occasions de monter au front, courageux au combat, il subira des blessures à la jambe par éclats d'obus qui le handicaperont pour le reste de sa vie.

 

Il revient en France dans le sillage du célèbre général Juin, grand stratège militaire, condisciple de de Gaulle, qui mettra au service des Alliés le talent d'interprète du jeune homme, ses relations faciles avec les anglo-saxons (sa mère est issue d'une riche famille américaine), sa capacité à garder des secrets, puisqu'il est admis aux discussions ultra-confidentielles dans la salle des cartes du commandement allié, en compagnie de généraux américains dont certains l'ont connu enfant puisque son père, qui les avait connus pendant la première guerre, les invitait dans leur propriété de Normandie.

 

Après des années dans l'économie privée, il sollicite et obtient d'être nommé – en fait parachuté, puisqu'il n'a jamais travaillé pour l'État mis à part ses activités militaires pendant la guerre – par Pompidou à la direction du service public de renseignement.

 

Action

 

Son action commence par une "purge d'anthologie" dès le premier jour de sa prise de fonction. Certains chefs de service, sommés de se présenter, répondent "je suis le chef de tel service" avant de se voir rétorquer: "vous étiez!".

Ensuite, Marenches développe sous Pompidou un service "Action" comportant des militaires, qu'il emploiera principalement sous le Président suivant, Giscard d'Estaing, avant de démissionner lors de l'élection de Mitterrand à cause de la présence de ministres communistes au gouvernement.

 

C'est après son départ que se produira la désastreuse affaire du navire de Greenpeace, coulé le 10 juillet 1985 en Nouvelle Zélande, noyant un photographe japonais, parce qu'il perturbait (intentionnellement) les essais nucléaires français dans le Pacifique.

 

Conception

 

A cause, selon Jean-Christophe Notin, de son milieu social, vieille noblesse française et riche famille américaine, Marenches, un homme duXVIIe siècle, ne pouvait qu'être intrinsèquement hostile au communisme. Pour lui, il frôle même la paranoïa en attribuant au KGB la mort de son fils unique dans un banal accident de mobylette au tout début de son mandat.

 

En lisant son livre, on est replongés dans l'ambiance de la guerre froide, où le monde était partagé en deux blocs, pro-occidental et pro-soviétique, et chaque mouvement politique s'opposant à un gouvernement en place n'importe où sur la planète était soutenu ou supposé soutenu par la patrie de l'hérésie communiste.

 

Contre l'athéisme ou la "religion communiste", les Français et les Américains encourageront l'islam et l'islamisme, un jeu stratégique contraire à leurs convictions ou leurs racines chrétiennes, dont nous payons les conséquences terroristes aujourd'hui, alors que l'ennemi soviétique s'est effondré comme une baudruche en 1989.

 

Stratégies

 

Le comte se sert de ses bonnes manières et de la fascination exercée par la noblesse française ayant survécu à la révolution pour nouer des relations personnelles suivies avec des chefs d'Etat étrangers: le Shah d'Iran, le Roi du Maroc, le président Mobutu…

 

Il sera la cheville ouvrière d'une organisation internationale fédérant de tels chefs d'État et leurs services de renseignement, le "Safari Club", qui lui permettra de mettre en œuvre les moyens financiers de pays pétroliers pour des actions à l'étranger.

 

Le Safari Club

 

"Dans ses Souvenirs, Marenches en fait remonter l'idée au premier choc pétrolier de 1973, lorsque l'effondrement des économies de l'Ouest risquait d'entraîner celui du Moyen-Orient. Pourquoi ne pas rassembler 'quelques représentants clés du monde musulman et de l'Occident pour former un front uni contre les éléments plus irresponsables qui pourraient profiter de la crise pour provoquer une confrontation militaire ou diplomatique sur une échelle globale'?"

 

La réalisation n'apparaît qu'en 1976 dans les agendas de Marenches retrouvés par Jean-Christophe Notin dans une cave de la villa de la famille: "Triangle : Séoul-Téhéran-Le Caire, écrit-il le 7 janvier en prélude à une rencontre avec le président de la République. État-major au Caire, AM conseiller". "Mais le triangle devient rapidement carré car le Maroc est intégré dans ce qui passera à la postérité sous le nom de 'Safari Club' " (p.300).

 

Révélé dans les années 1980 par un journaliste égyptien, "un voile de mystère recouvre le Safari Club qui n'est en fait que l'affirmation d'une coopération interservices comme il peut en exister dans d'autres domaines et à d'autres époques" (p.301).

 

Une première intervention se déroule au Zaïre en 1977, pour contrer l'action de Katangais prétendument encadrés de Cubains. Un commando de sept hommes du service action suivis de deux bataillons de 1.500 soldats marocains viennent rétablir le pouvoir de Mobutu et protéger les Européens résidant à la ville minière de Kolwezi.

 

Conclusion

 

Le livre de Jean-Christophe Notin sur Marenches ne manque pas d'intérêt, mais son abord est relativement difficile pour qui n'est pas parfaitement au fait de l'histoire détaillée de la France depuis la seconde guerre mondiale.

 

De plus, il se lit en complément de celui de 1986 relatant la longue interview de Marenches par Christine Ockrent, "Dans le secret des princes"(éd. Stock), un immense succès de librairie après leur passage à l'émission Apostrophes, que nous avons pu nous procurer au centre de documentation du Gerfa. Notin prend beaucoup de soin à vérifier et corriger les assertions de Marenches sur son passé pendant la guerre puis sur son action comme directeur général du S.D.E.C.E.

 

On referme ces deux livres avec un sentiment de tristesse sur la fin de cet homme qui a tout perdu avant de mourir en 1995, même son meilleur ennemi l'Union Soviétique, et a participé - avec la meilleure volonté du monde - à l'encouragement du terrorisme islamiste pour contrer le péril communiste. 



Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

(*) "Le maître du secret

Alexandre de Marenches

Légende des services secrets français"

par Jean-Christophe Notin

Éditions Tallandier

Mars 2018

502 p., 20,90€

 
     

     
 
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