Des Mots pour la Terre

Banc Public n° 284 , Octobre 2020 , Catherine Van Nypelseer



Des antipodes, le philosophe australien Glenn Albrecht nous envoie les termes qu'il a créés pour nommer ce que l'éditeur français a appelé "Les émotions de la Terre"(*), de nouveaux mots dont il nous expose ses procédés de fabrication, pour caractériser les sentiments provoqués par la dévastation en cours de notre planète.


C
hemin faisant, il nous raconte aussi un peu de sa vie, en contrepoint de l'évolution de la nature de son pays, qui fait l'objet d'une destruction entamée avec l'ère de l'Anthropocène - notre époque, où de grands paramètres de la planète sont dominés par l'être humain et ses outils technologiques, dont la puissance explose après la deuxième guerre mondiale – ère dont le début coïncide avec sa naissance au début des années 1950.

 

Solastalgie

 

Le premier - et le plus connu - des nouveaux concepts dont Glenn Albrecht raconte la genèse dans son livre est la solastalgie. A partir de la nostalgie, mot inventé en 1688 par un médecin germanophone et désignant originellement le mal du pays, il a voulu mettre un nom sur les sentiments de ceux qui regrettent leur "pays" sans l'avoir quitté. En d'autres termes, sur l'émotion causée par la continuation de la vie dans un pays qui n'est plus le même, modifié par l'urbanisation, la déforestation, les mines à ciel ouvert, par des catastrophes d'origine humaine ou naturelle…

 

Le cas pratique emblématique de ce sentiment nouvellement nommé est celui des habitants de la Hunter Valley, un paradis décrit par des naturalistes au milieu du XIXe siècle, actuellement saccagée par les mines de charbon à ciel ouvert et leurs centrales de production d'électricité.

 

Au chapitre 2 qu'il consacre à ce nouveau concept, il explique avoir repris de ce modèle le "suffixe néolatin algia – souffrance, douleur, ou maladie, issu de la racine grecque algos" (p. 61).

 

Quant à la racine "sol", elle renvoie aux notions de "consolation" "le soulagement de la détresse, le réconfort reçu lors de moments difficiles" et "désolation" qui "signifie la dévastation, la privation de confort, l'abandon et la solitude" (pp. 74-75).

 

Le mot solastalgie est donc créé pour décrire "la douleur ou la détresse causée par une absence continue de consolation et par le sentiment de désolation provoqué par l'état actuel de son environnement proche et de son territoire. Il s'agit de l'expérience (…) d'un changement environnemental négatif, ressenti comme une agression contre notre sentiment d'appartenance à un lieu." C'est "un trouble chronique, lié à l'érosion graduelle de l'identité créée par le sentiment d'appartenir à un lieu aimé" (p. 76).

 

Pour son auteur, "il est bien différent de la nostalgie anciennement définie comme une souffrance liée à un sentiment de dislocation spatiale causé par l'éloignement physique.

La solastalgie est le mal du pays éprouvé alors que vous vivez toujours chez vous (…)".

 

Deux écueils sont à éviter pour la bonne compréhension du nouveau concept introduit par Glenn Albrecht : il ne s'agit ni d'une maladie mentale au sens psychiatrique, ni d'une réaction à une évolution de l'environnement humain comme par exemple l'arrivée de nouveaux habitants étrangers d'un type ethnique différent et/ou pratiquant une autre religion…

 

Terranasciant v/s terraphthorien

 

Pour Albrecht "Les forces émotionnelles caractérisant l'univers se tiennent entre deux pôles. Ce que j'appelle le terraphtora : l'ensemble des forces destructrices de la Terre, et le terranascia : l'ensemble des forces créatrices de la Terre" (du latin terra et nasci, être né et du grec phtora, destruction). (p.17)

 

L'interaction entre ces deux types de forces a toujours fait partie de l'histoire de l'humanité. Celle-ci ne subsistera que tant que les émotions terranaissantes supplanteront les émotions destructrices.

 

Symbiocène

 

Après l'Anthropocène, courte ère dont la durée ne s'étend que sur une génération, au contraire des grandes ères géologiques qui ont duré des millions d'années, le philosophe aspire à l'avènement d'une ère nouvelle, qu'il a appelée le "symbiocène".

 

En effet, l'Anthropocène représente pour lui "le règne de la dysbiose", "c'est-à-dire la rupture des liens vitaux entre les espèces symbiotes, engendrant la mauvaise santé et la mort possible du biome à tous les niveaux d'organisation de la vie, du microbiome au macrobiome. Par exemple, la perte des relations symbiotiques des arbres-mères détruit l'intégrité et la santé des écosystèmes forestiers. L'utilisation agricole de tous les produits en –cides, ces tueurs de la vie, supprime la symbiose dans les sols […]. Le réchauffement et l'acidification des océans tuent les relations symbiotiques qui constituent les récifs coralliens. A tous les échelons, les liens entre les espèces symbiotes maintiennent et perpétuent la vie et la santé de tous les organismes vivants, humanité incluse". (pp. 295-296)

 

La "Génération Symbiocène" devra identifier et maintenir les liens vitaux, et en créer de nouveaux, en restaurant "la santé des écosystèmes des îles, des continents et du monde entier".

 

Paysages

 

Au-delà de ces considérations plutôt théoriques, il est frappant de constater la place importante que Glenn Albrecht accorde aux paysages et à leur influence sur les êtres humains dans sa perception des émotions du monde.

 

En particulier, l'exemple qu'il donne du drame vécu par une dame vivant dans les montagnes Appalaches nous a renvoyé à un vécu dans notre belle région wallonne. Ecoutons d'abord le témoignage poignant de Maria Gunnoe en 2009: "Me voici donc assise sur ma terrasse. C'est l'endroit que j'aime le plus au monde – je préférerais être là plutôt que n'importe où ailleurs, et je me suis rendue dans bien des endroits. La situation telle qu'elle est aujourd'hui, avec tous les nouveaux permis que j'ai vus la semaine dernière, c'est qu'ils veulent faire exploser la montagne que je vois depuis ma terrasse. Je vais m'installer pour voir ça, et je suis censée ne pas réagir. Ne réagissez pas, restez juste là et supportez. Ils vont faire exploser mon horizon. Et je suis censée dire "OK. C'est bon pour l'intérêt général" "(p. 86).

 

Si vous longez la Meuse entre Bouge et Andenne, vous pourrez constater une situation similaire: une carrière y a supprimé une colline sur la rive gauche du fleuve. Pour en faire des gravats à étaler sur les routes, comme les magnifiques eucalyptus géants australiens qui sont abattus pour produire… des mouchoirs en papier ?


Catherine Van Nypelseer

     
 

Biblio, sources...

(*) Les émotions de la Terre

Des nouveaux mots pour un nouveau monde

par Glenn Albrecht

Editions LLL Les Liens qui Libèrent

Février 2020, 332 p – 23 €

 
     

     
 
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