$startRow_categb = $pageNum_categb * $maxRows_categb; ?> Feu la Terre
Feu la Terre

Banc Public n° 282 , Décembre 2019 , Catherine VAN NYPELSEER



Un des épouvantables paradoxes du changement climatique est qu'il affecte de la manière la plus perceptible des zones situées loin de celles qui produisent la pollution entraînant ce changement des paramètres de notre planète. Depuis longtemps, les experts qui en dissertaient avaient mis en évidence de terrifiants effets de seuils, qui une fois franchis empêchent le retour en arrière, et peuvent entraîner des conséquences en chaîne gravissimes, amplifiant les effets de ces modifications de façon totalement incontrôlable par l'humanité.


Nous y sommes peut-être arrivés dans le domaine des feux de forêt.

La philosophe française Joëlle Zask, après y avoir été confrontée dans sa région du sud-est de la France, s'est documentée sur le sujet et nous communique le résultat de ses investigations dans son récent livre intitulé "Quand la forêt brûle" (*), sous-titré "Penser la nouvelle catastrophe écologique", aux éditions Premier Parallèle.

 

Mégafeux

 

La première notion qu'elle met en évidence est le nouveau phénomène de mégafeu, un feu de forêt d'une ampleur inconnue.

 

Le cas emblématique qui a déterminé l'apparition dans les médias de ce nouveau mot comprenant le préfixe méga, issu du grec ancien mégas signifiant grand, est le mégafeu qui a détruit la ville de Paradise aux États-Unis (Californie) en 2018, en tuant 85 personnes, en dépit de tous les moyens technologiques et humains déployés par la société la plus industrialisée du monde.

 

Le phénomène de mégafeu est en cours de définition par les milieux spécialisés: pour recevoir cette qualification aux États-Unis, un feu de forêt doit s'étendre au moins sur 10.000 hectares, contre 1.000 en Europe.

 

Il s'agit d'un phénomène nouveau, extrêmement inquiétant à la fois au niveau local quand on y est confronté, et global, pour ce qui concerne l'évolution écologique de notre planète.

 

Localement, ces feux sont impossibles à éteindre quels que soient les moyens déployés. Les habitations ne peuvent même pas être sauvées, et les personnes qui y sont piégées, à cause de la rapidité – un terrain de football par seconde ! - et de l'imprévisibilité de sa propagation, ne peuvent même plus être identifiées vu les températures atteintes. Quand au couvert végétal, sur certains types de terrains il ne reviendra pas sous notre ère vu que sa destruction profonde entraine la disparition des sols sous l'effet ultérieur du lessivage par les pluies.

 

Globalement, les mégafeux, 3% des incendies selon un article de Science & Vie, "sont responsables de plus de 50% des surfaces brûlées de la planète", et ils se multiplient, sous les effets de "la pression humaine, l'état des forêts, et surtout la chaleur et la sécheresse liées au réchauffement"(1).

 

Selon un expert cité par cet article, "un incendie est un phénomène non-linéaire: passé un certain seuil, il change de nature et manifeste de nouvelles propriétés". Les mégafeux sont "ultradynamiques" et se déplacent à des vitesses horaires correspondant à la propagation journalière des feux de forêt. En outre, loin de se limiter à détruire la végétation basse, ils montent bien au-dessus les cimes des arbres dont ils détruisent jusqu'aux racines dont on retrouve parfois le moulage en creux dans le sol.

 

Au contraire des incendies de forêt d'intensité modérée ou des brûlages dirigés des peuples autochtones, les mégafeux ont un rôle hyper destructeur pour la biodiversité. Ils

provoquent la désertification et l'anéantissement des sols formés par la végétation et sa décompososition pendant des millions d'années.

 

En outre, les mégafeux accentueront le réchauffement climatique qui les favorise, un terrible cercle vicieux:

"Des forêts brûlent alors qu'elles sont ou étaient des puits de carbone et protégeaient aussi contre d'autres catastrophes (érosion, coulées de boues...). Dans une boucle de rétroaction positive, ces feux contribuent probablement à entretenir le réchauffement, qui lui-même aggrave le risque "Incendie de forêt" (Wikipedia "Feu de forêt" consulté le 04/02/2019).

Le nouveau livre de Joëlle Zask a donc pour premier mérite d'attirer l'attention et de fixer les idées sur le nouveau phénomène des mégafeux, qui n'avait fait que passer dans le défilement médiatique, avant les dramatiques incendies d'Amazonie, de Russie cet été puis d'Australie cet hiver.

 

"Complexe industriel du feu"

 

Joëlle Zask consacre un chapitre à la "Naissance du complexe industriel du feu" (pp. 45-52). Ainsi, "Plus les feux menacent les individus et leurs biens, plus les moyens de lutte doivent être importants; plus il semble essentiel de dominer la nature, plus les efforts pour agir conformément à ce paradigme sont intenses. (...) C'est pourquoi la réponse au mélange intime formé par la peur des feux et la foi en la puissance des solutions techniques a naturellement permis le développement d'un nouveau phénomène de mieux en mieux identifié, 'le complexe industriel du feu'. Ce dernier relève d'une logique paramilitaire et fait appel à une masse vertigineuse de matériel: hélicoptères, produits retardants et extincteurs, canadairs, personnel, véhicules, formation et recherche, réservoirs d'eau, instruments fixes ou mobiles en tout genre, le tout pour un coût abyssal."

 

La philosophe pointe directement un paradoxe désolant: "La guerre contre le feu et la protection des personnes justifient des investissements si lourds qu'ils absorbent une partie croissante du budget des services des forêts dans le monde. Faute de moyens suffisants consacrés à leur entretien, celles-ci brûlent d'ailleurs de plus belle."

En d'autres termes, pour jouer à la guerre avec le feu, une guerre perdue d'avance avec les nouveaux mégafeux qui ravagent définitivement d'immenses territoires et détruisent irrémédiablement d'extraordinaires écosystèmes uniques et irremplaçables, on ne pratique plus l'entretien des forêts permettant de prévenir ces catastrophes qui se multiplient ces dernières années: "La célébration publique de la technologie de pointe en matière de lutte contre les feux témoigne de la persistance du paradigme de la maîtrise et de la domination que, pourtant, les faits démentent massivement."

 

Dernière actualité australe

 

Pendant que nous travaillons à cet article, une nouvelle dépêche (2) rapporte la formation d'un nouveau mégafeu par fusion d'incendies en Australie, à 1h de route au nord de Sydney. Selon un haut responsable des pompiers, plus de huit feux se sont rejoints en un gigantesque brasier brûlant sur 300.000 hectares, sur une longueur de 60 km.

 

Comme décrit dans le texte de Joëlle Zask, le chef des pompiers "fait état d'une forme d'impuissance des pompiers face à l'ampleur du brasier. Les soldats du feu en sont réduits à organiser les évacuations d'habitants, à tenter de protéger des habitations et à espérer une fin rapide de la sécheresse et des vents qui contribuent à attiser les flammes."

 

Puisque l'Australie se trouve dans l'hémisphère sud, "les incendies sont courants à l'approche de l'été austral," (pendant notre hiver) "mais ils sont apparus très tôt cette année et sont particulièrement virulents."

 

Au matin du 7 décembre, on apprend que les feux australiens, qui provoquent une pollution orange sur Sydney, on déjà détruit deux millions d'hectares, soit la moiié de la superficie de la Suisse ! Pendant ce temps-là, des lecteurs de la DH attaquent avec grossièreté et un mépris signant leur propre médiocrité intellectuelle la place que leur média accorde à la courageuse Greta Thunberg… Devra-t-on attendre la fin de l'humanité pour être débarassés de ces nuisibles ?

 

Nous avions été alertés depuis 30 ans sur le réchauffement climatique, y compris sur le fait qu'il enclencherait progressivement des mécanismes irréversibles. Notre impuissance à modifier notre économie, le poids que nous avons accordé à d'incompétents négateurs du réchauffement climatique comme l'ancien ministre français Claude Allègre, et la performance technique des médias numériques, nous soumettent à présent à la sanction de devoir assister à la destruction accélérée de la plus belle nature de notre planète.

 

Pour ceux qui y sont indifférents, rappelons que l'étape suivante, ce sera l'extinction de la race humaine.

Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

(1) Les mégafeux vont devenir de plus en plus courants

(2) Les inc"endies fusiàonnent en égas feux



 
     

     
   
   


haut de page

Banc Public - Mensuel indépendant - Politique-Société-environnement - etc...
137 Av. du Pont de Luttre 1190 Bruxelles - Editeur Responsable: Catherine Van Nypelseer

Home Page - Banc Public? - Articles - Dossiers - Maximes - Liens - Contact