Histoire de de la Cosa Nostra

Banc Public n° 115 , Décembre 2002 , Frank FURET



Cinq organisations basées en Italie répondent à l’appellation de « mafia »: la 'Ndrangheta, la Sacra Corona Unita, la Cammora , la Stidda et la Cosa Nostra, basée en Sicile, considérée par Thierry Cretin (1) comme l'organisation criminelle la plus importante d'Europe. Outre l’ Italie, elle a des ramifications en Allemagne, en France, en Suisse, en Grande-Bretagne, en Russie, au Canada et aux USA. Déjà célèbre pour ses activités criminelles, elle a déclenché un vaste mouvement d'opposition en Italie à la suite des attentats contre les juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino.

Jusque dans les années 1980, seules six provinces siciliennes sur neuf étaient réputées tenues par Cosa Nostra ("Notre Chose") (2). Mais compterait aujourd’hui environ 5 000 hommes d’honneur dont plus de la moitié relèvent des 54 familles palermitaines, familles qui se caractérisent par leur extrême homogénéité (mêmes familles biologiques unies à la fois par des mariages croisés entre familles proches et des liens d’interdépendance géographique et économique) . Presque tous les groupes d’hommes d’honneur sont constitués de la famille proche ou lointaine et des amis. Frères , cousins, compères tissent toujours la toile de la cellule de base, la cosca.» (3). Entrer dans une cosca , c’est être impliqué dans un cercle de compagnonnages, de mariages et de clientélisme de vastes proportions, qui peut inclure plusieurs centaines de personnes. Selon Ilda Boccassini (3) « la famille, les parentés, les liens du sang sont à Cosa Nostra ce que l’idéologie était au terrorisme politique. »


Débuts…


La Cosa Nostra s’est structurée à partir du milieu du XIXe siècle comme force supplétive au service des grands propriétaires terriens soucieux d’assurer la sécurité de leurs domaines en l’absence d’institutions publiques italiennes encore crédibles suite à la déchéance des Bourbons et au processus d’unification de l’Italie de 1860. (2)
A partir du contrôle des vastes propriétés agraires (latifundi), les activités des familles mafieuses vont rapidement s’étendre aux marchés d’agrumes et aux principaux circuits commerciaux de la Sicile (minoteries, marchés de la viande, compagnies de transport, entrepôts portuaires), influence qui contaminer rapidement la vie politique communale puis régionale, le paravent qualifié d’idéologique par Ilda Boccassini (3) , de « siciliannité » facilitant la perméabilité de la vie sociale Sicilienne.
Entre 1924 et 1929, le préfet Cesare Mori obtient de Benito Mussolini les pleins pouvoirs et entreprend d’éradiquer toute activité mafieuse sur l’île. La répression va renforcer la clandestinité de l’organisation mafieuse et favoriser sa dissémination hors des frontières insulaires.
Au cours des années 1920, une famille mafieuse s’installe à Tunis tandis que d’autres mafieux profitent de l’implantation d’une diaspora sicilienne (3)aux Etats-Unis pour s’implanter sur le continent nord-américain, à l’exemple des chefs mafieux italo-américains Joe Masseria, Carlo Gambino, Joseph (Bananas) Bonanno et Salvatore Lucania, alias Francky (Lucky) Luciano.
Avec l’arrivée des troupes américaines en Sicile en 1943 et sous l’impulsion du mafieux italo-américain Francky Lucciano (5), la vieille mafia sicilienne rurale emprunte aux méthodes rationalisées des familles criminelles italo-américaines et se transforme progressivement en organisation criminelle transnationale.
Installé dès 1947 près de Naples, Lucky Luciano noue des contacts avec les corses Joe Renucci et les frères Francisci pour développer des filières de trafic d’héroïne en Méditerranée. D’autres italo-américains rejoignent alors également l’Italie : Franck Coppola et Serafino Mancuso, condamnés aux Etats-Unis pour trafic en 1935.


Une seconde métamorphose…

Suite à la réforme agraire de 1950, qui démantèle les grands domaines agraires, la Cosa Nostra se métamorphose une nouvelle fois. Les mafieux sont plus exclusivement attachés à l’univers rural. Ils s’impliquent dans les affaires, créent des sociétés, s’imposent comme intermédiaires obligés pour l’effort de reconstruction de l’après-guerre en profitant de la mise en place des nouvelles institutions politiques . Le mafieux n’est plus nécessairement un campiere ou un administrateur appointé par le grand propriétaire. Il se présente plutôt sous les traits d’un propriétaire terrien petit ou moyen, possède, individuellement ou en société, des tracteurs, des moissonneuses-batteuses ou des camions, est propriétaire, en son nom ou en participation collective, de sociétés de constructions plus ou moins importantes pour l’adjudication des travaux publics, est titulaire ou associé d’entreprises commerciales et de magasins. » (6)
Du 10 au 14 octobre 1957, va se tenir, à Palerme le sommet des parrains Siciliens et des USA. Franck Coppola, Lucky Luciano et Michele Sindona, le conseiller financier de Cosa Nostra sont notamment présents.
Les Siciliens alors décideront d’importer la morphine-base depuis le Moyen-Orient (Turquie, Iran, Afghanistan) et de la raffiner depuis la Sicile avec l’aide de chimistes du milieu marseillais avant de l'expédier vers New-York. Les Américains se contenteront de fournir la logistique nécessaire au trafic depuis les Etats-Unis.
Mais des conflits vont se développer entre familles de Palerme. Originaire de Corleone, Luciano Leggio, dit Luciano Liggio s'impose à la tête de sa cosca en faisant assassiner en 1958 le Docteur Michele Navarra, parrain alors tout-puissant de Corleone (qui cumule les fonctions de médecin-chirurgien attitré des chemins de fer italiens, de directeur de l'hôpital Dei Bianchi de Corleone et de président de la coopérative des agriculteurs et des caisses maladie et des mutuelles des villages de Corleone, Misilmeri, Bolognetta et Lercara Friddi.
Dans les années 60, Liggio s’assure le soutien de deux proches de Giulio Andreotti : le député démocrate-chrétien Bernardo Mattarella, qui sera par la suite ministre du commerce extérieur, et Vito Ciancimino, maire de Palerme en 1971, ancien adjoint aux travaux publics de son prédécesseur, Salvo Lima, autre vieux compagnon de route de Cosa Nostra (qui sera assassiné en 1992). En 1971, Liggio assassine lui-même Pietro Scaglione, le procureur de Palerme jugé responsable de l’émission d’un mandat d’arrêt à son encontre. En mars 1974, il sera quand même interpellé et incarcéré. La direction des Corleonesi revient alors à Salvatore Riinà.


1981-1992 : Une stratégie militaro-terroriste (8)

La montée en puissance des Corleonesi au sein de l’organisation mafieuse sicilienne, sur fond de rivalités entre familles pour le contrôle du trafic d’héroïne, déclenche une nouvelle guerre interne, particulièrement meurtière pour les familles palermitaines. Les Corleonesi entreprennent d’éliminer méthodiquement les familles palermitaines concurrentes. Entre 1978 et 1982, les homicides se multiplient : les opposants aux Corleonesi au sein de Cosa Nostra, les représentants des autorités publiques (le colonel Giuseppe Russo en août 1977, l’inspecteur Boris Giuliano en juillet 1979, le magistrat et député Cesare Terranova en septembre 1979, le capitaine des Carabiniers Emanuele Basile en mai 1980, le préfet Dalla Chiesa en septembre 1982) et même certaines personnalités politiques (Michele Reina, secrétaire de la Démocratie Chrétienne de Palerme en mars 1979, le président de la région de Sicile Piersanti Matarella en janvier 1980) seront les premières victimes de la campagne d’assassinats conduite par les Corleonesi en vue de la conquête du pouvoir mafieux. Au cours de cette période, on relève, en moyenne, un meurtre par jour à Palerme.
Suite au retrait de Michele Greco, au début des années 1980, le clan des Corleonesi (Toto Riina, Bernardo Provenzano, Loluca Bagarella) prend complètement le contrôle de l’organisation mafieuse.


Vers une nouvelle "Cosa " ?

Après l’arrestation de Salvatore Riinà, la Cosa Nostra va engager une stratégie dite d’invisibilité, fondée sur l’abandon de l’option terroriste pratiquée au début des années 1990. Selon Eric Jozsef (7), la Cosa Nostra, affaiblie par la multiplication des interpellations, le recours systématisé aux repentis et les tensions internes provoquées par la brutalité des méthodes de commandement de Salvatore Riinà et des Corleonesi, aurait voulu au cours de l’année 2000 engager une tentative de conciliation avec l’Etat italien par le biais du chef mafieux Salvatore Biondino, désigné comme représentant de Salvatore Riinà, alors incarcéré depuis janvier 1993. Contre la reconnaissance de leur culpabilité et la dissolution de l’organisation mafieuse, la plupart des chefs de Cosa Nostra incarcérés réclament à Pier Luigi Vigna, le procureur national antimafia, le droit d’être libéré dans les 15 ou 20 ans (7) .
Messina Denaro, associé en cette affaire à Filippo et Giuseppe Graviano, deux chefs mafieux de la famille du Brancaccio à Palerme, va alors avoir pour mission (attentats, 10 morts) d’imposer aux pouvoirs publics italiens une négociation autour de l’aménagement des peines infligées aux chefs incarcérés de Cosa Nostra ; il va acquérir de l’importance au sein de Cosa Nostra eu égard à son habilité à gérer les fonds criminels. Il est alors propriétaire de sablières dans la province de Trapani, associé depuis le début des années 1990 avec les familles des Cuntrera et Caruana, originaires de Siculiana et installées en Amérique du Nord, pour le trafic de stupéfiants et le blanchiment, au mieux, aussi, avec une puissante famille de propriétaires terriens à laquelle appartient Antonio D’Ali, (sénateur de Sicile et membre influent de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi), dont le cousin, Giacomo D’Ali est administrateur de la banque d’affaires COMIT. En 1993, la famille D’Ali avait prêté son concours à Salvatore Riinà pour dissimuler une partie de ses avoirs. (8)


Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

(1)Thierry Cretin ., Mafias du monde - Organisations criminelles transnationales.

(2) L’appellation Cosa Nostra (Notre Chose) n’est connue que depuis la publication dans les années 1980 des témoignages des repentis de l’organisation mafieuse sicilienne. Cette appellation dériverait d’une phrase d’identification employée couramment par les mafieux : « Sommes-nous de la même Chose ? ».
Lucky Luciano popularisera la dénomination de "Cosa Nostra" (LCN) pour désigner le regroupement des familles mafieuses italo-américaines.

(3) Ilda Boccassini, magistrate italienne, in L’Europe des Parrains, de Fabrizio Calvi, Paris, éditions Grasset. .

(4) Entre 1900 et 1914, plus d’un million de siciliens émigrèrent à l’étranger dont 800 000 en Amérique du Nord. Les familles mafieuses italo-américaines se sont formées à l’occasion de cette émigration.

(5) Après avoir fait ses armes dans le trafic d’alcools pendant la prohibition, Francky (Lucky) Luciano, de son vrai nom Salvatore Lucania, s’est imposé en 1930-1931 à la tête des familles mafieuses italo-américaines, qu’il a contribué à structurer en 24 familles sur un modèle criminel de type entrepreunerial. Condamné aux Etats-Unis, il fut sorti de prison en 1943 par les services secrets de l’US Navy américains pour mettre fin à la grève des Longshormen (dockers) syndiqués du port de New-York qui bloquaient l’approvisionnement des troupes américaines. Il fut par la suite expulsé définitivement en Italie où il s’installa près de Naples. Il meurt après avoir bu, lui aussi, un café empoisonné en janvier 1962.

(6)« Funzioni e basi sociali della mafia », par Francesco Reda, in Il movimento contadino nella società siciliana , Palerme, 1956, cité p. 191 dans Histoire de la Mafia, par Marie-Anne Matard-Bonucci, 1994.

(7) « La mafia siclienne aurait décidé de négocier un armistice avec l’Etat italien », Eric Jozsef, Le Temps, 9 février 2001.

 

     

     
 
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