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Récupérations

Banc Public n° 139 , Avril 2005 , Frank FURET



Dans les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale, un service de contre-espionnage américain est chargé de localiser les agents Nazis, Italiens et Japonais. Plutôt que de les arrêter et de les fusiller, les autorités US vont décider d'en retourner le plus grand nombre et de les enrôler en vue de la Guerre mondiale suivante, celle qui va opposer le "monde libre" au "péril communiste". C'est de Ryoichi Sasakawa et Yoshio Kodama, dits «  les yakusas de la CIA », qu'il va être question dans ces lignes.


Avant la seconde guerre mondiale

En 1910, la Corée est totalement annexée par le Japon. Riyoichi Sasakawa met en place avec l'aide du gouvernement impérial des milices chargées de rançonner les familles de riches coréens. Officiellement, le Japon prétend protéger l'Asie du Sud-Est des colons occidentaux en fondant une « sphère de coprospérité ». En réalité, la dynastie impériale Niponne supervise une mise à sac systématique de la Corée, dérobant l'or et les ouvres d'art, détruisant le patrimoine culturel et les temples bouddhistes avec une volonté évidente d'effacer l'identité coréenne. En plus des pillages coréens, au Japon, la prostitution, les jeux et la spéculation sur les marchés du riz contribuent à asseoir la fortune se Sasakawa

En 1927, il fonde le Kokubosha (Société de défense nationale) puis, en 1931, le Kokusui Taihuto (Parti de masse des peuples patriotiques), deux formations ultra-nationalistes et est d'ailleurs rapidement emprisonné pour une tentative d'assassinat du Premier ministre de l'époque. Mais bientôt libéré. L'Empereur place sa confiance dans les patrons yakusas, soutien ultra-nationaliste. Sasakawa va rencontrer son modèle, Benito Mussolini en 1939 pour oeuver à la réalisation de l'Axe de Fer Tokyo-Berlin-Rome et militer pour une attaque directe contre les Etats-Unis. L'attaque « surprise »  de Pearl Harbor est le signal de l'offensive nipponne en Asie du Sud-Est. Le Japon envahit la Thaïlande, Sumatra, la Birmanie et s'empare de Hongkong et Guam. Il chasse le général MacArthur de son fief, les Philippines . Ryoichi Sasakawa développe une armée privée de 15 000 miliciens pour exploiter la Mandchourie et la Mongolie, parfois en collaboration avec le Kodama Kikan, une organisation fasciste dirigée par son ami Yoshio Kodama, un autre chef Yakusa. Il s'agit officiellement de contrôler la production et l'exportation de ressources stratégiques. Le territoire annexé permet au Japon de contrôler l'accès maritime aux ports commerciaux de la Chine du Nord. Le gouvernement fantoche est dominé par les tairiki ronin - officiers, seigneurs de guerre, trafiquants de drogue. Les yakusas, entreprenants, lèvent de véritables petites armées privées pour piller au nom de l'Empereur ou s'allient avec les parrains chinois du Gang vert afin de contrôler les réseaux de distribution de l'opium et de ses dérivés. Ryoichi Sasakawa et Yoshio Kodama constituent à cette occasion des fortunes colossales qui permettront après la guerre de financer la création du tout-puissant Parti démocrate libéral. Des opérations de pillage sont planifiées en connivence avec l'Empereur. Ils fondent la Compagnie des industries lourdes mandchoues, une organisation qui coordonne le développement de l'industrie et qui centralise le butin que l'armée et les yakusas arrachent à la population locale en utilisant des techniques diverses (demande de rançon, extorsion, cambriolage de banque.). . Les nouveaux territoires annexés sont donc systématiquement pillés. Une partie de l'or sera utilisée pour financer l'effort de guerre.
Après 1945

Le chef des yakusas commandant les pillages en Chine et le reste de l'Asie était Kodama . En 1945, c'est 2e homme le plus riche du Japon après l"empereur. Après la capitulmation japonaise, le général MacArthur commandant les forces d'occupation au Japon de 1945 a 1952 va collaborer avec Hirohito de manière a ce que le gouvernement américain, japonais et la famille impériale se partagent le butin. Les Etats-Unis déclarent alors le Japon en banqueroute pour éviter qu'il ne soit forcé de rendre les richesses pillées. Les Etats-Unis vont ensuite utiliser cet or (des centaines de milliards de dollars voire plus), pour influencer les élections de l'après guerre en Italie, en Grèce, au Japon, etc. tout en gardant un contrôle strict sur le parti libéral japonais et ses premiers ministres. Ce qui explique Ryoichi Sasakawa ou Yoshio Kodama, criminels de guerre enfermés avec les autres criminels de « Classe A » , n'aient pas été condamnés a mort.

Les services secrets états-uniens, dans un rapport de 1946, décrivent ainsi les deux chefs fascistes : « La longue implication de Kodama dans les activités ultra-nationalistes, parfois violentes, et sa capacité à rallier la jeunesse font de lui un homme qui représentera sûrement un risque majeur pour la sécurité. Sasakawa apparaît comme un danger potentiel pour l'avenir du Japon (.) C'est un homme riche qui n'a aucun scrupule à utiliser sa fortune (.) Il n'est pas contre le fait de retourner sa veste pour profiter d'une opportunité » . La CIA va lui offrir cette opportunité en lui proposant de devenir un combattant de la Guerre froide.

Les deux ultra-nationalistes constituent des appuis solides pour reconstruire le Japon qui doit devenir la vitrine asiatique de l'économie de marché. Kodama a une grande expérience de l'espionnage : ses activités en Mandchourie ne se sont pas limitées au pillage, il a aussi organisé sur place un efficace service d'espionnage qui a communiqué de nombreux renseignements à l'armée impériale. Sasakawa, de son côté, dirige une armée privée composée de soldats expérimentés parmi lesquels les services secrets états-uniens vont recruter des informateurs, des briseurs de grève et des « agents secrets ». En échange de l'impunité, les criminels de « Classe A » mettent leurs réseaux politiques, militaires et mafieux au service de la lutte contre le communisme menée sous l'autorité des États-Unis au Japon et en Asie du sud-est.

Ryoichi Sasakawa, surnommé le Korumaku, (« l'homme de l'ombre ») devient alors un acteur décisif de la reconstruction du Japon. Il finance, le Parti démocrate libéral, véritable parti unique qui dirige le Japon depuis la défaite, avec la bénédiction de Washington À plusieurs reprises, il influence l'élection du Premier ministre (il soutiendra Sato en 64 et Tanaka en 72). Ses contacts politiques lui permettent d'accroître sa fortune ; en 1959, grâce à son ancien compagnon de Sugamo, le Premier ministre Nobusuke Kishi , il est nommé Président de la Fédération des organisateurs de courses de hors-bord (qui dépend du ministère des Transports). En 1994, la Fédération déclare 2 000 milliards de yens de chiffre d'affaire dont 3.2% sont à la discrétion de Sasakawa . En rendant sa liberté à Kodama le G-2 fait de lui un agent particulièrement puissant. Avant d'être arrêté, il avait confié son immense fortune à un autre leader de l'extrême droite, Karuko Tsuji. Ce trésor de guerre va lui aussi être investi dans la fondation du Parti libéral.

Parallèlement à ses activités officielles, Sasakawa poursuit sa carrière de yakusa ultra-nationaliste. En 1954, il rejoint le Butoku kai (l'Association des vertus martiales), un groupe de pression militariste et fascisant comprenant plusieurs « Classe A », dont l'ancien directeur de la Mitsubishi, importante compagnie de fabrication de munitions, et le Premier ministre Yoshida Shigeru. Il soutient aussi des associations anticommunistes comme Nihon goyu renmei, un groupe de vétérans de la Seconde Guerre mondiale, et la fédération Zen-ai kaigi. Il brise les grèves et traque les opposants politiques grâce à ses milices dont l'existence n'est jamais officiellement dévoilée. Sasakawa prétend être à la tête d'une armée de huit millions d'hommes. Il préside en tous cas de nombreuses associations qui servent de couverture à ses activités mafieuses. Ses clubs de karaté et de danse du sabre comprennent plus de 3 500 000 membres ; il dirige aussi des groupes explicitement fascistes comme la Fédération internationale pour la victoire sur le communisme (IFFVOC) revendiquant 160 000 membres. Cette armée fait de Sasakawa un des yakusas les plus respectés du Japon ; lui et Kodama dominent l'univers mafieux et règlent les différends entre les gangs rivaux. Les services américains pousseront aussi Kodama à réactiver ses réseaux afin de lutter contre les syndicats de gauche et en Mandchourie pour monter des opérations d'espionnage. En 1949, les services secrets lui demandent de casser les syndicats des mines de charbon. Mais les briseurs de grèves dirigés par Kodama échoueront face à des mineurs résolus.

Conjointement au soutien américain, une forte collusion lie ces mouvements à l'extrême droite. Cette collusion souvent intéressée et peu idéologique en ce qui concerne les organisations criminelles, qui utilisent la façade de parti politique d'extrême droite pour mener à bien leurs activités : des gangs en quête de couverture se constituent en organisation politique nationaliste et inversement, l'extrême droite utilise des truands comme mercenaires. ». Cette collusion avec les sphères politiques ne va faire que s'accentuer, s'étendant grandement au Parti Libéral Démocrate au pouvoir.

Dès 1954, Kodama prépare la création du grand parti conservateur. Il est l'un des grands électeurs d'Ichiro Hatayoma qui devient Premier ministre en 1954. Parallèlement, il maintient les contacts avec ses amis yakuzas, qui contrôlent les boîtes de nuit de Ginza et ses alliés ultra-nationalistes. En 1955, le Parti démocrate libéral, fruit d'une fusion dont le principal artisan n'est autre que Nobusuke Kishi, est créé en grande partie grâce à l'argent de criminels de guerre recrutés par les Américains. En 1957, son ami Nobusuke Kishi , après avoir occupé le poste de Secrétaire général du PLD, devient Premier ministre et entreprend de récompenser ses alliés de toujours. Le yakuza Ichiro Kono, élu à la Diète, est ainsi nommé ministre de l'Agriculture tandis que le monopole de la gestion des paris sur les courses de hors-bords est confié à Ryoichi Sasakawa. Dans la même période, Kodama participe à la création de la Ligue anti-communiste des peuples d'Asie (People's Anti-Communist League - APACL) qui donnera naissance à la Ligue anti-communiste mondiale (World Anti-Communist League - WACL). En 1960, alors que les rares mouvements de gauche encore existants tentent de s'opposer à la ratification d'un nouveau traité de sécurité autorisant les États-Unis à installer des armes nucléaires sur le territoire japonais , Kishi fait appel à Kodama pour casser le Conseil du peuple contre la révision du traité de sécurité (l'Ampo). Malgré l'opposition, Kishi ratifiera de force le traité en interdisant l'accès du Parlement aux socialistes.
L'affaire Lockheed

En 1976, Kodama sera rattrapé par un énorme scandale qui jette une lumière crue sur les rapports entre le monde des affaires, les politiciens, les yakusas, et la CIA. La firme fait appel à Kodama pour vendre son nouvel appareil de transport civil, le Tristar L-1011. Kodama sollicite Kenji Osano, un ami proche du ministre du Commerce international et de l'Industrie, le futur Premier ministre Kakuei Tanaka, et obtient grâce à Sasakawa le silence des associations de riverains. Devenu premier ministre, Tanaka accepte le marché proposé par Lockheed qui vend ainsi plusieurs dizaines de Tristar au Japon. Pour l'ensemble de ces services, Kodama reçoit plus de trois millions de dollars. L'acheminement secret des fonds a été confié à des spécialistes du courtage monétaire employés par la CIA. Le scandale entraînera la démission de Tanaka. La chute de Kodama est totale. Il sera obligé de se réfugier dans sa résidence privée pour se protéger des medias qui font de l'affaire Lockheed le symbole de la corruption des élites politiques du Japon. Il meurt, le 17 janvier 1984, dans son lit.

Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

Etat des luttes contre le crime organisé mafieux

Entretien exclusif avec le Professeur Umberto Santino, "Giuseppe Impastato", Palerme, réalisé par Chistian Pose, Tokyo/Palerme, 12 avril 2006

Sasakawa , un criminel de guerre respecté [Réseau Voltaire]

Scott Anderson, Jon Lee Anderson, Inside the League, The schocking exposé of how terrorists, nazis and latin american death squads have infiltred the World anti-communist league , Dodd, Mead and Company éd., New York, 1986.

Yoshio Kodama , le yakusa de la CIA [Réseau Voltaire]

L'odeur du yen, L'Humanité du 8 octobre 2002 .

 
     

     
   
   


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