Stéphane Foucart, journaliste scientifique au journal Le Monde, vient de publier un livre, «Le Populisme climatique» consacré à une analyse critique du discours climato-sceptique ainsi que des motivations de ses auteurs. Ce discours est actuellement présent, de manière très différente, dans deux pays: la France et les Etats-Unis.
Il vise à remettre en question le consensus scientifique selon lequel l’atmosphère terrestre se réchauffe actuellement de manière inédite au cours du dernier millénaire, principalement à cause des émissions de gaz à effet de serre générées par des activités humaines, interférence entre l’homme et le système climatique qui se révèle potentiellement dangereuse (p. 36).
L’auteur distingue quatre grandes familles de climato-sceptiques (p. 19):
- ceux qui nient l’existence d’un changement climatique;
- ceux qui l’admettent mais refusent d’y voir le résultat des activités humaines;
- ceux qui admettent le changement climatique et ses causes anthropiques mais estiment qu’il n’aura pas de conséquences dommageables ou qu’il sera même profitable;
- ceux qui croient que l’on trouvera des mécanismes permettant de manipuler le climat afin d’atténuer les effets dommageables du changement.
En France, il s’agit d’un phénomène récent, datant des cinq dernières années, porté essentiellement dans les médias par le géologue et ancien ministre socialiste Claude Allègre. Aux Etats-Unis, par contre, ce discours a été construit depuis la fin des années 1980 dans les cercles de l’ultra-libéralisme américain et est souvent sponsorisé par des intérêts privés (directement ou non).
Croisade
Il ne s’agit nullement en France d’une controverse scientifique entre deux écoles, mais, pour Stéphane Foucart, d’une «croisade» menée par deux scientifiques non spécialisés en sciences du climat, deux géologues (Claude Allègre et son ami Vincent Courtillot), opposés au reste de la communauté scientifique, qui ont rallié bon nombre d’intellectuels «totalement étrangers à la science en général et aux sciences climatiques en particulier», ont mis «sens dessus dessous les plus vénérables instances scientifiques» et entrepris de «retourner l’opinion» (p. 40).
Le premier acte de cette croisade est la publication, en avril 2005, dans la revue scientifique «Earth and Planetary Science Letters» (EPSL) d’un article dont l’un des auteurs est Vincent Courtillot, qui attribue le changement climatique récent aux variations de l’irradiance solaire (l’énergie totale reçue du soleil par la terre) liée à l’activité solaire.
Cet article passe inaperçu au sein de la communauté scientifique dans la mesure où des contributions similaires antérieures comme notamment un article du physicien danois Friis-Christensen publié dans la revue Science en 1991 avaient fait l’objet de multiples réfutations. L’article – avec quelques corrections et ajouts – est republié à la fin de l’année suivante dans la même revue, ce que Stéphane Foucart juge stupéfiant. Cette fois, Vincent Courtillot est indiqué comme auteur principal.
Dans le même temps, le 21 septembre 2006, Claude Allègre publie dans l’hebdomadaire «L’Express» un article intitulé «Neiges du Kilimandjaro» remettant en cause le réchauffement climatique. C’est à ce moment que le climato-scepticisme fait son entrée dans l’espace médiatique français.
Ensuite, Claude Allègre et Vincent Courtillot obtiennent que l’Académie des sciences française organise un débat sur la question climatique, qui aura lieu en mars 2007, en deux parties dont la seconde ouverte au public. Le débat est présidé par l’un de ses protagonistes principaux, Vincent Courtillot!
Pour le climatologue Phil Jones, l’un des chercheurs en sciences du climat les plus cités du monde, il est évident, à la manière dont ils rendaient compte de la littérature scientifique, que Allègre et Courtillot ne connaissaient pas le sujet.
Une erreur «invraisemblable» commise lors de l’exposé de l’article de Courtillot est mise en exergue par Stéphane Foucart (p. 70): l’écart entre les flux d’énergie maximum et minimum reçus du soleil, qui est estimé à 1 W/m2, ne serait pas «si différent» des 2,5 W/m2 attribués aux gaz à effet de serre émis par l’homme depuis le début de la révolution industrielle. Or, ces deux grandeurs ne peuvent être comparées puisque l’une concerne une surface plane et l’autre une sphère, dont la surface est quatre fois supérieure. De plus, il faut tenir compte du fait qu’une partie du rayonnement solaire est réfléchie par la terre, environ 30%. Si bien que la valeur à comparer doit être divisée par 4 et multipliée par 0,7 , soit un résultat inférieur à 0,2 W/m2 . La première valeur revient à supposer que la terre est plate (et noire) !
Motivations
Quelles sont les motivations des personnalités scientifiques qui remettent en cause le réchauffement climatique ? En France, elles ne paraissent pas financières. Il faudrait plutôt y voir des problèmes d’égo, une volonté d’être sous les feux de la rampe, mais aussi une différence de culture scientifique.
En effet, il s’agit souvent de géologues, et la géologie est souvent proche des pouvoirs économiques et politiques dans la mesure de l’intérêt pour la prospection des sous-sols ou pour la prévision de catastrophes naturelles…
Actuellement, les spécialistes du climat ont obtenu une part importante de l’intérêt politique, ce qui entraîne également des glissements importants dans les budgets alloués pour les recherches.
Stéphane Foucart pointe également la différence entre les échelles de temps des deux sciences: habitués à raisonner sur des périodes beaucoup plus longues, des dizaines de millions d’années, les géologues ne comprendraient pas que l’on se préoccupe de variations peu importantes en regard de ce que la Terre a déjà connu: au Crétacé, par exemple, il y a quelque 100 millions d’années, la concentration atmosphérique de CO2 était cinq fois plus élevée qu’aujourd’hui et la température moyenne plus élevée de 4 degrés. Par ailleurs, les sociétés humaines, menacées par le changement climatique, ne font pas partie du domaine d’étude de la géologie…
Climategate
Au niveau mondial cette fois, des actions visant à décrédibiliser les climatologues sont entreprises par des organisations disposant de moyens importants. Stéphane Foucart consacre un chapitre de son ouvrage à l’affaire du «Climategate», un scandale planétaire dont on ne connaît toujours pas les commanditaires. Il s’agit de la publication sur internet le 19 novembre 2009, quelques semaines avant l’ouverture du sommet de Copenhague, de centaines de courriels piratés échangés par des climatologues, sortis de leur contexte et aboutissant à les présenter comme de mauvaise foi, manipulant les données, etc.
La phrase la plus célèbre est extraite d’un courriel de Phil Jones, l’un des rédacteurs du dernier rapport du GIEC, et auteur de la célèbre courbe des températures, qui informe son correspondant qu’il a «utilisé l’astuce de la publication de Mike dans Nature en ajoutant les températures réelles à chaque série (…) pour masquer le déclin».
Interprété à tort comme la preuve que le réchauffement climatique serait une pure invention, il s’agit simplement d’une correction à la courbe des températures qui a consisté à remplacer les températures obtenues à partir de la croissance des cernes d’arbres par des températures mesurées directement, pour tenir compte du fait qu’à partir des années soixante, pour une raison encore inconnue, la croissance des cernes d’arbres ne reflète plus les températures moyennes.
Autre exemple, une phrase du climatologue Michaël Mann à propos d’un article publié dans une revue scientifique, sera également mise en exergue lors du scandale: «Je pense que nous ne devons plus considérer Climate Research comme un journal à évaluation par les pairs légitime. Peut-être devrions-nous encourager nos collègues de la commnauté de la recherche climatique à ne plus soumettre ou citer de papiers de ce journal». Ici, les climatologues vont être suspectés d’organiser un «terrorisme scientifique» pour empêcher leurs contradicteurs de publier dans les revues scientifiques (pp. 165 et suiv.). Or, l’article incriminé par Michaël Mann fera l’objet ultérieurement d’une déclaration du directeur de la publication qui indiquera que «les principales conclusions des auteurs ne pouvaient être tirées de manière convaincante des éléments fournis par l’article». En d’autres termes, c’est la valeur scientifique de l’article qui était discutable et non son orientation.
Prix Nobel
L’attribution du prix Nobel de la Paix pour 2007 conjointement au Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) et à Al Gore pour son film «Une vérité qui dérange» sur le réchauffement et ses effets prévisibles a été pour Stéphane Foucart une erreur, dans la mesure où ce prix a mis sur le même pied une démarche scientifique et une démarche politique militante, ce qui aurait «accrédité l’idée que la science et l’activisme écologique procédaient du même projet» (p. 14). En d’autres termes, ce prix Nobel a favorisé l’idée que la climatologie est une science militante visant à asseoir un nouvel ordre écologique au niveau mondial.
En conclusion, la démarche de valorisation du discours scientifique par Stéphane Foucart est sérieuse et salutaire, et son livre bien plus riche que les quelques aspects que nous avons pu aborder ici – citons notamment le chapitre consacré au financement du discours climato-sceptique aux Etats-Unis. L’honnête homme soucieux à la fois de s’informer correctement et de l’avenir de la planète se devrait d’en prendre connaissance.