L'optimisme à l'honneur...

Banc Public n° 225 , janvier 2014 , Frank FURET



Les Etats-Unis s’enfoncent dans la pauvreté…


L'évolution de la société américaine tranche avec la vision angélique des médias acquis pour la très grande majorité à la pensée néolibérale: malgré une prétendue baisse lente, mais continue du chômage, le nombre de sans-abris et de personnes ayant faim augmente. Au total, ce sont 46,5 millions d’Américains qui vivent sous le seuil de pauvreté, selon l’étude réalisée par la Conférence des maires des Etats-Unis, dans vingt-cinq grandes villes américaines. Plus d’un Américain sur six est tiers-mondialisé.

 

 

Trucage des chiffres,  omissions, vérités partielles,… Tout est bon pour nous faire prendre les vessies pour des lanternes: la reprise aurait commencé, la politique économique commencerait à donner des résultats, les voitures s’y vendraient comme des petits pains, le gaz de schiste ferait exploser les compteurs de la relance.

La situation en réalité se dégrade. Une dépêche de l’AFP vient de nous informer que les inscriptions hebdomadaires au chômage ont rebondi davantage que prévu aux États-Unis pour la semaine close le 7 décembre, surprenant les analystes, a indiqué le département du Travail.« En données corrigées des variations saisonnières, elles se sont établies à 368.000, une augmentation de 68.000 par rapport à la semaine précédente qui a été légèrement révisée en hausse, à 300.000 contre 289.000 précédemment estimées. »

Sans compter tous ceux et celles qui, sachant l’inscription au chômage inutile, ne font pas la démarche de se signaler. Au-delà du chômage lui-même, ce sont ses conséquences qu’il convient de bien avoir à l’esprit. Les sans-abris et la faim se répandent à travers l’Amérique comme une traînée de poudre.

Le 31e bilan sur la faim et les sans-abris (Assessment of hunger and homelessness) aux Etats-Unis  révèle une réalité tout simplement accablante pour la première puissance économique mondiale :

 

- la demande d’aide alimentaire a augmenté dans 83% de ces villes , en moyenne de 7% ;

 

- plus de 90 % des villes étudiées ont signalé une augmentation du nombre de personnes demandant de l’aide alimentaire pour la première fois ;

 

- les bénéficiaires de l’aide alimentaire vivent au sein d’une famille à 58%, 43 % ont un emploi, 21 % sont des personnes âgées, 9% sont des sans-abris ;

 

- les 25 villes ont consacré 324 millions de dollars à l’aide alimentaire pendant cette période ;

- 21% des personnes qui ont besoin de cette aide pour survivre n’ont pu la recevoir ;

 

- la quantité de nourriture fournie a été réduite, faute de moyens. 78% des villes ont dû réduire le nombre de fois où une personne ou une famille peut recevoir de la nourriture chaque mois ;

 

- 71 % des villes ont dû refuser des familles sans abri avec des enfants en raison du manque de lits disponibles et, dans les deux tiers des villes, les centres d’aide doivent envoyer les personnes loin de chez eux en raison du manque de places ;

 

- le nombre de sans-abris a augmenté dans 52 % des villes étudiées et n’a baissé que dans 36 % d’entre elles. Dans 12% des villes, le nombre de sans-abris n’a pas varié. L’augmentation moyenne du nombre des sans-abris est de 4% pour l’ensemble des 25 villes analysées ;

 

- 30% des sans-abris présentent des troubles mentaux, 17% un handicap moteur, 16% ont été victimes de violences conjugales, 3% sont séropositifs, 9% exercent une activité professionnelle et 13% sont des vétérans de guerre.

 

Les E-U comptent plus de 3,5 millions de sans-abris, dont 35% sont des familles avec des enfants, 23% sont des vétérans de l’armée américaine, 25% sont des enfants de moins de 18 ans, 30% ont subi des violences domestiques, 20 à 25% souffrent de maladie mentale. Les données sur la santé sont également accablantes. Très heureusement, l’Union européenne, pour sortir de la crise, pense devoir  s'inspirer du modèle américain.

 

Europa über alles

 

Pour mémoire, quelques déclarations de responsables politiques  avant le référendum français sur le traité de Maastricht, en  1992 :

 

« Maastricht constitue les trois clefs de l’avenir : la monnaie unique, ce sera moins de chômeurs et plus de prospérité ; la politique étrangère commune, ce sera moins d’impuissance et plus de sécurité ; et la citoyenneté, ce sera moins de bureaucratie et plus de démocratie » (Michel Rocard, Ouest-France, 27 août 1992)

 

« Le traité d’union européenne se traduira par plus de croissance, plus d’emplois, plus de solidarité. » (Michel Sapin, ministre des Finances, Le Figaro, 20 août 1992)

 

« Si le traité était en application, finalement la Communauté européenne connaîtrait une croissance  économique plus forte, donc un emploi amélioré. » (Valéry Giscard d’Estaing, RTL, 30 juillet 1992)

 

« L’Europe, ce sera plus d’emplois, plus de protection sociale et moins d’exclusion. » (Martine Aubry à Béthune, 12 septembre 1992)

« La création de cette monnaie européenne n'aura rien d'automatique […]. En outre, chaque État conservera la maîtrise de sa politique budgétaire et fiscale, dans des limites qui ne seront pas plus étroites que celles d'aujourd'hui. » (Edouard Balladur, Le Monde, 29 avril 1992,)

 

Ces alléchantes  promesses ont été formulées par les partisans de la construction européenne - notamment lors de la ratification du traité de Maastricht il y a 21 ans. Dans le monde réel, l'ensemble des pays de l'Union européenne - et plus spécialement de la zone euro - sont en train de vivre un appauvrissement et une régression sociale d'ampleur historique. La vraie pauvreté, concrète et désespérée, a désormais refait son apparition en Europe. Selon les calculs effectués par Eurostat  pour 2011, et donc déjà largement dépassés, l'Union européenne compte 500 millions d'habitants, dont :

 

120 millions (24%) sont menacées par la précarité ou l'exclusion sociale,

 

50 millions (10%) vivent dans un foyer où personne ne travaille,

 

43 millions (8,6%) n'ont pas les moyens d'acheter de quoi se nourrir convenablement,

 

au moins 4,1 millions (0,82%) sont sans abri.

 

Le chômage et le sous-emploi en sont les principales causes. Les dirigeants d'entreprises, mis sous pression par des actionnaires de plus en plus cupides, exploitent une main-d’œuvre désespérée et prête à accepter n'importe quel type de travail: emplois de mauvaise qualité et sous-payés, « petits boulots » de quelques heures par semaine, « stages » payés une misère que l'on propose aux jeunes diplômés pendant un an avant de les chasser pour leur substituer un nouveau jeune diplômé, etc.

 

Pour François Asselineau, non seulement ils portent l'effroyable responsabilité d'avoir imposé une politique qui a pour effet de détruire l'industrie, l'agriculture, les acquis sociaux et le niveau de vie des peuples d'Europe, mais ils ont en plus le culot sans borne de continuer à prendre la pose du Sage et de l'Expert devant des journalistes payés pour leur faire des courbettes, conclut Asselineau.

 

Des SDF pour nettoyer Fukushima

 

A Fukushima,  l'Etat japonais fait travailler environ 10.000 hommes pour les 2.000 km2 de terrain à décontaminer ; mais ces travaux de décontamination autour de la centrale nucléaire ont pris beaucoup de retard, et les entreprises privées, payées par les autorités, n'hésitent pas à recruter des SDF pour assurer ce travail. Un travail ingrat, pour lequel les volontaires ne se battent pas.

 

C'est peut-être pour cette raison que des intermédiaires ont pensé faire appel à des personnes endettées et des SDF recrutés par des entreprises de nettoyage financées par les autorités.

 

Cible facile pour les recruteurs, faciles à localiser, les sans-abris sont chargés des travaux les plus dangereux : vider des maisons abandonnées proches de la centrale, déplacer la terre, couper l'herbe, balayer autour des sites. Pour ce travail, ils ne touchent que le salaire minimum, parfois moins. Les SDF sont sous-payés et exploités. Ils doivent payer des charges pour dormir dans des dortoirs pendant les travaux et une fois ces frais déduits, il ne leur reste souvent plus grand-chose.

 

L’emploi de ces "ouvriers du nucléaire" fait l’objet d’un florissant trafic : les contrats du ministère de l’Environnement dans la zone la plus radioactive de la préfecture de Fukushima sont particulièrement lucratifs, car le gouvernement paye 100 dollars de plus par journée pour chaque travailleur en raison des risques.

 

Reuters a compté 733 entreprises qui décontaminent pour le compte du ministère de l'Environnement les 10 villes les plus contaminées. Et parmi ces sociétés, certaines n'ont pas pignon sur rue.

 

Pour la mafia et les entreprises peu scrupuleuses, la décontamination est une vraie aubaine. La prime de 100 dollars rend le recrutement très lucratif.

 

La police japonaise a arrêté, ces derniers mois, des membres de la mafia alors qu’ils envoyaient illégalement des travailleurs décontaminer des zones irradiées. Si quelques arrestations sont effectives, le gouvernement japonais ferme plutôt les yeux sur les activités des entreprises sous contrat.« Il y a beaucoup d’entités inconnues qui sont impliquées dans les projets de décontamination », confirme le professeur Takayoshi Igarashi de l’Université de Hosei, ancien conseiller de l’ex-Premier ministre Naoto Kan. « Il faut vraiment qu’il y ait un contrôle plus sévère sur les entreprises, sur ce qu’elles font et quand. »

 

Des sans-abris assassinés au Brésil

 

Le journal El Pais a publié un article faisant froid dans le dos. A Rio de Janeiro, les sans-abris seraient assassinés pour nettoyer les rues à un an de la coupe du monde de football. La préparation de la coupe du monde au Brésil fait-elle perdre la tête aux autorités brésiliennes, se demande El Pais , pour qui la politique de « pacification » des favelas brésiliennes, notamment à Rio, pose question. Le journal El Pais rapporte que les rues brésiliennes seraient nettoyées des sans-abris pour accueillir les touristes de demain… La recrudescence de ces meurtres soulève la question du nettoyage social. En 2009, l’ONU a déjà mis en garde le Brésil sur ces possibles pratiques. Ces quinze derniers mois, 195 assassinats de sans-abris ont été répertoriés; le plus souvent, ils ont été brûlés. En 2011, les policiers avaient déjà orchestré un véritable «nettoyage humain » contre les sans-abris faisant 142 victimes. La présidente Dilma Rousseff, fraîchement élue à l’époque, avait promis des mesures pour lutter contre ces meurtres… or, rien n’a sensiblement été fait. Le Brésil entend ainsi probablement lutter contre son image de pays dangereux qu’on lui colle facilement (à noter cette contradiction du pays tropical « ami de tout le monde » mais risqué). Il faut dire que le Brésil a une vieille tradition de violence, les homicides ont longtemps été considérés comme des conflits d’ordre privé. Le développement du pays et l’attrait des grandes villes ont entraîné le grossissement des bidonvilles et les complications qui s’en suivent (augmentation du chômage, essor de la criminalité).

 

Le Centre national de défense des droits de l’Homme, un organisme parrainé par la Conférence   épiscopale du Brésil, a fait part de son inquiétude quant à un possible «nettoyage social» des sans-abris en guise de préparation à la coupe du monde de foot de 2014.L'organisation craint que ce que le gouvernement appelle l'«hygiénisation» de ceux qui vivent dans la rue ne soit en réalité qu'un euphémisme destiné à laisser libre cours aux bourreaux qui opèrent dans les rues de Rio.


Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

Japon: des sdf pour nettoyer Fukushima, La Dépêche, 2 janvier 2014.

 

Noël 2013 : Appauvrissement et régression sociale historiques dans toute l’Union européenne, par François Asselineau,  24 décembre 2013.

 

« Homeless ». Pendant ce temps, les Etats Unis s’enfoncent dans la pauvreté…Blogapares, 17 décembre 2013, par Eldon.

 

La peur au Brésil pour un "nettoyage" des sans-abri pour la célébration du Mondial, Juan  ARIAS, El Pais, 29 avril 2013.

 
     

     
 
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