D'abord, j'ai dormi dans les rues du centre de Bruxelles, sur des bancs publics, sous les aubettes de tram, dans les encoignures de porte. Mais lacompagnie des SDF, des SDF classiques, des SDF pur sucre, me faisait peur. Ces épouvantails de rue au teint gris, au regard inerte ne m'inspiraient guère confiance. Ils me proposèrent de squatter avec eux l'un ou l'autre immeuble, leur allure de combattants vaincus m'éloigna d'eux.
Ensuite, j'ai logé dans des parcs publics. Là , même problème, drôles de rencontres avec de drôles d'oiseaux. Même cachés, des personnages à mine patibulaire me dérangeaient.
C'est alors que je pensai me réfugier dans les jardins de particuliers, là au moins, je n'y verrais pas d'âmes perdues.
Distinguons les cas.
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Première sorte: les jardins d'inconnus.
L'on y rentre à l'insu de tous. Le soir venu, un bruit de moteur annonce l'arrivée des heureux propriétaires. Ils sont surpris de trouver quelqu'un dans leur jardin. Que faites-vous là ? Qui êtes-vous? Je leur donne des explications de manière telle qu'ils ne refusent pas de me laisser dormir chez eux, à la belle étoile, même, souvent ils me fournissent un matelas mousse et une couverture. Je garde secrète l'explication que je donne, car je ne souhaite pas que demain, les jardins soient envahis par des personnages louches dont j'ai précisément voulu quitter la compagnie. Ces aimables propriétaires que jusqu'alors je ne connaissais pas sont toujours enchantés de m'accepter dans leur jardin. Pas un seul ne m'a, jusqu'ici, refusé l'hospitalité. Ne désespérons donc pas trop vite de la fameuse nature humaine!
Deuxième sorte: les jardins des relations (mondaines).
Généralement, l'on est étonné de ma demande. Quoi, vouloir dormir dans le jardin? Et pourquoi? Tu risques d'attrapper un refroidissement! Ces personnes, que je connais, qui m'ont placée dans un de leurs casiers, n'imaginent pas qu'un jardin puisse avoir d'autre fonction que celle d'être une garniture verte ou d'être l'endroit où l'on fait un barbeQiou. Ils ne voient pas comment déborder ces fonctions familières.
Parfois, par peur du qu'en dira-t-on, j'ai essuyé des refus. Les voisins ne vont-ils pas croire que le propriétaire du jardin va être cambriolé? (De quoi? de ses herbes? de son pissenlit?), que vont-ils penser de quelqu'un qui laisse dormir quelqu'un dans son jardin?
J'ai passé bien des moments agréables dans ces hospitaliers jardins! Je n'ai plus le regard limité par un mur. J'ai le plaisir de m'éveiller dans un monde qui sans cesse se transforme. Ma perception du temps qui passe se mélange à des changements de couleurs, de bruits, de température, de lumières, de nuages. Les secondes s'égrènent en différences de sensation, le temps est devenu visible.
Je confonds rêve et réalité. En regardant la voute étoilée, j'ai l'impression de me déplacer. J'ai le sentiment d'être sur quelque chose de rond, d'être toute petite face à un monde redevenu mystérieux. L'aube arrive, mon corps s'éveille avec le soleil. Alors que les multitudes dorment comme incarcérées dans leurs carrées limitées, je m'éveille dans un espace libre. Qui est le plus en sécurité?
Celui qui est dedans, celui qui est dehors?