LIBERTE ET SOLITUDE A BERLIN (...Très petits jardins...)

Banc Public n° 55 , Décembre 1996 , Yves LE MANACH



Le jardin s’égayait à offrir en toutes saisons des bouquets étranges qu’aucune main ne venait cueillir.
En certains lieux de son érection le sinistre mur de Berlin départageait de petits jardins. Du côté de Berlin Ouest les jardins s’appelaient liberté. Du côté de Berlin Est ils s’appelaient solitude.

Aujourd’hui le mur a été jeté à terre. A sa place il y a un chemin de terre grise bordé d’herbes sauvages et, au delà des herbes sauvages, demeurent les jardins de liberté et les jardins de solitude.
Les hommes des jardins de liberté ne vont jamais vers ceux des jardins de solitude. “Ce sont des anciens de la STASI, ils ont des choses à cacher, ils ne veulent pas qu’on les reconnaisse. D’ailleurs, dès la destruction du mur, ils ont mis des grillages pour nous éloigner”.
Les hommes des jardins de solitude ne vont jamais vers ceux des jardins de liberté. “Ils sont fiers et arrogants, ils veulent toujours être les meilleurs, les plus forts... Nous, nous ne sommes pas comme ça. Après la destruction du mur, ils sont venus démolir nos poulaillers, alors nous avons mis des grillages et planté des ronces”.
Chacun célèbre la fête de l’été de son côté.
Ceux de l’ouest sont des fonctionnaires, des cadres d’entreprise, des ouvriers qualifiés... ce sont des consommateurs occidentaux.
Ceux de l’est ne sont peut-être pas tous des anciens de la STASI. Il y a aussi d’anciens bureaucrates de l’économie planifiée, de la télévision...


Certains d’entre eux ont perdu leur emploi, ils ne comprennent plus ce qui se passe dans le monde, ils n’ont pas l’usage de leur nouvelle “liberté”.
Un homme des jardins de solitude, en souvenir de sa lecture de La faute de l’abbé Mouret, d’Émile Zola, qu’il avait lu dans sa jeunesse et où le jardin de Paradou tient une place importante, fait en sorte que chaque jour que Dieu fait, été comme hiver, voie l’éclosion d’une fleur.
Une femme en arrive à regretter l’époque où il était difficile de se procurer des livres. Elle se souvient de la joie qu’elle éprouvait à faire des découvertes littéraires.
Une mère et sa fille constatent que les mots croisés dans les journaux ont changé. Du temps de la RDA, les définitions concernaient souvent la géographie des pays de l’Est, aujourd’hui elles recouvrent la géographie de la planète toute entière. Ils sont plus difficiles.
Un homme explique combien la réverbération du soleil sur le mur de Berlin était bénéfique pour la culture des tomates. Aujourd’hui les tomates ne poussent plus aussi bien qu’avant.
Une femme persiste à faire pousser une multitude de roses afin de pouvoir continuer à fleurir son église de Berlin Est comme elle l’a toujours fait depuis cinquante ans.
Certains imitent leurs vis-à-vis de l’ouest. Ils déroulent des rouleaux de gazon sur leur terrain, chose qui leur était interdite au temps des staliniens. Ensuite ils disposent des meubles de jardin en matière plastique blanche.
D’autres souhaitent que l’on reconstruise le mur. Il leur semble qu’en échappant aux comparaisons avec ceux d’en face, leur misère serait moins misérable et leur tristesse moins triste.
Il en est un qui vit solitaire dans la solitude. Il estime qu’il n’y a pas eu de véritable épuration. Il craint le retour des bureaucrates et ne veut pas se compromettre.
Quant à ceux de l’ouest, ils s’occupent dans leur jardin de la même manière que vous vous occupez certainement dans le votre. Si vous en avez un.
En l’espace de trente ans, des gens d’une même ville, étant censés partager la même langue, la même culture, la même religion... en sont arrivés à ne plus pouvoir se comprendre ni désirer vivre ensemble. Ce qui illustre parfaitement l’efficacité des idéologies nationales.


Yves LE MANACH

     
 

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