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INTERVIEW DE FRANCOIS GLANSDORFF

Banc Public n° 91 , Juin 2000 , Catherine VAN NYPELSEER



François Glansdorff: l'avocat Jean De Bock, le fils de Paul De Bock qui a été à l'époque, juste après la guerre, le conseil de Michel de Ghelderode, qui était je suppose en relation avec Monsieur Beyen, a demandé au Conseil de l'ordre des avocats à pouvoir produire cette correspondance.
Cela remonte à 1994 - 95, si mon souvenir est bon; c'était mon prédécesseur Georges-Albert Dal qui était bâtonnier à l'époque.


Le Conseil de l'ordre s'est penché sur la question et a répondu que ce n'était pas possible.

La question s'est reposée une nouvelle fois deux ans plus tard, je dirais en 1996 -97, et, à ce moment-là, j'étais Bâtonnier, et j'ai eu de nouveau un entretien avec Jean De Bock; je ne dis pas que j'ai examiné ce dossier dans l'heure, parce que le travail de Bâtonnier est très astreignant, et j'étais tenu par des urgences, mais je l'ai examiné, et j'ai été très attentif à la date précise à laquelle Paul De Bock est devenu l'avocat de Michel de Ghelderode.

Il est apparu qu'il y avait toute une partie de la correspondance qui était antérieure à ce moment, et, évidemment, si c'était une relation entre eux purement amicale au moment où Paul De Bock n'était pas encore l'avocat, là, il n'y a vraiment aucune raison de secret professionnel d'empêcher la publication de ces lettres, et donc on a fait une espèce de tri, on a nuancé la décision qui avait été prise deux ans plus tôt, qui était une interdiction absolue visant toute la correspondance entre eux, et j'ai autorisé la publication des lettres antérieures au moment où Paul De Bock est devenu véritablement l'avocat (en 1945 - 46).

Mais j'ai maintenu la décision qui avait été prise deux ans avant par le Conseil de l'ordre pour ce qui était la correspondance à partir du moment où avocat-client, la confidence, l'article 458, tout ça...
Moi, je n'ai pas eu d'entretien direct avec Monsieur Beyen et avec Monsieur Goosse, je n'ai vu que Jean De Bock, mais je me disais bien qu'étant qu'avocat, il a quand même dû expliquer un petit peu à Messieurs Beyen et Goosse le point de vue du Barreau, sinon, effectivement, je comprends qu'il y ait une certaine incompréhension de leur part!

BP Il y a une certaine incompréhension, et une tristesse, parce que c'est un énorme travail de faire cela: vous avez vu ce livre: c'est le tome VI. Il doit se procurer toutes les lettres, les faire dactylographier, les annoter... c'est un boulot de fou, vous imaginez le genre de travail, ce sont des lettres écrites à la main, ils n'avaient pas d'ordinateurs à l'époque; c'est un spécialiste mondialement reconnu de Ghelderode, et il tombe sur un mur pour cette histoire de secret professionnel, alors qu'il n'a pas d'adversaire. Ce n'est pas quelqu'un, un enfant de de Ghelderode qui ne veut absolument pas que l'on parle de ça! C'est uniquement cette crainte - je n'ai pas rencontré maître Jean De Bock mais je ressens qu'il doit avoir peur de l'Ordre parce que dans certains cas l'Ordre est assez euh...

FG L'Ordre, oui mais derrière l'Ordre il y a le Parquet et le pénal, il ne faut pas oublier qu'il y a l'article 458, je ne le répéterai jamais assez...

BP Oui, mais il faut quand même une plainte, ce n'est pas le genre de dossier qui va sortir de lui-même, par l'initiative du Parquet...

FG C'est vrai, c'est pourquoi je prenais l'hypothèse d'héritiers éventuels, il n'y en a pas, d'accord, mais... Dès qu'on parle d'Ordre on pense hiérarchie, pesanteurs, rigidités, etc. Ce n'est pas ça, c'est vraiment un problème sur lequel on s'est penchés, et on a beaucoup discuté au Conseil de l'ordre, même lors de la première décision en 1994-95, ce n'est pas un espèce de couperet qui tombe comme ça irréfléchi, un diktat.

BP Mais vous n'avez pas reçu Monsieur Beyen, vous avez parlé uniquement avec un avocat, donc...

FG avec Jean De Bock.

BP ...vous êtes quand-même restés avec votre conception d'avocats.

FG Cela étant, je crois que si la demande est faite à l'Ordre de reprendre ce dossier et de se repencher dessus... je ne suis plus bâtonnier, donc ce n'est pas moi qui déciderai, mais je peux vous garantir que ce sera examiné avec tout le sérieux qu'il faut !

Mais je ne vous dis pas nécessairement que je suis moi-même... je suis ouvert à tout réexamen de ce dossier, mais je ne vous dis pas que mon avis est: "eh bien produisons toute cette correspondance", parce que le secret professionnel est quand même une valeur extrêmement importante, et le respect de la confidence faite par de Ghelderode à l'époque à son avocat est quelque chose de très important.

Prenez un exemple. Vous me direz: ce n'est pas la même chose, mais quand même, quand le médecin de Winston Churchill, après sa mort, ou, plus récemment de Mitterrand, a fait des révélations sur les maladies qu'ils ont eu, dans l'intérêt de l'histoire avec un grand H, certains ont trouvé ça très bien en disant: "Voilà, comme ça on sait, transparence", tout ça est un peu dans l'air du temps. Mais d'autres, et j'en suis, ont trouvé que c'était vraiment des révélations, quel que soit leur intérêt historique, qui ne pouvaient pas être faites parce qu'elles violaient complètement la mémoire, l'intimité des défunts.
Alors ça ce sont, pour moi en tous cas, des exemples choquants.

Celui-ci l'est beaucoup moins, parce qu'il y a un intérêt littéraire certain, mais il faut quand même respecter la mémoire de Ghelderode.

Alors vous me dites, et ça, ça me trouble un peu, la publication de ces lettres pourrait réhabiliter sa mémoire dans la mesure où elle serait encore atteinte. ça, c'est quelque chose qui peut être pris en considération.

Je vous dis tout de suite que, pour les partisans du secret professionnel absolu, cela n'entrerait pas en ligne de compte. Pour eux, peu importe le contenu des lettres, peu importe que même Ghelderode lui-même ait été d'accord, pour les partisans du secret absolu - et je n'en suis pas: je considère que le secret répond quand même à une certaine finalité, qui est la protection de la confidence, mais qu'il y a d'autres valeurs qui peuvent entrer en ligne de compte, et, là, cela mérite un examen très sérieux.

BP Parce que les autres lettres à tous ses autres confidents, c'étaient aussi des confidences.

FG Oui mais confidences, quoi, faites à des amis? Alors cela, ce n'est protégé par rien, tandis que faites à un avocat ou à un médecin, ça, c'est protégé par la loi.

BP Dans certains cas, le secret médical est aussi discutable, dans la mesure où on ne peut quand même pas l'utiliser contre la personne...

FG Non.

BP Mais que parfois on l'utilise pour dire "Vous êtes inapte, mais je ne vous dirai pas pourquoi, parce que il y a le secret médical sur le rapport, et donc vous êtes licencié (ou vous êtes révoqué, pour un fonctionnaire)", donc il faut quand même le nuancer.

FG Oui , c'est certain, mais dans ce que vous disiez tout à l'heure, aller dans le sens de la transparence absolue, c'est un peu dans l'air du temps, mais il y a aussi le respect de la vie privée, qui l'est tout autant. Voyez les procès faits contre des journalistes, à l'égard desquels on est plus sévère qu'avant, ne fut-ce que dans les montants des condamnations qu'ils encourent, et le respect de la vie privée protégée par des lois de plus en plus contraignantes est quand même une valeur aussi.

BP Mais ici Paul-Aloïse De Bock a demandé à Monsieur Beyen que ces lettres soient publiées, il était l'ami et il était l'avocat, et il souhaitait que ce soit publié. Il était vraiment concerné par le dossier, il le connaissait mieux que personne d'autre, de Ghelderode étant décédé, et avant son décès il a demandé que ces lettres soient publiées. Quelque part alors l'Ordre m'apparaît comme n'ayant pas la connaissance aussi profonde du dossier, et se substituant à de Ghelderode qui n'a rien demandé, et finalement faisant une obstruction qui est dommage pour tout le monde, et qui ne rapporte rien à personne.

FG L'Ordre ne se substitue à personne, l'Ordre dit simplement: "il y a un impératif pénal, relayé par la déontologie, qu'il faut faire respecter, il ne se substitue ni à de Ghelderode ni à Paul De Bock, et je vous répète que Paul de Bock, avocat, ce n'est certainement pas à lui à lever le secret professionnel, il n'a aucun pouvoir pour le faire.

Imaginez-vous: moi j'ai des clients qui me font des confidences, et je dirais moi, François Glansdorff, vous m'avez fait une confidence sur telle et telle chose, je m'estime délié du secret professionnel, ça parait demain dans le Soir illustré.

C'est caricaturer évidemment ce qu'a fait Paul de Bock, mais il est évident que l'avis de l'avocat est totalement inopérant.

BP C'était aussi son ami.

FG Oui. Je reçois des clients qui sont des amis qui me font des confidences, eh bien je suis couvert par le secret professionnel.

BP Si votre client vous dit: "dites, vous voulez bien répéter que, tel jour, je vous ai dit telle chose, ou je vous ai produit telle pièce, c'est important que vous témoigniez de ça"...

FG Voilà. Ce n'est pas simple hein, il y a des partisans du secret absolu et il y a des partisans du secret relatif.

Les partisans du secret absolu, c'est: "Peu importe l'accord du client, du confident, de celui qui s'est confié, le secret est respecté de manière absolue et totale".

Les partisans du secret relatif vont plus dans votre sens, et je suis dans ce sens là aussi, c'est de dire: "Il y a quand même des exceptions", et on donne toujours l'exemple, qui est encore une fois caricatural, mais qui fait bien comprendre les choses, de l'avocat qui apprend par un client qu'il va aller poser une bombe dans une école une ou deux heures plus tard, et que cela va faire une catastrophe épouvantable, doit-il se taire, est-il tenu par le secret? Non évidemment, parce que c'est un exemple extrême, et moi-même comme Bâtonnier, j'ai eu des cas, deux fois, où des avocats sont venus me dire: "je crains fort que mon client commette un attentat à tel endroit et à telle date", ils viennent se confier au Bâtonnier, c'est normal. J'ai été en parler au Procureur général, sans révéler de nom, pas même celui de l'avocat qui était venu me consulter, mais c'est le rôle du Bâtonnier d'avertir le Procureur général à ce moment-là.
Donc vous voyez que, dans des cas extrêmes comme celui-là, bien entendu le secret cède, parce qu'encore une fois il y a un conflit de valeurs, et devant une question de vie ou de mort, le secret cède.

Mais doit-il céder dans tous les cas devant l'intérêt historique ou l'intérêt littéraire d'une publication de correspondance, c'est beaucoup plus difficile à apprécier.

BP Oui, Mais il n'y a personne qui défend un secret. Vous le défendez de manière théorique, parce que c'est un secret professionnel, mais il n'y a pas aucun intéressé, aucun héritier, aucune des parties ne souhaite que ces lettres ne soient pas publiées.

Je veux dire que vous ne représentez personne. En tant qu'avocat, normalement, vous représentez quelqu'un, mais ici, il n'y a personne que vous représentez dans cette opinion-là, donc c'est juste pour des raisons... j'ai dit théoriques, mais ce n'est peut-être pas le meilleur mot...

FG C'est la mémoire de Ghelderode tout simplement, qui n'a pas donné son avis.

BP Et si Monsieur Beyen trouve que la mémoire de Ghelderode est mieux respectée en lui laissant dire ce qu'il a dit?

FG ça c'est une ouverture, et je vous répète: réexaminons le dossier sur cette base-là, et je pourrai répondre, mais ce n'est pas mon avis nécessairement. Encore une fois, les partisans du secret absolu diraient: peu importe l'avis de Monsieur Beyen, avec tout le respect qu'on peut avoir pour lui. Moi, je suis prêt à réexaminer le dossier, et à avoir un entretien avec quiconque pour revoir le contenu de ces lettres, mais c'est un avis qui m'est tout à fait personnel, et ce n'est pas moi qui déciderai.
Je verrais par exemple que Jean De Bock ait une réunion avec le Bâtonnier, et que je sois là aussi, pour reprendre l'examen du dossier.

BP Oui, mais vous restez de nouveau entre avocats, là. J'aurais voulu que des extérieurs puissent... par exemple, Monsieur Beyen, il est tellement concerné, mais il est peut-être trop impliqué, alors j'aurais invité également Monsieur Goosse, qui a peut-être la distance nécessaire, ainsi que l'expérience de tout ce problème de publication d'archives.

FG Mais vous êtes en rapport avec l'un ou l'autre ?

BP J'ai rencontré M Goosse l'année passée. J'avais fait un premier article...

FG Si lui demande à rencontrer le Bâtonnier en ma présence par exemple et avec Monsieur Beyen, ça peut se faire.

BP Ce serait positif, dans le sens que vous feriez évoluer un petit peu la limite, vous la préciseriez un petit peu plus, et je crois que c'est un travail très intéressant, même pour d'autres dossiers, de fixer ces limites que l'on rencontre pour la liberté d'expression.

FG Je crois que les fixer une fois pour toutes, et dans l'absolu, ce n'est pas possible. Vous parlez d'imprescribilité. Qu'est-ce qu'on va dire ? Cinquante ans, un siècle, trois siècles, ça va? Où allez-vous fixer la limite?

BP Monsieur Beyen, lui, avait la limite que son éditeur devait avoir les épreuves pour telle date... Vous voyez ? Et, une fois que ce sera fini, qu'il aura tout publié, il fera autre chose, et il n'y aura pas ces lettres là dedans. Donc, c'est ça l'élément temporel intéressant pour moi pour l'instant, c'est qu'on puisse lui permettre de terminer l'oeuvre complète, et que ça existe en tant qu'oeuvre complète.

Catherine VAN NYPELSEER

     
 

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