La mafia aux USA: actualités

Banc Public n° 150 , Mai 2006 , Frank FURET



Aujourd’hui , la Cosa Nostra américaine n'a plus grand-chose à voir avec son passé mythique: les costumes rayés, le trafic d'alcool, les mitraillettes Thompson , etc...., tout cela est un peu dépassé. Les familles ont certes rencontré de sérieuses difficultés; mais les mafias ont une forte capacité d'adaptation quand les choses vont mal: renforcement de la clandestinité,  recours aux contre-filatures, utilisation de nom de code, etc...  L'acharnement médiatique à annoncer leur fin amuse plutôt les mafieux, mais il endort en revanche l'opinion et amoindrit la vigilance des policiers.

Aujourd'hui, La Cosa Nostra américaine intervient dans l'extorsion de fonds, la drogue, la fraude financière au sens le plus large, le prêt usuraire, le piratage des marchés publics, la prostitution et la pornographie, le trafic de stupéfiants (héroïne, amphétamines; peu de cocaïne), les prêts à taux usuraires, le racket, les jeux d'argent illicites (paris illégaux sur des événements sportifs, vidéo-pokers, loteries clandestines) etc.

Elle excelle et sévit également dans l’escroquerie aux assurances sociales et de santé, l’escroquerie aux télécommunications (dans le domaine du porno notamment, les facturations frauduleuses de centaines de millions de dollars par le truchement d'abonnements ou de connexions au téléphone ou à Internet), les escroqueries boursières énormes ("Mob on Wall Street") par le biais de l'infiltration de mafieux dans des sociétés de bourse, les vols d'identité, la criminalité informatique, les escroqueries aux taxes sur les carburants, etc.

Vers 1995, Richard Martino, de la "famille" Gambino, avait ainsi monté une énorme escroquerie concernant les services en ligne (téléphone ou Internet). Il s'agissait de pornographie téléphonique ("sex hotlines"), ou par Internet. Des comparses rachetaient des sociétés de téléphonie fixe rurales (Garden City, Missouri; Overland, Kansas, etc.) et inondaient la presse d'annonces promettant l'accès gratuit aux "sex hotlines" ou sites porno. Le gogo appelait, et on lui facturait : qui allait porter plainte pour 50 ou 100 dollars, et pour un tel appel? Butin pour les Gambino: au minimum 100 millions de dollars - qui sont un enfantillage auprès de l'escroquerie Internet. L'accès au site porno était certes gratuit  mais le surfeur devait présenter sa carte de crédit, et on lui  jurait  qu’elle ne serait pas débitée. La carte était bien sûr débitée de 50 à 100 dollars - et retour au schéma précédent. Les experts du FBI estiment pour l'instant à 750 millions de dollars un préjudice dans doute bien pire. C'est d'ores et déjà la fraude la plus énorme de l'histoire des Etats-Unis... Les sommes ainsi obtenues étaient telles qu'elles ont permis à des mafieux de s'offrir une petite banque rurale (à Garden City, Missouri), achetée trois millions de dollars, en vue d'escroqueries ultérieures...

La musique et le "show-business"

Le contrôle d'Hollywood fut instauré à partir de la fin des années 1930 par Benjamin Bugsy Siegel, introduit dans le milieu du cinéma par des acteurs dont il devint l'ami, tels que George Raft, Jean Harlow, Clark Gable ou Cary Grant. Siegel avait mis en place un système de racket des producteurs, en prenant le contrôle des syndicats des figurants et des techniciens (décorateurs, preneurs de son, monteurs, etc.), qui pouvaient à tout moment bloquer la production d'un film.

Deux activités sont au départ proscrites aux mafieux en Sicile. Elles se sont largement développées aux États-Unis, notamment le porno. Après la mise sous contrôle d'Hollywood, la mafia sait que l'industrie du sexe par ses films et ses filles est un bizness plus que lucratif. Aujourd'hui certains chefs dirigent aussi par le biais d'intermédiaires mafieux (dans un souci de discrétion) des agences de prostitution de luxe, où coucher avec une fille coûte au minimum 5.000 dollars.

La musique et le spectacle forment une part importante de la "nouvelle économie". Or, rares sont ceux qui soupçonnent l'influence persistante de la mafia sur ce monde trouble, comme celui de la populaire et lucrative musique rap, dont un des hommes clés est Sonny Franzese chef d'équipe de la "famille" Colombo et mafieux emblématique: derrière la frime et les "attitudes", se dégage la véritable hiérarchie criminelle de l'Amérique d'aujourd'hui. On croit que les rappers dirigent leur propre business: c'est faux. Pour Xavier Raufer, tous les rappers de l'industrie musicale paient tribut à des mafieux.

Dans les syndicats de travailleurs

Une des spécialités de la mafia italo-américaine est le racket des syndicats de salariés: escroqueries aux dépens des fonds de pension ou des fonds sociaux, fausses factures et notes de frais, emplois fictifs, détournements de fonds, pillages de mutuelles, chantages à la grève aux dépens d'entreprises, etc. Les professions touchées par ce contrôle mafieux relèvent de la  construction, de la démolition, de l'élimination de l'amiante, des transports routiers, du traitement des ordures et des déchets toxiques, des ports, docks et aéroports: autant de secteurs qui peuvent s’avérer lucratifs.

Le contrôle de secteurs entiers du monde syndical  n'est pas à proprement parler une activité irrégulière, mais permet d'user de précieux leviers pour racketter les entreprises par la menace de grève ou de ralentissement d'une chaîne de production. Sont notamment sous influence mafieuse les syndicats d'employés de l'hôtellerie et de la restauration, de dockers, de transporteurs routiers mais aussi les branches économiques du bâtiment et des travaux publics, du ramassage des ordures et des déchets urbains, du transport maritime, de la distribution de carburant, des courses de chevaux, du show-business et du spectacle. Les profits accumulés par les familles mafieuses leur  permettent également d'investir dans les entreprises légales.

Les familles Genovese et Gambino ont par exemple racketté la sphère de la construction immobilière au cours des années 1980. Elles ont joué sur des leviers qu'elles maîtrisaient bien en faisant peser le «risque» d'une grève, d'une panne ou d'un accident empêchant l'arrivée du béton jusqu'au chantier, mettant l'entrepreneur en situation de ne pouvoir respecter les délais et les conditions du contrat et, donc, d'être placé en faillite. Les entrepreneurs n'ont pas le choix d'autant plus que le système est savamment élaboré dès sa source. Par la violence, le sabotage de chantiers, le contrôle de syndicats ou d'agences de main-d'oeuvre, et la corruption, les familles sélectionnaient une entreprise ayant leur faveur (qui doit leur reverser un certain pourcentage de ses gains) puis contraignaient les autres candidats à faire des offres supérieures.

En avril 2004, une enquête a révélé que la section de New York du syndicat des ouvriers du bâtiment "Operative plasterers and masons union" (maçons, plâtriers, couvreurs,...) est en réalité contrôlée, depuis 25 ans et plus, par trois puissants capos de la "famille" Genovese.  Rien n'a changé depuis 1954, quand sortit le célèbre film "On the waterfront" (Sur les quais) où Marlon Brando incarnait un docker honnête combattant la mafia...

A New York toujours, on a découvert que l'union syndicale locale des poseurs de faux-plafonds et spécialistes de l'étanchéité "United union of roofers, waterproofers and allied workers" (crucial pour les immeubles de grande hauteur ou les tours de bureaux...), était contrôlée par les inévitables John Barbato et Venero Mangano, de la "famille" Genovese. Le FBI a aussi révélé que la "Metropolitan Transportation Authority", équivalent de la RATP parisienne, a vu exploser le budget des travaux de son nouveau siège. Là, c'est la "famille" Gambino, associée à des "syndicalistes" de la LIUNA (Laborers International Union of North America, manoeuvres, main d'oeuvre non qualifiée, etc.) qui a prélevé, pour l'instant, 10 millions de dollars.

L'un des syndicats les plus infiltrés par la mafia est celui des Teamsters (camionneurs, conducteurs, livreurs, coursiers, etc.). Régulièrement, les autorités fédérales ont exigé de ce syndicat fort trouble des enquêtes internes anti-mafia. Or en 2004, Carlow Scalf, secrétaire exécutif (n°2 du syndicat) a  étouffé l’enquête sur la section de Chicago des Teamsters, si efficacement que l'équipe de contrôle interne anti-mafia du syndicat a démissionné en groupe.

Marchés publics

En 2004, deux affaires mafieuses importantes ont défrayé la chronique à Chicago. Depuis vingt ans, la municipalité utilise une flotte de camions, autocars, etc., loués à des sous-traitants privés. Budget annuel: 40 millions de dollars. Les sous-traitants favoris de la mairie sont tous membres du directoire de la "famille" de Chicago.

La ville de New York produit chaque jour 25.000 tonnes de déchets. Les services municipaux collectent les ordures des particuliers; celles des bureaux, des industries, du commerce, de la restauration, le sont par des sociétés privées. Cosa Nostra contrôle en partie ce marché grâce à l'emprise qu'elle exerce sur l' «Association of Trade Removers of Greater New York», à ses liens privilégiés avec le syndicat du personnel de ramassage, et à la corruption sur les élus municipaux. Tout cela profite aux familles mafieuses de New York puisque le mètre cube de déchets ramassé y coûte quatre fois et demi ce qu'il coûte à Los Angeles et presque trois fois et demi ce qu'il coûte à Chicago.

Conclusion

Aux USA, la mafia subtilise chaque année des milliards de dollars  au préjudice de l'Etat fédéral et d'entreprises diverses. Ses structures, hiérarchies, règles et principes confèrent à la mafia la capacité de se régénérer. Cosa Nostra dispose de structures solides permettant aux groupes nouveaux d'infiltrer certains secteurs; ils voient donc leurs profits augmenter en s'associant à Cosa Nostra, qui  sous-traite le racket, les assassinats et le trafic de stupéfiants à des groupes nouveaux: les deux parties y gagnent. Les groupes nouveaux prospèrent en fournissant Cosa Nostra et cette dernière dispose de moyens sinon hors de sa portée". En témoigne l'alliance entre la "famille" de Philadelphie et le club de motards criminalisés "Hells Angels" local, dans le trafic de stupéfiants chimiques (amphétamines), les gangs de rue, les motards criminalisés, les bandes ethniques¼

Pour Xavier Raufer,  l'hédonisme américain rend improbable l’élimination de la mafia. L’organisation maîtrise aussi les techniques de contre-ingérence informatique, ce qui pose de graves problèmes aux officiels. Les opportunités criminelles abondent pour les mafieux du fait d'une demande constante dans le domaine du vice, ou de la vulnérabilité des victimes. Et nombreux sont ceux qui frappent à la porte. Ainsi, à long terme, il y a fort à parier que la société américaine aura le plus grand mal à l'emporter sur sa Cosa Nostra .


Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

Les mafias, grave facteur de risque financier Xavier Raufer, Publié dans "Défense Nationale et sécurité collective",
Supplément au N°3, mars 2005

Mafias du monde, organsiations criminelles transnationales Thierry Cretin, PUF, 2002

La mafia Italo-Américaine, encyclopédie Wikipedia

Le grand réveil des mafias, Xavier Raufer.Lattès, Paris, 2003.

Kennedy a été assassiné par la CIA, la mafia et les contre-révolutionnaires de MiamiGranma, La Havane, 10 janv.

Cours de Mafia, Courrier international, 19 mai 2004

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