Rédemptions

Banc Public n° 141 , Juin 2005 , Frank FURET



La fortune de Sasakawa semble inestimable, en milliards de yens. On l'a vu, elle provient, avant guerre, des pillages effectués en Chine par son armée privée. Puis du monopole sur certains jeux (les courses de hors-bord), sans parler des activités traditionnelles des mafias : trafics, corruption, pornographie, tourisme sexuel. Il n'hésita pas à déclarer : je suis le fasciste le plus riche du monde » Après la mort de Kodama, Ryochi Sasakawa, continua ses activités diverses.

Sectes : Moon et Sota Gakkai

A partir de 1963, Sasakawa devient le principal conseiller du Révérend Sun Myung Moon. Il encourage l'expansion de l'Eglise de l'unification (secte Moon) . Avec Moon et Tchang Kaï-Chek, il fonde la Ligue anticommuniste mondiale (WALC), résultat de la fusion entre la Ligue anticommuniste des peuples asiatiques (APALC) et le Bloc des nations anti-bolcheviques (ABN). L'organisation, réunissant des factions extrémistes des services secrets états-uniens, sud-coréens et taïwanais, est à l'origine d'interventions militaires en Amérique du sud et en Asie.

Des détracteurs évoquent dans l'entourage du directeur général le rôle occulte de la Soka Gakkaï , souvent qualifiée de secte. Pur hasard, la Soka Gakkaï a obtenu en 1983 le statut d'ONG à titre consultatif auprès des Nations unies et un prix de la paix des Nations unies. Créée en 1930, la Soka Gakkaï (" Société créatrice de valeurs ") se réfère au bouddhisme de Nichiren Shôshû. Elle revendique une vingtaine de millions d'adeptes dans le monde. En priorité des décideurs économiques ou politiques

Un Yakusa Caritatif

Dans les années soixante, Ryoichi Sasakawa multiplia la création de fondations caritatives. Toutes s'impliquaient dans des campagnes humanitaires dans les pays du Sud. À sa mort, en 1995, les rênes ont été reprises par ses fils et notamment Yohei Sasakawa. Des liens n'ont jamais été démentis entre la nébuleuse Sasakawa, la secte Moon, la CIA et la fondation de l'ex-président des USA, Jimmy Carter. De là à penser que certaines visées humanitaires masquent des opérations inavouables.

Sasakawa fondera même une fondation qui porte son nom et qui pesait en 1990, 500 millions de dollars. Il investit une partie de son butin dans une fondation, la plus richement dotée avant la puissante Fondation Ford. Il ne cacha jamais son désir d'obtenir, comme son ami Jimmy Carter, le Prix Nobel de la Paix. Il n'obtiendra « que » le Helen Keller international award, le Linus Pauling medal for humanitarism et la médaille de la paix décernée par les Nations Unies.

Outre l'Afrique et l'Amérique du Sud, les instances internationales sont les cibles privilégiées des généreuses initiatives de la Sasakawa-connexion. La fondation est devenue la première donatrice des instances onusiennes. Et sans doute par hasard, des japonais ont été élus à la tête de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et de l'UNESCO. La fondation Sasakawa a été accusée de corruption au moment de l'élection du directeur général de l'OMS. Deux rapports internes à l'ONU posent directement le problème. (1)

On retrouve également la présence de la fondation Sasakawa, à l'UNESCO. Monsieur Matsuura, Directeur général de l'UNESCO a été élu en 2000, après un étonnant revirement de plusieurs délégués africains. Pour l'expliquer, il a été question de promesses et de dons effectués à des personnalités africaines par une mystérieuse fondation japonaise. À quelle stratégie mondiale cela répond-il ? À qui, en dehors des USA et du Japon, de telles pratiques servent-elles . Les États-Unis, pour lesquels la culture représente le premier poste d'exportation, sont résolument hostiles à toute convention contraignante sur la diversité culturelle. Depuis l'élection surprise en 1999 de Koichiro Matsuura à la tête de l'Unesco, plusieurs hauts fonctionnaires de l'Unesco parlent de « chasse aux sorcières » et une centaine de postes ont été supprimés au nom de la « bonne gestion ». (2)

En s'engageant dans une carrière de philanthrope, Sasakawa a investi une partie de son butin dans une fondation, la plus richement dotée avant la puissante Fondation Ford. Le budget de la Fondation Sasakawa fait oublier le passé trouble de son fondateur et attire de nombreux responsables d'organisations internationales, souvent liées aux Nations Unies, soucieux d'obtenir des fonds pour financer leurs projets. Le prix des Nations Unies pour l'environnement, le prix Sasakawa pour la santé, le prix des Nations Unies pour la prévention des catastrophes témoignent de ses efforts vers la respectabilité. En février 1978, il verse, par l'intermédiaire de sa fondation pour l'industrie de construction navale, un demi million de dollars à l'ONU et en 1979, un million à l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), devenant ainsi le plus important mécène des organisations onusiennes.

On serait presque ému. Mais tout a un prix : le clan Sasakawa (Ryoichi et ses trois fils) entend contrôler les organisations qui reçoivent ses dons. En 1996 et 1993, deux rapports internes de l'ONU mettaient déjà en évidence les irrégularités dans l'élection d'un autre japonais peu scrupuleux, Hiroshi Nakajima  à la tête de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS)  Encore une fois, le clan Sasakawa est accusé d'organiser la corruption. Reconnaissant, Nakajima fit ériger une statue de son bienfaiteur, Sasakawa, dans le hall de l'OMS à Genève. Ceci dit, l a puissante fondation nippone, principal donateur privé de l'OMS, sait se rendre indispensable : en 1996, elle verse 10 millions de dollars pour un programme d'élimination de la lèpre .

La Fondation Sasakawa cofinance aussi avec la Fondation Jimmy Carter le « Sasakawa-Global 2000 », un programme agricole destiné à une dizaine de pays d'Afrique . Une profonde amitié entre l'ex-président des États-Unis et le parrain nippon est à l'origine de cette collaboration philanthropique.

En France, une « filiale » de la Fondation a été déclarée d'utilité publique en 1990, elle finance l'Institut d'Asie orientale de Lyon, le festival d'Aix en Provence, le musée Guimet, des concerts du Théâtre du Châtelet et des activités liées au CNRS. En mars 2002, un chercheur du CRNS, Philippe Pelletier, démissionnera en apprenant que son laboratoire lyonnais, l'Institut d'Asie orientale, était subventionné par la fondation Sasakawa (l'Humanité, 26 mars 2002). Cela n'avait ému ni sa hiérarchie ni les pouvoirs publics.

Il s'est attaché à financer certains programmes de l'ONU, des programmes de lutte contre la lèpre, des initiatives sportives ou culturelles Il a créé Le Prix Sasakawa de l'environnement ; président de Development Alternatives - groupe d'organisations basé à New Delhi qu'il fonda en 1983 - il reçut les 200 000 dollars pour avoir innové et favorisé l'expansion de technologies écophiles et commercialement viables à travers le pays. Il a notamment apporté son concours à l'implantation de centrales électriques rurales alimentées par des déchets agricoles, de petites usines de recyclage du papier et d'entreprises fabriquant des toitures bon marché. L'ONG Sasakawa Global 2000, qui organise un atelier sur la planification de la campagne agricole 2003 en Afrique. Il a aussi créé Le prix Sasakawa des Nations Unies pour la prévention des catastrophes, le Prix Sasakawa pour la Santé, dans le cadre de l'OMS, et finance le programme National d'Elimination de la Lèpre au Congo, etc.

Sasakawa s'est garanti contre les critiques en pratiquant un incessant travail de relations publiques au moyen de sa Fondation créée en 1962.. C'est la fondation qui finance la bibliothèque du président US Jimmy Carter, et ce dernier tiendra à être présent aux obsèques de son donateur. Depuis toujours, la fondation Sasakawa dirige ses efforts vers le monde universitaire, pour gagner encore en légitimité et de nombreuses universités ont été démarchées. Princeton et Yale ont accepté la manne. Tout au contraire, nombre d'universités australiennes ont fait connaître leur refus d'être subventionnées par "un supporter déclaré et non repenti de Mussolini" au moyen d'un argent provenant de "recettes de jeu sous couvert de courses".

Il ne cachera pas son désir d'obtenir, comme son ami Jimmy Carter, le Prix Nobel de la Paix. Il n'obtiendra « que » le Helen Keller international award, le Linus Pauling medal for humanitarism et la médaille de la paix décernée par les Nations Unies.

Politique internationale : Sukarno, Marcos

Sasakawa a facilité le coup d'État contre le leader indonésien Sukarno et a soutenu, par l'intermédiaire d'une association d'entraide, le dictateur philippin Marcos .

C'est que le butin du Lys d'or, fruit de plus de cinquante ans de pillage systématique du Sud-Est asiatique par le Japon, est toujours l'objet de nombreuses convoitises. Les Japonais auraient dissimulé des milliers de tonnes d'or, valant des milliards d'euros, aux Phillippines a la fin de la guerre, quand les sous-marins americains les empêchaient de rapatrier leur butin de l'Asie du sud-est vers le Japon. Sous le direction de plusieurs princes imperiaux (notamment Chichibu et Takeda), l'armee japonaise aurait construits 174 tunnels aux Phillippines pour cacher ces trésors. Des milliers de prisonniers de guerre seraient morts en les construisant (ainsi que les soldats et ingénieurs japonais
La fortune de l'ex-president philipinien Marcos viendrait principalement de "quelques uns" des trésors.. Le contrôle de ce qu'il reste du butin serait un enjeu encore trop important pour que l'existence du Lys d'or soit pleinement dévoilée. L'accès aux archives fait l'objet d'un contrôle attentif de la part de la CIA. Les victimes des crimes de l'armée impériale et leurs héritiers qui osent demander des réparations légitimes se heurtent encore aujourd'hui aux moqueries : « l'or de Yamashita » ne serait qu'une légende. (3)

Démographie

La Fondation Sasakawa a été impliquée dans le scandale de la stérilisation forcée de 300 000 femmes péruviennes . L'ex-président Alberto Fujimori est actuellement réfugié au Japon ; les autorités péruviennes tentent en vain de l'extrader afin de le juger pour « crimes contre l'Humanité » et que députés péruviens suspectent d'avoir planifié la stérilisation de femmes indiennes. Entre 1995 et 2000, selon un rapport d'une commission parlementaire, 331 600 femmes ont été stérilisées et 25 590 hommes vasectomisées. La fécondité de la composante indienne du pays étant le double de celle de la population de souche européenne, à terme, les Indiens risquaient de devenir majoritaires dans leur propre pays ! Une menace que le président- apprenti-dictateur voulait vraisemblablement supprimer en initiant cette campagne de stérilisation à l'échelle du pays. Cette campagne d'eugénisme, destinée à pacifier des foyers de contestation indienne et à satisfaire le FMI qui inclut dans ses critères des exigences de contrôle démographique , a été financée principalement par l'Agence américaine pour le développement international (Usaid) et par le Fonds des Nations Unies pour la population. La Nippon Zaidan, une des annexes de la Fondation Sasakawa, avait également fourni des fonds pour cette vaste opération d'inspiration malthusienne. (4)

Mort : reprise par ses fils

A sa mort en 1995, l'héritage de Sasakawa pèse la somme de 3,8 milliards de yens (35 millions de dollars) dont une grande partie provient de bénéfices engrangés sur une activité très prisée au Japon, les paris sur les courses de bateaux et de hors-bords qui génèrent un chiffre d'affaires de 2000 milliards de yens par an. Une autre partie des revenus de Sasakawa sont issus de l'industrie du tourisme et dans leur livre sur les réseaux mafieux des Yakusa, les journalistes David Kaplan et Alec Dubro pointent l'empire Sasakawa comme "l'un des promoteurs les plus actifs du tourisme du sexe".


Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

Etat des luttes contre le crime organisé mafieux

Entretien exclusif avec le Professeur Umberto Santino, "Giuseppe Impastato", Palerme, réalisé par Chistian Pose, Tokyo/Palerme, 12 avril 2006

Voir aussi:

L'empire philanthropique Sasakawa ou le nouveau visage du crime organisé japonais à l'heure de la globalisation , Christian POSE

Sources:

(1) Le Monde, 30 septembre 2003

(2) L'Humanité, 14 octobre 2003

(3) Opération Lys d'or" (titre anglais : "Gold Warriors", Sterling et Peggy Seagrave,

(4) 300 000 Indiennes stérilisées , L'Humanité du 12 mars 2002

 
     

     
 
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