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La SACRA CORONA UNITA

Banc Public n° 128 , Mars 2004 , Frank FURET



Considérée comme, la quatrième mafia, d'après un rapport de l'Observatoire Eurispes (1) elle compte 47 clans et 1561 affiliés : une organisation donc mineure pour sa présence limité sur le territoire et pour sa puissance économique plus faible par rapport aux autres types de mafia, d'autant plus que ses chefs ont été presque tous emprisonnés. (2) Les activités principales de la Sacra Corona Unita sont le trafic (mais surtout la vente finale) de stupéfiants, le trafic d'êtres humains, le jeu illégal, l'extorsion et la contrebande en association avec la mafia du Monténégro.


Organisation mafieuse récente, centrée dans les Pouilles, née au début des années 80 de la scission de la Nuova Camorra Pugliese (3) , la nouvelle mafia pouillaise prendra le nom de « Rosa » dans la ville de Bari, et de Sacra Corona Unita plus au Nord de la Région. Dès les années 1950, plusieurs membres de Cosa Nostra , de la 'Ndrangheta et de la Camorra s'étaient vus assignés à résidence par la justice dans des localités de la région des Pouilles. Ces mesures d'éloignement judiciaire ont concerné des figures mafieuses aussi importantes que Pietro Vernengo, Filippo Messina, Stefano Fontana, Giuseppe Baldi ainsi que les corléonais Luciano Leggio, Salvatore Riinà et Bernardo Provenzano. La présence de ces chefs mafieux dans la région des Pouilles s'est traduite rapidement par un rapprochement entre le milieu local traditionnel des contrebandiers et des membres d'organisations criminelles structurées.

Toute une série de rites de type mystique-religieux évoquant le chapelet du rosaire distinguent cette organisation : « L'organisation est Sacrée parce que la Sacra Corona Unita, si on lit ses Statuts, lorsque se réunit ou affilie quelqu'un, consacre et baptise (comme le prêtre pendant les fonctions religieuses) ; Corona, parce que elle est comme la Couronne, c'est à dire le Rosaire qui est utilisé à l'Église pour faire la Via Crucis, un [grain] à côté de l'autre ; Unita, car on devait être unis comme les anneaux d'une chaîne. »(4) La structure de l'organisation est de type horizontal une série de clans se partagent les zones d'influence et sont tenus de respecter les intérêts communs. Le chef Giuseppe Rogoli a pendant longtemps cherché à donner à l'organisation une structure hiérarchique telle que celle de la 'Ndrangheta, en l'adaptant à la réalité locale des Pouilles. Les femmes jouent à l'intérieur de l'association, un rôle important (5) . Les affiliés sont souvent très jeunes.

Trafic d'êtres humains

La Sacra Corona Unita, très impliquée dans le trafic de clandestins albanais qui débarquent sur les côtes des Pouilles, est l'interlocuteur préféré des circuits albanais qui utilisent leurs réseaux pour introduire en Italie des clandestins non albanais (kurdes, pakistanais, sri lankais, etc.) transitant, comme l'héroïne, par le territoire de la Macédoine. Au mois de mars 1995, durant l' Opération Macédoine qui s'est déroulée sur le sol italien, cinq membres de la Sacra Corona Unita ont été arrêtés, s'ajoutant aux vingt sept ressortissants italiens, macédoniens et albanais détenus en juin 1994 et faisant partie du même réseau. Durant cette opération, plusieurs dizaines de kilos d'héroïne ont également été saisis. Un marché s'est développé notamment dans les années '90, suite à la chute du régime de Tirana et à la guerre du Kosovo, est l'immigration clandestine qui est gérée en accord avec la mafia albanaise. (2) Les criminels albanais travaillent notamment avec la dernière des mafias italiennes, la Sacra Corona Unita, implantée dans la région des Pouilles, en face de l' Albanie. (6)

La destabilisation des Balkans par la guerre durant la dernière décade y a notamment favorisé le trafic de la prostitution. Les réseaux ont d'abord exploités des victimes qui proviennent majoritairement des pays de l'extrême Est de l'Europe mais cette activité criminelle a progressivement affecté directement les sociétés albanaises et monténégrines. L'Italie a été ( est ) le pays le plus concerné par l'arrivée des clandestins, et la législation longtemps tolérante dont ce pays a joui en avait fait un lieu naturel de transit. Sur les côtes italiennes, les centres d'accueil étaient, en 1999, en train d'exploser.

La ministre de l'intérieur de l'époque Rosa Russo Jervolino devra demander l'intervention de la Marine militaire pour endiguer le flux (250 personnes par jour)... "Arrêtez tout de suite la guerre et ne criminalisez pas les immigrés!. Ce ne sont pas les immigrés qui sont les criminels, mais ceux qui exploitent leur misère", accusera Cosmo Francesco Ruppi, l'archevêque de Lecce (Pouilles) face à une population italienne de plus en plus sensible à la xénophobie.

Des deux côtés de la Méditerranée, les marchands d'hommes seront de fervents supporters de Slobodan Milosevic. "Tant qu'il y a de la guerre, il y a des affaires", sera leur credo. Les trafiquants albanais fourniront les bateaux et les marins, mais derrière ce marché se profilera le spectre de la Sacra Corona Unita. (7)


Selon un rapport devant la Commission de l'ordre et de la sécurité du Parlement albanais par le chef des services de renseignements de ce pays, Fatos Klosi, «le trafic de clandestins demeure au centre des activités de la mafia, qui se livre, avec la bienveillance de policiers corrompus, à la falsification de documents». Selon les spécialistes de la criminalité organisée, le trafic d'êtres humains constituerait souvent l'une des «activités de base» des réseaux mafieux, permettant une première accumulation rapide de capital. Ensuite, ces réseaux se spécialiseraient dans d'autres trafics, comme ceux de la drogue ou des armes, sans renoncer pour autant forcément à leur activité première (8). La Sacra Corona Unita, initialement basée dans les Pouilles, dispose aussi de coscas (9) fort actives en Europe centrale. Par son positionnement géographique - en Italie, dans les Balkans et en Europe centrale -, la Sacra Corona Unita joue sans aucun doute un rôle essentiel dans tous les trafics d'êtres humains transitant par les Balkans.

Cigarettes

Selon les affirmations d'experts, le Monténégro réalise 60% de ses bénéfices grâce à la contrebande de cigarettes(10). Au même moment, l'Italie perd plus de quatre mille milliards de lires par an, pertes dues à cette même activité sur son territoire. Chaque village de la périphérie nord de Bariet de la périphérie sud de Brindizi comme Cozze, Villanova, Monopoli, Mola di Bari, Savaletri, Villamare, Torrecane, Ostuni, San Pietro Vernotico, est un lieu propice au déchargement de cet illégal fardeau. Les habitants de ces villages s'enrichissent, depuis des années, grâce à cette contrebande de cigarettes. Fasano, petite ville située à 55 km au sud de Bariest, d'après les experts, le centre le plus important du commerce illégal de "tabacchi lavoratiesteri" (cigarettes de production étrangère) sur la côte adriatique italienne. Les cigarettes sont vendues illégalement dans toute l'Italie et leur achat dans la rue coûte deux à trois mille lires moins cher (par paquet) que chez des vendeurs accrédités.

Selon les affirmations d'un procureur de Bari qui a voulu rester anonyme, les organisations Sacra Corona Unita et Kamora de Naples sont impliquées dans ce trafic et utilisent l'argent ainsi gagné pour investir dans d'autres affaires illégales. La Camorra et Sacra Corona Unita s'y sont retrouvées et utilisent le profit de cette activité pour investir dans le trafic de drogue et d'armes. (11)

La logistique territoriale acquise par grâce à la contrebande de cigarettes permet également à la Sacra Corona Unita des Pouilles de coopérer avec les clans albanais organisateurs de l'immigration clandestine en Europe de provenances albanaise, bosniaque, kossovare, kurde, turque, pakistanaise, via l'Italie.

Pour d'aucuns, la fiscalité galopante produit les mêmes effets que la prohibition. Elle fonde le monopole criminel du produit (alcool, drogue, tabac). Ce monopole passe progressivement sous le contrôle des groupes les plus dangereux qui se répartissent le marché. Les profits et la puissance ainsi accumulés permettent une diversification vers d'autres secteurs.

Cela n'a pas été sans violence au départ. L'année 1999, fut ainsi particulièrement sanglante dans la région de Brindisi. Et ceci entraîne une répression systématique de la Sacra Corona Unita par les policiers spécialisés du ROS : 12 arrestations en décembre 2000, 76 en mars 2001, etc. Les fonds accumulés permettent aussi la corruption de certains fonctionnaires, magistrats, politiciens.

Logique géographique

Selon de nombreux observateurs, la criminalité organisée des Pouilles a été l'une des principales mafias bénéficiaires de l'éclatement de la Yougoslavie. Porte d'entrée de l'Union Européenne, les Pouilles se sont ainsi transformés en plaque tournante pour les multiples filières de trafics qui traversent l'Adriatique (armes, cigarettes de contrebande, immigrants clandestins, prostituées, véhicules volés). Les côtes désolés des Pouilles, situées à quelques kilomètres des rives de l'Albanie ou du Monténégro, sont devenus en quelques années une véritable plate-forme logistique pour le développement des activités criminelles.

Ce tropisme balkanique explique la concentration des clans de la S.C.U. le long de la côte adriatique entre Trani et Brindisi. Les liaisons maritimes avec les ports de Bar (Monténégro), Split et Dubrovnik (Croatie) et ceux de Durrës et de Vlorë (Albanie) sont autant de filières de trafics susceptibles d'attirer les appétits des organisations criminelles italiennes, albanaises, turques et même asiatiques lorsque les filières terrestres de la route des Balkans deviennent trop périlleuses ou incertaines.

Très logiquement, la Sacra Unita Corona a profité de cette opportunité historique pour se transformer en organisation criminelle de stature internationale en exerçant sa mainmise territoriale sur les entrepôts portuaires et les moyens logistiques nécessaires aux divers trafics. Très pragmatique, elle a en outre choisi de s'allier avec différents clans et familles de la 'Ndrangheta , de la Camorra et de Cosa Nostra qui lui apportent leurs compétences respectives (12)

Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

Untitled document

(1) Observatoire statistique sur les phénomènes criminels

(2) Mafia ou mafie

(3) Crée à son tour par Raffaele Cutolo, chef de la Nuova Camorra Organizzata pour étendre ses affaires au delà de Naples et de la Campania.

(4) D'après le repenti Cosimo Capodieci

(5) Le rôle criminel de la femme à l'intérieur des organisation mafieuses a subi des changements importants dans ces dernières années : souvent (et notamment pour la Sacra Corona Unita et la 'Ndrangheta) lorsque les chefs sont emprisonnés, les femmes (leur mère ou leur femme) les remplacent dans la gestion des affaires de l'association.

(6) Les nouvelles stratégies des mafias italiennes | geopolitique.com 31/10/2003 |

(7) Albanie-Italie: les trafiquants d'immigrés supporters de la guerre |Aminstia.net | 20 Janvier 1999 |

(8)Les Balkans,
carrefour de l'exil et de la prostitution
| Jean-Arnault Dérens| ConfluencesMéditerranée |

(9) Cosca : cellule mafieuse active.

(10) Vérités et mensonges sur le cartel du tabac | Gordana Borovic | Monitor On Line |01 octobre 1999 |

(11) L'hyper taxation du tabac, politiquement si correcte, et quelques-uns de ses effets funestes | L 'Insolent |05 Juin 2001 |

(12) Crise des Balkans et développement de la criminalité organisée des pouilles | Thèse de Claudio Bellisario |

 
     

     
   
   


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