A PROPOS DU PEINTRE ROBERT ALONZI

Banc Public n° 63 , Octobre 1997 , Yves LE MANAC H



S’il peut être délicat de parler de sa propre vie, il est encore plus délicat de parler de celle d’un homme que l’on ne connaît pas. Son art devrait nous suffire à comprendre son histoire. Les peintures de Robert Alonzi qui représentent des enfants tristes jouant à des jeux puérils, des portraits d’adultes au regard fermé et aux lèvres closes, des scènes de café, des accordéonistes ou des joeurs de boules qui semblent livrés à la corvée, révèlent sans ambiguïté l’absence d’affection, la difficulté de communiquer et les déchirures de la vie.

Tout ce que je veux dire de Robert Alonzi, c’est qu’il est né au début des années cinquante, à Soumagne, dans une famille d’immigrés Italiens, et qu’il a travaillé comme boucher dans un abattoir. La seule anecdote que je veux retenir, parce que j’ai vécue la même chose d’une manière peu différente, c’est celle qui était rapportée dans l’émission télévisée Intérieur Nuit, diffusée sur la RTBF le 13 juin 1994, qui lui était consacrée.
Dans cette émission Alonzi racontait qu’ayant collé une reproduction de peinture sur la porte de son vestiaire, le jour même elle avait arrachée par un collègue et jetée à la poubelle. Comme le journaliste lui demandait si les autres ouvriers étaient jaloux de son art, il répondit que les ouvriers pouvaient être jaloux de celui qui achetait une voiture à 700 000 francs, mais vis-à-vis de sa peinture, leur sentiment était plutôt celui de l’incompréhension, voir de la méfiance. Alonzi souligna encore qu’il n’avait pas l’occasion de parler de son art avec ses collègues de travail. Le lundi on parle de foot, le mardi on parle du film que l’on a vu à la télé, le mercredi on parle des problèmes conjugaux... mais jamais on ne parle de peinture.
A la solitude privilégiée du créateur s’ajoute la solitude insupportable de l’incompréhension sociale. Il m’est arrivé de travailler dans des ateliers où je ne rencontrais personne avec qui partager un peu de complicité. J’avais des collègues mais pas d’amis. Presque jamais je n’ai eu l’occasion de faire connaître à un compagnon de travail mon intérêt pour l’écriture.
Pour essayer de faire comprendre le travail d’Alonzi sans avoir à dévoiler sa vie privée je vais recourir aux mots de Georges Bataille qui fut spécialiste en déchirure. C’est ainsi qu’il affirmait qu’« il n’est pas de désir plus grand que celui du blessé pour une autre blessure.» Mais il montrait aussi la richesse de cette blessure« douleur nécessaire à la communication.». « La communication demande une “faille” ; elle demande une coïncidence de deux déchirures, en moi-même et en autrui.» et, surtout, « à travers la déchirure, l’esprit aperçoit l’ ”univers risible”.» (Georges Bataille, Le coupable, Editions Gallimard)
Il me semble que la peinture d’Alonzi illustre parfaitement les propos de Bataille. Si notre blessure naît de notre sentiment d’exclusion, il est logique que l’élargissement de notre plaie consiste dans la tentative de communiquer ou, au moins, dans la tentative de décrire l’impossibilité de communiquer. C’est ce sentiment d’exclusion, de difficulté de communiquer, qu’expriment les peintures et les sculptures d’Alonzi. Et au travers de cette difficulté apparaît effectivement un univers risible.
Dans l’émission de la RTBF Robert Alonzi disait qu’il peignait par colère et par vengeance, mais il est évidant qu’il peint aussi par plaisir. C’est parce qu’il peut faire partager ce plaisir que sa peinture est aussi une tentative réussie de communication.
Depuis deux ou trois ans, Robert Alonzi a quitté l’abattoir et se consacre à sa peinture.


Yves LE MANAC H

     
 

Biblio, sources...

Pour en savoir plus sur Robert Alonzi on peut se référer au catalogue édité par la galerieVincent Hick-Fine Art et au catalogue de Louis Simaÿs et Fons De Bleser édité par Ars Libris qui a récemment présenté à Bruxelles quelques toiles du peintre
Depuis le début des années nonante Alonzi a participé à une vingtaine d’expositions, tant en Wallonie qu’en Flandre, en Hollande qu’en Italie. Il est l’auteur, à Huy, d’une fresque de 18 mètres sur 3 destinée à commémorer le 50e anniversaire de l’immigration des Italiens en Belgiq
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