Dans l'affaire WikiLeaks, il lui semble que deux camps s'affrontent: d'un côté, ceux qui veulent mettre Internet en coupe règlée afin de rester au pouvoir, par la censure administrative ou privatisée. De l'autre, l'ensemble des citoyens du Monde prêts à assumer des sociétés en réseau dans lesquelles le partage de la connaissance, la liberté d'expression et la transparence accrues permises par Internet doivent être protégés et renforcés à tout prix.
Pour Zimmerman, au-delà de l'affaire elle-même, c'est la réaction à WikiLeaks qu'il convient d'analyser, car elle est, selon lui, révélatrice d'enjeux fondamentaux pour le futur de nos sociétés en réseau.
Ainsi, Joe Lieberman, président de la commission de la sécurité intérieure et des affaires gouvernementales du Sénat américain, a directement fait pression sur les entreprises américaines fournissant leur service à Wikileaks, afin qu'elles en bloquent l'utilisation. Amazon, EveryDNS, Paypal se sont les uns après les autres exécutés, sans qu'aucune décision de justice ne vienne les y contraindre.
En France, le secrétaire d'État à l'économie numérique, Eric Besson, a déclaré son souhait que WikiLeaks «ne soit plus hébergé en France», estimant que la France «ne peut héberger les sites Internet qualifiés de criminels et rejetés par d'autres États en raison des atteintes qu'ils portent à leurs droits fondamentaux». Cette initiative vise clairement à faire pression sur un nouvel hébergeur localisé en France, en se passant de toute saisine du juge judiciaire, seul capable de déterminer le caractère litigieux ou non des contenus mis en ligne par WikiLeaks. Eric Besson a estimé simplement que les opérateurs doivent être «placés devant leurs responsabilités».
Au nom d'une raison d'État aux contours flous, les gouvernements américain et français tentent donc de se livrer à une forme de censure politique d'Internet. Elle a cela de remarquable qu'elle passe par des pressions (politiques, juridiques et économiques) pesant sur des acteurs privés se retrouvent acculés au «choix rationnel» de la censure.
Plus largement, Zimmerman fait remarquer que des responsables politiques ou des entreprises puissantes ordonnent à des intermédiaires privés de faire la police sur le réseau, avec un impact évident sur la liberté d'expression et de communication. Cette forme parallèle de justice expéditive, contournant l'autorité judiciaire, est une négation flagrante de l'État de droit, alors même qu'Internet est aujourd'hui essentiel à l'exercice de la liberté d'expression.
Ceci étant dit, dans l'affaire WikiLeaks, les réactions des gouvernements, affolés par ce moyen de communication qui leur échappe, se sont heurtées à une levée de boucliers de citoyens qui se sont immédiatement organisés en ligne pour contourner la censure, en créant des centaines de sites "miroirs" qui sont et resteront accessibles. Zimmerman constate donc que des citoyens en réseau peuvent efficacement coopérer pour s'opposer aux dérives de gouvernements et d'entreprises qui, pour conserver leur pouvoir, tentent de contrôler Internet, et il convient désormais de prolonger cette dynamique afin de contrer toutes les velléités, étatiques ou privées, d'entamer la liberté d'expression en ligne. C'est, pour lui, le futur de nos démocraties qui est en jeu.