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France : Vers le contrôle d’internet?
Banc Public n° 184 , Novembre 2009 , Frank FURET
Le retrait imposé des vidéos des Guignols de Canal+ moquant le fils de Nicolas Sarkozy sur Daily Motion et You tube reposent à nouveau la question du contrôle d’internet et de l’émergence d’une industrie de la sécurité.
Le net est incontestablement devenu un média qui peut déranger puisqu’il empêche que soient occultés certains faits sur lesquels règne un silence médiatique sélectif. Ainsi, on attribue volontiers la victoire du non au référendum sur la Constitution européenne de 2005 à l’information véhiculée par de nombreux sites internet opposés au traité, alors que les grands médias officiels poussaient tant et plus leurs publics à voter oui.
En France, la prochaine loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI, ou LOPPSI 2) prévoit l’ installation de mouchards électroniques sans vérification de leur légalité par les services de l’Etat, la légalisation des chevaux de Troie comme mode d’écoute à distance, la création d’un super-fichier “Périclès” regroupant de nombreuses données personnelles (numéros de carte grise, permis de conduire, numéros IMEI des téléphones mobiles, factures…), la création d’un délit d’usurpation d’identité et le pouvoir de géolocaliser les internautes…
Pour d’aucuns, c’est cette loi qui a justifié l’obsession du Président à maintenir contre vents et marées la loi Hadopi sur le téléchargement illégal qui s’annonce inefficace et qui est on ne peut plus controversée. Pour les plus critiques, derrière les apparences de cette première loi contre le piratage sur Internet, c’est une alliance à trois qui se serait formée entre le pouvoir politique, le pouvoir médiatique et l’industrie culturelle. A peine la riposte graduée adoptée, l’équipe Sarkozy avait prévenu que la loi n’était que la première brique d’une longue série d’adaptations du droit à l’ère numérique“, et qu’il comptait bien s’attaquer un jour au problème de la presse et de l’Internet; l’idée d’accorder un label à la presse professionnelle en ligne et de doter les sites de presse d’un statut particulier opposé aux blogs a été mise en application cette année, tout en permettant à la vieille presse papier de bénéficier par ailleurs de substantielles aides de l’Etat, contraires à la libre concurrence, pour investir le Net.
Le gouvernement Français a aussi réussi à imposer à tous les foyers français l’installation d’un “logiciel de sécurisation”, qui, sous la forme d’un mouchard, aura pour but de filtrer les sites internet et certains logiciels. Soit de manière franche, en bloquant l’accès à des contenus ou des protocoles. Soit de manière plus sournoise, en mettant en place un système qui met en avant les sites labellisés par l’Hadopi ou par les ministères compétents, pour mieux discréditer les autres. Pour le moment on ne sait rien du périmètre des caractéristiques imposées par l’Etat aux logiciels de sécurisation, et c’est bien là sujet d’inquiétudes. Il suffirait, selon les critiques, d’étendre par décret la liste des fonctionnalités exigées pour que la censure se fasse de plus en plus large et précise, hors du contrôle du législateur ou du juge.
Le rôle de la loi LOPPSI, c’est aussi d’imposer aux FAI (Fournisseurs d’accès à Internet) l’obligation de bloquer l’accès à des sites dont la liste sera déterminée par l’administration, sous le secret. Ce qui n’est pas sans poser d’énormes problèmes dans les quelques pays qui ont déjà mis en place cette idée. Là aussi, une fois mis le pied dans la porte, sous prétexte de lutter contre la pédophilie, il suffirait d’étendre la liste des exceptions qui donnent droit au filtrage. Pour convaincre les opérateurs les plus réticents on a trouvé un moyen de pression: la quatrième licence 3G.qui va être rapidement indispensable pour continuer à concurrencer Bouygues, SFR et Orange, qui peuvent tous proposer des offres regroupant ADSL et mobile. Mais elle est dépendante de la volonté du gouvernement. Très rapidement, on a fait comprendre aux FAI réticents qu’il faudrait être docile pour espérer accéder à la fameuse licence.
Nicolas Sarkozy semble avoir composé son gouvernement de manière à accomplir son oeuvre sans opposition interne et s’est également assuré le contrôler des institutions qui pourraient lui faire de l’ombre. La CNIL (La Commission nationale de l’informatique et des libertés), qui s’est opposée à la loi Hadopi, n’aura pas le droit de siéger au sein de la haute autorité. Elle n’a pas non plus eu le droit de publier son avis contre la loi Hadopi, et les deux députés commissaires de la CNIL, tous les deux membres de l’UMP, ont voté pour la loi. Plus directement, Nicolas Sarkozy a également évincé l’autorité de régulation des télécommunications (Arcep) des études sur le filtrage, auquel elle était hostile. Redoutant que l’autorité ne reste trop à l’écoute des professionnels des télécoms et des internautes, le président de la République a récemment mis à la tête de l’Arcep Jean-Ludovic Silicani, l’ancien président du Conseil de la propriété littéraire et artistique, notoirement favorable au filtrage et à la lutte contre le P2P.
Frank FURET |
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