"La première est la classe créative, qui regroupe les vrais gagnants de la mondialisation. (…) Elle ne vend pas des produits de service, mais des idées. Et pour produire des idées, il faut être dans un environnement varié", d'où l'intérêt des "créatifs" pour la diversité ethnique et culturelle. Elle regroupe les acteurs de l’économie de la connaissance, cette phase nouvelle du capitalisme qui s’appuie sur la circulation de l’information et le déploiement de la créativité. Leurs métiers les encouragent à vivre une vie stimulante, ouverte à l’inconnu.
La seconde est la classe moyenne provinciale. Héritière du mode de vie des Trente Glorieuses, elle regroupe les habitants des petites villes de province et des périphéries urbaines, loin des centres villes créatifs. Ceux-ci conservent un ensemble de valeurs traditionnelles et les développent par opposition au mépris dont ils sont l’objet de la part des créatifs, qui les considèrent comme vieillissants et inadaptés au monde moderne.
Elle "représente environ un tiers de la population française, soit la part la plus grande de l’électorat", comme aux Pays Bas ou en Grande-Bretagne, par exemple; elle est plutôt libérale et pro-marché. La "peur d'une dépréciation de son statut et ce qu'elle ressent comme une guerre culturelle face aux immigrés l'a amenée à une sorte de rébellion, qui l'oppose désormais aux "créatifs"(…)".
La "classe ouvrière blanche regroupant les ouvriers et la tranche la plus vulnérable de cette classe moyenne, moins diplômée et en voie de paupérisation (…) a suivi Marine Le Pen, Donald Trump ou l'eurodéputé britannique eurosceptique Nigel Farage, en votant pour le Brexit. En Autriche, 79% des ouvriers blancs ont voté pour le candidat Hofer au second tour de l'élection présidentielle de 2016. Cette classe ouvrière blanche est attachée à un système d'Etat providence, refuse l'immigration, dont ils estiment qu'elle a eu un effet négatif pour leurs conditions de vie et de travail" "dès les premières délocalisations d’usines dans les pays émergents". "Méfiante envers une hétérogénéité sociale susceptible de saper la force de solidarité du collectif, elle partage avec les classes moyennes traditionnelles le souci du commun". Elle est favorable à un retour vers "avant 1990, à une fermeture des frontières et à la sortie de l'Europe".
"Cette classe se constitue identitairement en opposition avec les travailleurs étrangers qui semblent les concurrencer de manière déloyale, ce qui les rapprochent des partis d’extrême droite qui ont su prendre un virage social, comme le Front National. La classe ouvrière blanche" considère les créatifs comme une classe sociale hostile "puisqu’ils sont les porteurs les plus dynamiques des changements à l’origine de leur fragilité sociale".
"Les jeunes "millenials" âgé de vingt à trente ans (…) voudraient que le monde ressemble à l'idéal qu'ils ont construit dans leur tête pendant leurs années à l'université. Ils "sont arrivés sur le marché du travail en pleine crise (…) la déception a été très forte. Et peu à peu, ils se sont rebellés. Occupy Wall Street puis Bernie Sanders, Podemos, le mouvement Cinq Etoiles, ou La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon en sont l’expression politique. Malgré leur origine sociale plutôt favorisée, ils sont sensibilisés aux injustices que génèrent le système, et se rapprochent des partis radicaux, "notamment face à la déception provoquée par la pratique du pouvoir de la gauche modérée. Ils partagent un certain nombre de valeurs avec les créatifs, notamment le droit à la différence et l’ouverture aux autres, mais désenchantés, ils se rebellent contre le système".
Chacune de ces classes, pour Muzergues, fait la promotion d'un agenda qu'elle présente comme étant favorable à toute la population, mais défend, en fait, bec et ongles, ses propres intérêts. Ce que la classe ouvrière blanche ou les millenials demandent avant tout, c'est d'avoir leur place dans la société.
L’auteur explique la victoire de Trump par sa capacité à associer la classe ouvrière blanche avec le socle électoral traditionnel républicain : la classe moyenne provinciale. Les difficultés du CDU d’Angela Merkel aux dernières élections allemandes, suite à sa décision de large ouverture aux migrants, illustrent, avec la montée de l’AFD, parti radical de droite, une méfiance des classes moyennes envers l’immigration. En Europe de l’Est, l’auteur explique les victoires des partis populistes de droite en raison de la domination démographique de la classe ouvrière blanche. L’Europe du Sud quant à elle, minée par la crise financière de 2008, a fait émerger toute une série de partis politiques de gauche radicale (Podemos en Espagne, Syriza en Grèce) fortement soutenus par les millenials.
Politiquement, la stratégie gagnante repose sur la capacité à configurer un discours d’alliance entre deux ou plusieurs classes sociales. Il estime que le jour où une classe se considérera marginalisée et défaite de toute possibilité de prendre, ou ne serait-ce que d’influencer le pouvoir, elle risque d’évoluer vers une forme de radicalité dangereuse pour la survie de la démocratie. Il en appelle dès lors à un discours politique capable de reconstituer un électorat modéré solide, proposant s’il le faut des sacrifices et une solidarité renforcée pour reconstruire une classe moyenne.