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Ixelles, place Flagey
Banc Public n° 111 , Juin 2002 , Frank FURET
Pour beaucoup de ses occupants, le quartier Flagey à Ixelles est actuellement menacé de massacre. En cause, un projet de bassin d’orage, évoqué pour la première fois en 1978, et imaginé pour faire face aux importantes inondations du quartier Flagey et de la rue Gray en particulier. Abandonné par certains, repris par d’autres, le projet a connu bien des avatars.
Un grand travail inutile?
Selon le comité Flagey, l’utilité du bassin n’a pas été démontrée: les fortes pluies de ces derniers mois n’ont pas provoqué d’inondations, et ce grâce aux améliorations apportées au réseau d'égouts en 1998. Bien que des pluies abondantes aient provoqué des inondations graves en Belgique fin 2001, pas un égout n’a alors débordé dans le quartier Flagey.
Les dernières inondations remontent à de longues années et ne sont survenues qu’à l’occasion de très fortes pluies à occurrence décennale, la situation s’étant très nettement améliorée depuis la réalisation de l’ouvrage sur le collecteur de la rue Gray et les travaux de mise à l’égout et de protection contre le refoulement des eaux.
Les archives des services d’incendie de la Région remontent à 1985. Elles ne contiennent aucune trace «d’inondations importantes ayant entraîné des interventions significatives dans le quartier de la rue Gray». Le projet de bassin est censé répondre aux inondations de surface dans la rue Gray et les rues directement avoisinantes – il ne prétend pas répondre pas aux problèmes - réels - de caves régulièrement inondées dans d’autres rues avoisinantes.
Les experts de la Région de Bruxelles- capitale reconnaissent eux-mêmes que, malgré cet investissement de 1,05 milliard de francs belges, le bassin n’empêchera ni les inondations dues aux crues décennales ni celles dues aux pluies trentenaires. Ce projet relève d’une conception battue en brèche de la gestion de l’eau, dont l’application dépasse largement le cadre communal. Même si l’objectif avancé pour justifier ce chantier est de résoudre définitivement les problèmes d’inondations locales, son rôle ne sera optimisé, selon ses concepteurs mêmes, qu’en prenant en compte l’ensemble des ouvrages relatifs à la gestion des eaux pluviales au niveau de la région bruxelloise.
Nuisances
Officiellement, la place Flagey est partie pour quatre années de travaux, d’aucuns estimant qu’au vu d’autres expériences, il faudrait en compter au moins six; pollution, saleté, bruit extrême, décor sinistre, pertubation importante du trafic: toutes ces nuisances risquent de donner le coup de grâce à un quartier déjà en mauvaise santé. C’est bien d’une nouvelle dégradation qu’il s’agit, qui entraînera le départ d’habitants. Ce chantier présente aussi des risques pour les habitations et les habitants: vibrations entraînant des dommages, passages de camions, risque d’infiltrations d’eau, accidents similaires à ceux qui se sont déjà produits lors de la construction des bassins d’orage à Auderghem (où un immeuble a dû être abattu) et à Woluwé Saint-Lambert (inondations consécutives à un dysfonctionnement technique). Selon les informations récoltées par la commune, le chantier aurait, depuis son ouverture toute récente, accumulé déjà 56 jours de retard! Ceci laisse prévoir, non pas quatre ans de calvaire, mais bien plus (comme ce fut le cas à Auderghem et Roodebeek). Pour le comité Flagey, le véritable enjeu est celui-ci: d’interminables années de nuisances très lourdes vont dépeupler un quartier (« le c¾ur d’Ixelles ») dont la santé socio-économique s’est déjà dégradée dramatiquement ces dernières années. Un quartier populaire qui a besoin d’une revitalisation d’urgence sera au contraire condamné à la paupérisation, à l’enlaidissement et à l’insécurisation.
Etudes préliminaires
Selon le comité Flagey, les études préliminaires des risques ont été totalement lacunaires.Les études commandées par la Région et le comité Flagey révèlent que les terrains sont de mauvaise qualité. La configuration en vallée du quartier et le fait que la majorité des rues soient en pente rendent la réalisation du chantier et la circulation de convois lourdement chargés plus périlleuses.De manière générale, les études des terrains concernés par ce chantier réalisées à ce jour sont incomplètes et insuffisantes: aucun test n’a été réalisé pour voir quel était le seuil de résistance aux vibrations des immeubles environnants et des voiries concernées. Par ailleurs, les enquêtes sur la situation des habitants qui subiraient des inondations n’ont pas été actualisées; il n’existe pas de propositions adaptées à la situation actuelle, ni aucun plan particulier d’indemnisation des habitants. Le chantier tel qu’il est envisagé aujourd’hui risque d’entraîner d’importants dommages dans tout le quartier alors qu’il prétend officiellement traiter les maux locaux. Bien que les travaux aient déjà commencé, des études (effets du détournement de la nappe aquifère, seuils de tolérance aux vibrations, niveaux de bruit acceptables—) doivent encore être effectuées.
Plan global de revitalisation
Aucun projet global de revitalisation n’a été appliqué au quartier Flagey. La situation socio-économique du quartier se dégrade. Pour le comité, il faut lui rendre une image d’endroit où il fait bon vivre. Il faut encourager l’amélioration du bâti, la réfection des façades, l’attractivité des lieux culturels et commerciaux, réaménager la place, créer des aires de jeux et de sport. Cela ne peut coexister avec de longues années de bruit, de pollution dans un décor hideux de grilles et de machines. Depuis le début des travaux de la phase préparatoire, la fréquentation de la place et de ses commerces a déjà très sensiblement diminué. Le comité Flagey réclame une enquête actualisée sur la situation des habitants qui subissent des inondations, des propositions à court terme adaptées à la situation telle qu’elle existe actuellement, un plan particulier de protection et d’indemnisation prenant en compte les problèmes que connaîtraient les habitants en cas d’inondation, une réelle concertation avec les habitants, un moratoire sur les travaux du bassin d’orage pendant la durée duquel des alternatives seront étudiées avec le soin que l’ampleur du problème mérite, et enfin, l’organisation, autour de cette réflexion, d’une Table Ronde ou autre concertation à haut niveau sur le problème de l’eau en Région de Bruxelles Capitale, concertation suivie et entendue par le pouvoir régional.
Sinuosités
Le découpage du dossier, les nombreux permis d’urbanisme pour des chantiers annexes essentiels au bon fonctionnement du bassin non encore délivrés ni même demandés, les motivations cachées comme la réalisation d’un parking (initialement de 245 places puis de 320 places) maquillée de façon juridiquement et moralement discutable sous les termes de «construction d’un vide technique», ne font que renforcer le sentiment citoyen d’avoir été floué. La commune a certes clairement précisé que le nouveau projet de réaffectation des bâtiments de l’INR dépendait de la réalisation de ce parking. Pour le comité Flagey, ce projet aurait dû être l’objet d’un débat public indépendant avec la participation des citoyens, et être intégré dans des questions plus générales de la mobilité en ville.
Sous-information
Au comité Flagey, on estime également que l’information et la concertation publiques ont été totalement lacunaires; on a détourné l’attention des gens les plus attentifs à ce dossier, déjà accoutumés aux nombreux changements d’avis des instances publiques dans ce projet.La volonté de réaliser en sus un parking souterrain a été masquée par le marketing concernant «les problèmes d’inondations locales». Les personnes habilitées à traiter ce genre de dossier se sont trouvées dans l’incapacité de se prononcer faute d’avoir obtenu les éléments essentiels à son évaluation.Publication incomplète réalisée en 1999 par la commune d’Ixelles et jamais suivie par les informations supplémentaires pourtant promises, distribution incomplète dans le quartier, renvoi des responsabilités à la Région bruxelloise par le site Internet de la commune, soirée d’information publique organisée par la commune en février 2002 qui a bien failli être confidentielle (c’est le comité Flagey qui a dû diffuser l’information), réponses floues ou absentes des responsables politiques, absence de réaction aux lettres envoyées par les citoyens à la commune—
Flous
La Commission de concertation a, en 1999, estimé le dossier douteux et imposé de nombreuses conditions pour l’octroi du permis d’urbanisme; certaines de ces conditions ne sont pas encore respectées: états des lieux contradictoire des immeubles, état des équipements et installations (voiries, égouttage...), notamment.L’AATL-SMS (Administration de l’Aménagement du Territoire et du Logement - Service des Monuments et Sites) estime qu’il y a trop d’inconnues en ce qui concerne le projet Flagey et s’est donc abstenue de donner un avis; l’IBGE (Institut Bruxellois pour la Gestion de l’Environnement) s’est également abstenu, faute de conclusion de l’étude d’incidences et constate qu’aucun plan de verdurisation n’a été proposé et qu’il n’y a pas de plan de gestion global de la place.
Action en justice
Au vu des lacunes des études et de l’information du public, le comité Flagey a intenté une action en justice pour tenter d’arrêter les travaux, déjà bien entamés, tous les arbres de la place ayant notamment été abattus, les conduites (eau, gaz, électricité...) déviées et les murs emboués construits. Il a été débouté de son action en référé devant les tribunaux judiciaires, mais trois habitants n'appartenant pas au comité ont introduit un recours au Conseil d'Etat, ce qui a eu pour effet à suspendre la poursuite des travaux dans l'attente de la décision de la haute juridiction administrative.
Frank FURET |
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