Dans le même temps, les délocalisations induisent également une divergence des salaires. L’existence de perdants (en termes de salaires ou de chômage transitoire) est un fait avéré depuis longtemps déjà. Seulement, dans la mesure où la majeure partie de la population bénéficiait du commerce avec les pays à bas salaires, sa remise en cause n’était pas à l’ordre du jour.
Pourtant, si les perdants se multipliaient, une défense systématique du libre-échange serait-elle encore possible? Bien que les récentes études attribuent un rôle croissant aux échanges internationaux dans le creusement des inégalités, elles attestent que le progrès technique reste de très loin le premier coupable. Une autre tendance doit aussi être prise en compte: la révolution des technologies de l’information et de la communication a eu comme conséquence d’étendre toujours plus le champ de ce qui est productible à l’étranger, notamment dans le secteur des services.
Ce qui était auparavant potentiellement échangeable se résumait avant tout à ce qu’on pouvait déposer dans une boîte et faire acheminer par bateau. Cette définition est devenue désuète: actuellement des radiologues indiens diagnostiquent des radiographies envoyées électroniquement par des hôpitaux américains. Il est désormais possible d’imaginer une entreprise qui non seulement délocaliserait ses fabriques en Chine et ses call centers au Maghreb, mais aussi son back-office administratif, voir même son département juridique et fiscal en Inde.
Les seuls emplois non délocalisables seraient donc ceux dont la production n’est pas livrable électroniquement et ceux nécessitant un contact humain. La menace des délocalisations pourrait donc, à moyen terme, s’étendre aux emplois qualifiés. Les inquiétudes vis-à-vis de la mondialisation risquent dès lors de grandir. En effet, ce sont de grandes fractions de la population qui pourraient être menacées de déplacements sectoriels. La demande de protection pourrait parallèlement s’accroître. Les Etats seront amenés à proposer des réponses crédibles. Parmi celles-ci, nul doute que les sirènes du protectionnisme pourraient se faire toujours plus obsédantes.