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Les réseaux de l’information en Belgique
Banc Public n° 157 , Février 2007 , Frank FURET
Pour Geoffrey Geuens, (1) bien plus que le pouvoir politique, c’est le pouvoir économique qui tient entre ses mains les rênes du « 4ème pouvoir ». Des liaisons dangereuses, selon Geuens, " car elles influencent la ligne éditoriale et idéologique de tous les journaux belges (qui leur appartiennent de fait) et parce que le pouvoir économique, via les relations qu’il entretient avec le monde politique et le monde médiatique, assoit ainsi intellectuellement son règne sur le monde social, en façonnant l’opinion, et ce notamment, selon Geuens, en criminalisant les résistances sociales, en peignant des portraits élogieux des patrons, en exaltant le marché et l’esprit d’entreprise, bref en propageant à foison tout ce qui fait la vulgate « néo-libérale ».
La dénonciation de cette collusion entre presse et argent ne date pas d'hier. Dès la fin du 19 siècle , les pamphlets se sont multipliés pour dévoiler le quotidien d'une profession rongée de l'intérieur par les « magouilles », la connivence et le chantage. L’argent corÂrupteur était au centre de toutes ces polémiques. Accusés, souvent à juste titre, estime Geuens d'entretenir avec les milieux éconoÂmiques des relations quasi incestueuses, les médias étaient régulièrement soupçonnés de verser dans la vénalité sans scrupule. Le journalisme incarnait alors, dans l'imaginaiÂre populaire, la servilité à l'égard du pouvoir. Même si par leurs excès rhétoriques, leurs relents populistes et leur propension à envisager la critique du système médiatique sous le seul spectre de la conspiration ou du « grand complot», toutes ces dénonciations avaient au moins un mérite, continue Geuens, celui de démystifier l'image officielle d'une presse libre. La plupart des médias belges sont donc aujourd'hui la propriété de puissants groupes industriels et bancaires; mais cette prise directe des capitaux privés sur la presse n'est pas le seul mécanisme de collusion: la participation des directeurs de médias aux clubs privés de l'élite belge comme le Cercle de Lorraine,par exemple, constitue un foyer de connivences qui réunit un bon millier de perÂsonnalités essentiellement recrutées dans les secteurs de la haute finance et de l'industrie, mais également dans les rangs des responsables politiques, judiciaires et diplomaÂtiques. Ainsi en va-t-il encore de la présence au sein des entreprises de médias de journalistes susceptibles de jouer, leur rôle de porte-parole du pouvoir économique.
Les importants moyens d’action des attachés de presse liés aux différentes instances économiques et patronales ainsi que la précarisation croissante des conditions de travail des journalistes contribuent aussi de façon indirecte, à la consolidation des liens unissant les cercles médiatiques proches du pouvoir et les milieux d’affaires. Le cercle de Lorraine
Hébergé au château du Fond’Roy à Uccle, une propriété acquise en 1997 « à un Mobutu mourant et retiré du pouvoir », par l’homme d’affaires Stéphan Jourdain, connu pour ses démêlés avec la justice belge, le Cercle de Lorraine est un cercle privé réservé aux nantis, où se nouent et se consolident, par exemple à l’occasion d’une conférence donnée par un membre ou un proche de l’élite au pouvoir, des relations d’affaires que prolongent, dans certains cas, des liens d’amitié. Avant de créer le cercle de Lorraine, Stéphan Jourdain était déjà (co)propriétaire de “Pan”, « l’hebdomadaire satirique du monde des affaires » . Il possède aussi, la revue de prestige “L’Eventail”, un mensuel « consacré à la bourgeoisie de la capitale et à la noblesse belge ». Les anciennes « liaisons dangereuses » que ces deux publications ont nouées avec les milieux de la droite extrême, voire avec ceux de l’extrême droite, ne leur ont pas empêché de rencontrer un succès certain auprès de l’élite au pouvoir, ni de devenir les « vitrines » médiatiques du cercle de Jourdain. Le cercle regroupe la fine fleur du capital  industriel et financier national et aussi les dirigeants des plus grands médias  belges, francophones et néerlandophones: en 1998, on y retrouvait Alain back (Canal + Belgique), Peter Baert( administrateur délégué  Concentra), Paul Callebaut( Administrateur de Rossel, Benoît Coquelet( directeur général des éditions de l'avenir, Dan Cukier(alors administrateur de la RTBF), Patrice le Hodey( Vice-président du Groupe DH-Libre Belgique) et Philippe Delusine ( ancien publicitaire , ami personnel d'Elio Di Rupo, devenu directeur général de RTL-TVI en 2002. Le comité d’honneur du cercle comptait alors, outre l’inévitable Vicomte Etienne Davignon, Albert Frère, jean gandois, John Goossens, Gérard Mestrallet, 3 patrons de médias : jean-Pierre De Launoit (RTL TVI), Christian van Thillo (De Peersgroep) et Rik De Nolf (Roularta). Syndicats patronaux et groupes de presse
Philippe Bodson (Editeco), Luc Vansteenkist (proche de Le Hodey), le baron Huyghebaert (Tijd) ou Thomas Leysen (VUM) assurent la représentaion de la FEB parmi les conseils d’adminsitratyion des médias ; en Flandrele VEVseretrouve dans le conseil d’adminsitration d e Tijd, de RUG(Robert Stouthuysen) Piet Van Wayenberghe(VUM) et Karel Vinck(editeco). L’union Wallonne des entreprises place Philippe Delaunois à VUM et mediabel, Claude Deseille à Editeco, Giuseppe Santino à Médiabel Présence au sein des rédactions
Un des vecteurs privilégiés par lequel le pouvoir économique lequel assure aussi le monopole de son discours les médias, reste la présence au sein même des rédactions de personnalités qui sont autant d'antennes idéologiques du pouvoir économique. Quelques exemples : Guy Duplat, ancien rédacteur en chef du soir, frère aîné de Jean-Louis Du plat, ancien patron de la commission bancaire et financière ; son neveu Benoît Duplat est un des actionnaires et directeurs  de G. Partners, une société de fonds financiers investissant dans la création et le développement de nouvelles compagnies à travers le monde. Son successeur, Daniel Van Wylick, venu de la Dernière Heure, cumule ce mandat avec celui de gérant de Bagama, une société de commerce en gros de bois. Quant à Béatrice Delvaux, c’est une ancienne stagiaire du Fonds Monétaire International, qui a notamment commis quelques articles dythirambiques sur Albert Frère. Christine Simon , qui s’est longtemps, elle aussi, occupée du service économique et financier du Soir, y a longtemps exprimé sa révérence à l’égard du pouvoir économique, notamment à l’égard de Philpppe Bodson.
A la Libre Belgique, Jacques Zeegers a longtemps été responsable  de sa rédaction et membre de son comité idéologique; même après l’avoir quittée en 1989 pour l’Association Belge des Banques, il continua à y plaider dans une tribune le principe des privatisations  et le démantèlement des acquis sociaux en Europe , sous couvert de modernité et de progrès. Christophe Lamfalussy, rédacteur au quotidien depuis 1985, est aussi le fils du Baron Alexandre Lamfalussy, ancien président de l’institut monétaire Européen, qui siège aussi au conseil consultatif international de Fortis.
A RTL, citons Anne Quevrin, présentatrice de l’admirable émission « place royale ». Elle n’est pas moins que la fille d’Emile Quevrin, ancien patron du groupe Bruxelles Lambert et administrateur de sococlabecq, wagonts-lits et du tourisme ainsi que de Pétrofina. Emile Quevrin a été durant des années le bras droit d’Albert Frère, alors actionnaire de RTL-TVI
Les éditions du Vif-Magazine et de Trends Magazine sont dirigées par Marie-Thérèse De Cleck, mèred e Rik De Nolf s½ur de Roger De Clerck , patron du groupe Beaulieu Wielsbeke(des marchands de tapis) ; elle est la tante de jan De Clerck, président de Fabelta Services et de Cabrita Carpets. Outre Nathalie van Ypersele de Strihou (fille de l’actuel chef de cabinet du roi Albert 2), le magazine Trends Tendance compte parmi son conseil de rédaction Jean-Pierre De Bandt (président de Guylian Chocolaterie) Pierre Delhaize (administrateur délégué des magasins Delhaize), Peter Praet (ancien chef éconmiste de la générale). Daniel Cardon de Lichtbuer président honoraire de la BBL) et Jan Peterbroeck (Euronext, Haacht, CMB…) y ont le titre de membres honoraires du conseil de rédaction.
Marchandise
L’information est une marchandise comme les autres : le but est de faire du profit avant toute autre considération. Il faut produire un maximum d’informations en un minimum de temps, et surtout, de produire de l’information qui se vend. Le critère premier n’est donc pas le souci de l’information objective, de la pertinence des sources, etc, mais bien le marketing. Le choix, la mise en valeur et l’importance accordée aux informations est donc peut donc être complètement tronqué et disproportionné par rapport à la réalité. Les politiques de privatisation n’on pas épargné le secteur des médias. Ce phénomène de désengagement public implique que les médias sont de plus en plus dépendants de leur budget publicitaire. Le média qui fait une appréciation négative sur un produit court le risque de se voir retirer le budget publicitaire du fabricant. En Belgique, le numéro un des investissements publicitaires dans les médias est le secteur automobile. Ce dernier élément explique les nombreux suppléments « auto » dans les quotidiens. Lors de l’ouverture du dernier salon de l’auto, « La Libre Belgique » a ainsi consacré 5 pages à ce grand événement… Mais quelques chiffres valent parfois mieux qu’un long discours : depuis l’affaire Dutroux en 1996, le nombre d’articles et de reportages consacrés aux affaires sexuelles touchant des enfants a explosé. Les mots « pédophile » et « pédophilie » apparaissent 4 fois dans le journal « Le Monde » en 1989, 8 fois en 1992. On passe à 122 fois en 1996, 199 fois en 1997, 191 en 2001, 181 fois en 2002 ! Du 5 mai au 5 juillet 2004, on dénombre, dans les quatre grands quotidiens nationaux français, 344 articles sur le procès d’Outreau (affaire de pédophilie en France). Pendant la même période, ces mêmes quotidiens consacrent 3 articles sur la sortie d’une étude de l’OMS établissant que la pollution tuait chaque année plus de 3 millions d’enfants de moins de 5 ans. En 1998, les trois principaux journaux télévisés américains ont consacré plus de temps à l’affaire Monica Lewinsky qu’au total cumulé de plusieurs dossiers tels que la crise économique et financière en Russie, en Asie et en Amérique Latine, la situation au Proche-Orient et en Irak, la course au nucléaire dans le sous-continent indien ! Situations…
Un patron de presse moderne se doit d’abaisser ses coûts de production et de transformer les organes de presse en supports publicitaires ; on assiste actuellement au développement exponentiel des pigistes, des faux indépendants et autres contrats à durée indéterminée. Pour Geuens, cette main d’½uvre docile et malléable, menacée du chômage, peu encline à contester les directives émanant de ses supérieurs, la déontologie cède souvent le pas à la soumission. L’investigation cède souvent le pas à la dictée des dossiers de presse. Cette montée en puissance des dossiers de presse est facilitée par le phénomène du transfuge d’anciens rédacteurs venus de la presse d’information générale vers les cabinets ministériels et plus encore vers le secteur de la communication d’entreprise : Alain Gerlache , Thierry Evens (ancien chef d’édition du Matin, ancien rédacteur à la Libre Belgique) est devenu responsable de la communication de l’union des Classes Moyennes. Guy Elewaut ancien vice-président des l’Association des journalistes professionnels de Belgique est devenu directeur du service « relations publiques » du groupe Delhaize-Le Lion.Geuens rappelle d’ailleurs que l’annuaire officiel de l’Association des Journalistes Professionnels se réduisait , en l’an 2000, dans ses premières pages, à une vitrine publicitaire de Bekaert, Electrabel, Oprl, BASF, DaimlerChrysler et Siemens….
Frank FURET |
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Biblio, sources...
L'information sous contrôle, Médias et pouvoir économique en Belgique, Geoffroy Geuens ,éd. EPO, 2002
Tous pouvoirs confondus, Geoffroy Geuens, éd. EPO, 2002
Médias et idéologie : la voix de son maître, Geoffery Geuens,Acrimed 2001
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