Le TTIP (The Transatlantic Trade and Investment Partnership)

Banc Public n° 239 , Juin 2015 , Frank FURET



En français : le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI)

 

Le traité de libre-échange en cours de négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis (TTIP) aura des conséquences sur notre société. Presque deux  millions de personnes ont déjà signé une initiative qui exige l’arrêt des négociations sur le TTIP.  Pour certains, le but du TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement) est de transférer le pouvoir décisionnel aux multinationales et déréguler les normes sociales, sanitaires et environnementales en faveur de ces mêmes multinationales.

 

Un « Conseil de coopération en matière de réglementation » devrait plancher sur les différences entre lois et réglementations aux États-Unis et au sein de l’UE. C’est pourquoi ce conseil – non élu – se verrait même accorder le pouvoir de bloquer ou d’édulcorer des lois ayant pour but de réguler le monde des entreprises ou celui de la finance. Des procédures d’arbitrage inquiètent nombre de pays européens, qui y voient la porte ouverte à une remise en cause par des multinationales de leurs politiques publiques.

 

La commission du commerce international du Parlement européen a voté, ce 28 mai, une résolution qui n’accepte pas seulement le traité de libre-échange TTIP, mais aussi le principe des tribunaux privés. Seule la gauche conséquente non socialiste (Gauche unie européenne-GUE) et les écologistes s’y sont opposés. 28 parlementaires européens (socialistes, conservateurs et libéraux) ont voté pour en commission.  Treize se sont prononcés contre.

 

La résolution votée ne refuse même pas le principe des « arbitrages investisseur-État » (appelé ISDS pour Investor State Dispute Settlement). Cet ISDS donnerait aux multinationales le droit et la possibilité d’exiger des lourdes compensations financières si des pays prennent, par exemple, des mesures de protection de la santé qui nuisent à leurs intérêts. En d’autres mots,  l’ISDS donnerait la possibilité aux multinationales de poursuivre des gouvernements devant des tribunaux privés et d’imposer la dérégulation des normes de protection sociale, de services publics, d’environnement, de santé, d’emploi, de sécurité alimentaire, de protection des données et de vie privée.

La résolution de la commission du commerce international demande très prudemment quelques précautions en matière de législation du travail et de services publics. Mais ce ne sont rien d’autres que des mesures cosmétiques.

 

Jusqu'à récemment, les sociaux-démocrates  se disaient opposés aux ISDS. Maintenant, ils votent donc non seulement en faveur du TTIP, mais acceptent aussi le principe des ISDS. Marie Arena, eurodéputée PS, a expliqué ce vote socialiste de la manière suivante: le but serait de « sortir cette résolution de la commission pour la porter en plénière, où beaucoup de députés du PPE [conservateurs] ou de l’ADLE [libéraux] ne sont pas d’accord de donner au privé la possibilité de tuer le décideur public ».

 

L’objet de ce vote en commission était de définir les lignes rouges et les principes directeurs qui doivent encadrer les négociations. Ce rapport a été soumis au vote de la plénière du Parlement européen ce 10 juin 2015.  Pour le CNCD-11.11.11 (Conseil national de la Coopération au développement), il reflète davantage les demandes des multinationales que celles de la société civile, même s'il comporte certains points positifs, comme l’exclusion des services publics. Mais il déçoit particulièrement sur plusieurs points clés du projet de TTIP comme la clause d’arbitrage investisseur-Etat (ISDS), qui permet à un investisseur privé de contester devant une cour d’arbitrage un choix démocratique d’un Etat sous prétexte qu’elle affecte ses profits attendus. Bien que plusieurs autres commissions du Parlement européen – comme la commission « des libertés civiles et la commission « de l’environnement » – aient par le passé recommandé d’exclure tout recours à une telle clause ISDS, le rapport de la commission du commerce international en a accepté le principe sous une forme réformée.

 

C’est également le cas de la logique de « listes négatives » adoptée pour la libéralisation des services, qui permettraient de déroger au « traitement national », selon lequel tout avantage octroyé à une entreprise nationale doit l’être aux entreprises étrangères. Cette logique veut que tous les secteurs de services soient soumis à libéralisation, sauf ceux que chaque Etat membre a explicitement indiqués dans une liste.

 

Selon Michel Cermak, chargé de recherche au CNCD-11.11.11, « c’est à se demander pour qui roule la majorité des euro-parlementaires dans cette commission : les citoyens ou quelques méga-entreprises ? La plénière du Parlement européen doit prendre ses responsabilités, et revoir en profondeur les compromis boiteux de la commission du commerce international. Le Parlement doit apporter les amendements nécessaires pour prendre en compte l’intérêt général plutôt que les intérêts privés de quelques firmes transnationales  ».

 

L'Union des Classes Moyennes (UCM) et la Fédération wallonne de l'agriculture (FWA) s'opposent au projet. Ils  estiment que les PME wallonnes et bruxelloises n'ont rien à gagner de ce traité. Au contraire, dans sa forme actuelle, il présente des dangers. Bien sûr, il faut encourager les entreprises à exporter. Elles le font beaucoup; elles pourraient sans doute le faire davantage. Mais la priorité est d'exploiter le marché européen.  Aller aux États-Unis pose des problèmes de distance, de traduction, et comporte des risques juridiques et culturels bien plus importants.

 

Il est logique que la FWA soit opposée à un marché unique transatlantique en alimentation. Il serait naïf de croire que la redoutable Food and Drug Administration va modifier ses standards pour accepter des produits du terroir européen. À l'inverse, le traité semble mettre tout en place pour que les viandes aux hormones, irradiées ou traitées à l’eau de Javel, les céréales et autres produits génétiquement modifiés trouvent leur place dans nos supermarchés.

 

La concurrence n'est pas équitable entre une PME wallonne et une PME américaine. La seconde a des charges administratives minimales, bénéficie d'un coût de l'énergie très bas et de règles sociales qui lui permettent d'engager et de licencier quasiment à volonté du personnel bon marché.

 

Les deux organisations ne veulent pas  de protectionnisme, ni de retour en arrière : une « spin-off » wallonne de haute technologie doit pouvoir aller demain comme aujourd'hui sur le marché américain; le soutien nécessaire existe. Une société américaine doit pouvoir, demain comme aujourd'hui, investir en Wallonie ou à Bruxelles. Mais pas racheter nos entreprises et ensuite déplacer les centres de décision ; l'Europe et les États-Unis doivent être des partenaires économiques, et cela suppose de maintenir des règles du jeu. Dans les circonstances actuelles, un marché unique risque de transformer nos pays en une colonie économique des Américains. C'est un jeu de dupes.


Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

"Traité transatlantique : feu vert partiel du Parlement européen" Cécile Ducourtieux, lemonde.fr , 28/05/2015

"Un traité transatlantique dangereux", site de l'UCM, 27/05/ 2015

 
     

     
 
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