$startRow_categb = $pageNum_categb * $maxRows_categb; ?> LA RTT POUR LES FEMMES
LA RTT POUR LES FEMMES

Banc Public n° 50 , Mai 1996 , Catherine VAN NYPELSEER



En matière de réducion de travail ou de pensions (et l'on verra ci-dessous que les deux problématiques sont liées), les femmes vont être au centre des négociations sur l’emploi et le sécurité sociale: dans les années 90, les politiques gouvernementales de promotion de la “flexibilité” prétendant viser une meilleure répartition du travail en période de “crise économique” ont en fait bridé les femmes dans leur évolution vers l’égalité professionnelle, en les incitant - sous le prétexte hypocrite de favoriser leur vie de famille - à s’engager dans des choix comme le temps partiel ou l’interruption de carrière1, qui les ont amenées à gagner moins, à disposer de moins de possibilités de carrière, de formation, ou d’intégration professionnelle, et ont maintenu beaucoup d’entre elles dans des travaux d’exécution à horaire absurde (que l’on pense aux nettoyeuses, aux caissières de supermarché appelées en renfort à l’heure de pointe ou le samedi, ou aux encodeuses...).


Un dossier du Vif/L’express (en couverture)2 a attiré à nouveau l’attention sur le “Comité de liaison des femmes”, né suite à l’action mémorable des femmes de Bekaert dont leurs collègues masculins (et les syndicats) prétendaient se partager les postes, suite à la réduction par l’employeur du volume global de l'emploi. Le comité de liaison est composé de femmes, féministes engagées de tous les partis, en principe, des syndicats, des grandes organisations de femmes.

INTERVIEW

Banc Public a interrogé Michèle Bribosia, sénateur PSC, qui est actuellement co-présidente (avec une socialiste) du comité de liaison des femmes francophones.

Les pensions

CVN: Quelle est la position du Comité de liaison des femmes en ce qui concerne la réduction du temps de travail?

MB: Je vais d’abord vous parler des pensions. Vous savez que, selon la législation européenne, on doit réaliser l’égalité entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale. Les pays avaient le droit de garder un âge et des modalités différentes, mais, par la loi du 20 juillet 1990, le gouvernement et le Parlement ont renoncé à cette faculté en instaurant un âge de la pension identique pour tout le monde, et flexible, pour les hommes comme pour les femmes, entre 60 et 65 ans. Depuis lors, il y a eu des recours en Cour de Justice européenne qui ont été gagnés par des hommes qui disaient : “à partir du moment où c’est le même âge, on ne voit pas pourquoi nous notre pension ne serait pas calculée en 40ièmes”. Ils ont gagné, d’où le projet actuel de loi interprétative du gouvernement qui dit en substance: “en ‘90, ce n’est pas ça que l’on avait voulu faire, on voulait simplement dire que les hommes aussi pouvaient prendre leur pension à partir de 60 ans sans avoir la pénalité de perdre 5% du montant de leur pension par année d’anticipation, qui est pour le moment à la Chambre, et est déjà passée en Commission des affaires sociales.
Nous ne sommes absolument pas d’accord, ni avec son contenu, ni avec la forme qu’il prend.

CVN:Le projet de loi interprétative?

Le projet du gouvernement dit: “on peut garder un calcul différent pour les hommes et pour les femmes, puisque nous n’avons pas voulu égaliser l’âge de la pension”. Ils interprètent la loi de 1990. C’est très critiquable, mais il faut reconnaître que, si on ne fait pas cela, l’État belge va être obligé de payer en 40ièmes toutes les pensions, non seulement celles des hommes qui ont gagné leur procès pour obtenir ce nouveau calcul (qui leur donne 10 à 11% de plus, donc on comprend qu’ils s’y accrochent), et peut-être même de tous les hommes qui ont pris leur pension depuis 1990. Et donc, je reconnais quand même à la loi interprétative une qualité, c’est que, comme elle a un effet rétroactif à la loi qui est sensée être interprétée, tous les procès qui ont été gagnés entre-temps seront sans effet, puisque la loi interprétative a un effet rétroactif, comme si elle avait été prise à la date de la première loi.
Nous disons que c’est probablement une escroquerie intellectuelle, mais nous nous rendons compte aussi qu’ils sont tout à fait coincés: augmenter la pension des hommes des 11% en question, ça veut dire encore augmenter la différence entre la pension des hommes et la pension des femmes!

CVN:C’est une de vos critiques fondamentales?

MB: L’inégalité entre les deux ? Oui. Elle est expliquée par le fait que les femmes ont des carrières incomplètes, et surtout qu’elles ont des salaires beaucoup plus faibles que ceux des hommes. Mais la loi interprétative dit “nous n’avons pas voulu égaliser, donc nous avons le droit de maintenir des taux différents pour les hommes et pour les femmes. Quelque part, n’est pas mauvais pour les femmes, puisqu’elles gardent leur pension en 40ièmes, mais nous disons qu’il eut mieux valu faire une loi qui, dès maintenant, prévoie que dans 20 ou 30 ans, ce sera l’égalité pour les hommes et les femmes. A ce moment-là, plus personne ne gagnait de procès en Cour de Justice. Mais, il y avait toute la période entre 90 et maintenant qui restait une période où ceux qui avaient gagné leur procès pourraient réclamer énormément d’argent, des dizaines de milliards...
Nous sommes d’accord pour l’égalité en matière de pensions, mais cela veut dire que les femmes devront travailler 5 ans de plus qu’actuellement pour avoir une pension complète. Alors, nous disons que ça doit s’effilocher sur une période transitoire très longue, qu’il faut que les très petites pensions aient un coefficient de compensation - on ne va quand même pas aller retirer encore 11% aux très petites pensions des femmes, qui ont déjà, je vous le disais, des pensions bien inférieures à celles des hommes - et nous posons des conditions.

CVN: Les droits dérivés?

MB: Une de ces conditions, c’est de remettre sur la table la problématique des droits dérivés. Autrement dit, nous voulons l’individualisation des droits en sécurité sociale, ce qui veut dire substituer - sur une période très longue, une génération - des droits propres contributifs aux droits dérivés actuels. Les droits dérivés, ce sont les droits que les conjoints au foyer ont par l’intermédiaire du conjoint qui travaille. Par exemple: tous les soins de santé remboursés au conjoint comme s’il était un travailleur, ou bien lorsque l’homme - c’est le plus souvent lui - arrive à la pension, il reçoit d’office une pension de 125%, soit un quart en plus pour le conjoint au foyer. Sans avoir jamais payé un sou de cotisation en plus. Et, quand il meurt, la veuve garde 100 % de la pension d’isolé ! Le conjoint survivant reçoit donc l’entièreté de la pension du conjoint qui avait travaillé, sans avoir jamais payé de cotisation. L’ensemble de ces droits représente 36 % du budget des pensions des salariés.
Nous disons d’abord que “ça commence à bien faire, de prendre toujours sur les femmes, sur leurs droits directs (quand elles sont cohabitantes, elles ont des allocations de chômage plus faibles, et puis on les leur supprime carrément, et presque tous les cohabitants sont des femmes) on va leur diminuer leur pension maintenant: pour équilibrer le budget des pensions, on va leur pomper 11% de leur pension, sans jamais remettre en question les droits dérivés.
Pour nous, il faut remettre sur la table la problématique, pour que, petit à petit, en tous cas sur une génération, tous les jeunes qui commencent à travailler maintenant sachent qu’ils n’auront plus les droits dérivés s’ils arrêtent de travailler et de cotiser. S’ils veulent garder le droit, par exemple, à la pension, ou aux soins de santé, ils devront cotiser. Même s’ils ne travaillent pas. Et sinon, ils ne seront plus assujettis à la sécurité sociale. Ne faisons pas peur au gens: dans notre projet, ce serait pleinement appliqué dans 25 ans.
La deuxième chose que nous disons, c’est que, dès maintenant, tout le monde doit contribuer à l’assainissement du budget des pensions, y compris les bénéficiaires des droits dérivés.

CVN:Le crédit-temps?

MB: La troisième condition que nous mettons pour accepter cette “égalité” en matière de pensions, c’est que l’on accepte de parler du crédit-temps. Et c’est ici que j’arrive à votre question du départ, c’est que par exemple, les femmes de Vie Féminine disent, et je les comprends: “Il est impossible de faire avaler aux femmes qu’elles vont devoir travailler 5 ans de plus que maintenant pour avoir la même pension, si on ne leur donne pas de l’autre main quelque chose comme le crédit-temps qui serait le droit à avoir quelques années (elles disent 5 années, mais ça... enfin, il faut toujours rêver un peu) d’interruption de carrière qui soient les mêmes pour les hommes et pour les femmes, et obligatoires. C’est ça, notre réduction du temps de travail, ce n’est pas la réduction du temps de travail à la journée, ni à la semaine...
On voudrait que tout le monde interrompe de travailler au cours de sa carrière, quand il veut. On l’a bien fait pour les vacances annuelles. Qui aurait pensé, il y a 60 ans, aux vacances annuelles obligatoires et payées?

CVN: Vie féminine revendique cela pour 5 ans. Le comité de liaison s’est mis d’accord sur deux ans?

MB: Le comité de liaison ne s’est pas encore mis d’accord. Il est en pleine discussion là-dessus. Vous avez vu notre ordre du jour. Nous sommes d’accord sur l’idée du crédit-temps, et nous disons que nous aimerions mieux cela qu’une réduction du temps de travail linéaire, hebdomadaire ou mensuelle. Mais tout le monde n’est pas d’accord avec cela, nous sommes en plein débat.Il s’agirait d’un crédit-temps qui s’appliquerait indifféremment à tous les travailleurs, du public, du privé, homme ou femmes...cela viendrait à brève échéance ou dans 25 ans?
On le voudrait le plus vite possible. Pour le moment, on va avoir le congé parental, qui va s’ajouter aux interruptions de carrière, aux petits congés, au congé-éducation, au crédit d’heures, etc.. Nous aimerions mieux que tous ces congés-là soient concentrés et remplacés - sauf peut-être les dix jours pour motif familial impérieux, parce qu’on ne peut pas empêcher les gens de partir quand leur enfant est tombé par la fenêtre du deuxième étage... L’idée du crédit-temps, ce serait de remplacer tout ce qui existe actuellement comme possibilités d’arrêter de travailler par un crédit-temps - un an, deux ans, voilà, tout le monde serait obligé d’interrompre sa carrière. Prenez-le quand vous voulez, mais quand vous l’aurez pris, vous n’en aurez plus.

CVN: Le congé de maternité est compris?


MB: Il ne touche que les femmes. On ne va pas donner un crédit-temps, mettons, de deux ans à tout le monde, en disant aux femmes: vous prenez votre congé de maternité là-dedans... Le congé de maternité, n’a rien à voir avec l’interruption de carrière ni avec le crédit-temps. C’est le congé de maternité, point.
Bien entendu, les congés pour raisons médicales sont en dehors...
Bien sûr ! Impossible de faire autrement ! Ca ne nous viendrait pas à l’idée.

Les discussions montrent que ce serait un moyen d’améliorer l’égalité des chances entre les hommes et les femmes?
Oui, parce que, pour le moment, toutes les possibilités d’interrompre sa carrière sont théoriquement ouvertes à tous, mais, dans la pratique, elles ne sont utilisées que par les femmes, avec tous les effets pervers que cela a sur leur carrière, et sur leurs chances d’avancer dans leur fonction. Tandis qu’avec un crédit-temps obligatoire, l’employeur sait qu’il engage un homme ou une femme, ce travailleur est susceptible de venir dire à un moment donné à son employeur: “Je voudrais bien prendre six mois sur mon crédit-temps l’année prochaine”, parce que, bien entendu, nous pensons que cela doit se faire en parfaite intelligence avec les employeurs. On ne peut pas imposer cela aux entreprises, par exemple que les travailleurs viennent dire “Vous savez, moi je prends tous les mercredi après-midi pendant 20 ans, ce sera ça mon crédit-temps. Peut-être que l’entreprise sera ravie dans ce cas, mais il faut que ce soit admis par les deux, sinon ça ne marchera jamais.

CVN: Si quelqu’un ne l’a pas pris au cours de sa carrière, il prend sa pension plus tôt?

MB: Voilà. Mettons que ce soit deux ans de crédit-temps. S’il arrive deux ans avant l’âge de la pension, eh bien, il ne doit pas prendre sa pension plus tôt, il doit prendre son crédit-temps. Tout cela n’est pas encore vraiment bien affiné, je vous dis à quoi nous rêvons pour le moment.

CVN: A ce moment là, la femme ou l’homme ne peut rien faire d’autre?

MB: C’est une question qu’on pourrait se poser. Est-ce qu’il pourrait travailler comme un pensionné, par exemple? Ou comme une veuve en pension de survie? Les veuves en pension de survie peuvent gagner beaucoup plus qu’un pensionné. C’est incroyable, mais vrai. Et ça ne se justifie pas! Cette indemnité de remplacement serait inférieure au salaire, et notre idée, c’est que, dans ce cas-là, les gens auraient intérêt à le prendre au début de leur carrière. Ce qui inciterait les jeunes parents à serait un moyen d’améliorer l’égalité des chances entre les hommes et les femmes?
Oui, parce que, pour le moment, toutes les possibilités d’interrompre sa carrière sont théoriquement ouvertes à tous, mais, dans la pratique, elles ne sont utilisées que par les femmes, avec tous les effets pervers que cela a sur leur carrière, et sur leurs chances d’avancer dans leur fonction. Tandis qu’avec un crédit-temps obligatoire, l’employeur sait qu’il engage un homme ou une femme, ce travailleur est susceptible de venir dire à un moment donné à son employeur: “Je voudrais bien prendre six mois sur mon crédit-temps l’année prochaine”, parce que, bien entendu, nous pensons que cela doit se faire en parfaite intelligence avec les employeurs. On ne peut pas imposer cela aux entreprises, par exemple que les travailleurs viennent dire “Vous savez, moi je prends tous les mercredi après-midi pendant 20 ans, ce sera ça mon crédit-temps. Peut-être que l’entreprise sera ravie dans ce cas, mais il faut que ce soit admis par les deux, sinon ça ne marchera jamais.

Si quelqu’un ne l’a pas pris au cours de sa carrière, il prend sa pension plus tôt?
Voilà. Mettons que ce soit deux ans de crédit-temps. S’il arrive deux ans avant l’âge de la pension, eh bien, il ne doit pas prendre sa pension plus tôt, il doit prendre son crédit-temps. Tout cela n’est pas encore vraiment bien affiné, je vous dis à quoi nous rêvons pour le moment.

CVN: A ce moment là, la femme ou l’homme ne peut rien faire d’autre?

MB: C’est une question qu’on pourrait se poser. Est-ce qu’il pourrait travailler comme un pensionné, par exemple? Ou comme une veuve en pension de survie? Les veuves en pension de survie peuvent gagner beaucoup plus qu’un pensionné. C’est incroyable, mais vrai. Et ça ne se justifie pas! Cette indemnité de remplacement serait inférieure au salaire, et notre idée, c’est que, dans ce cas-là, les gens auraient intérêt à le prendre au début de leur carrière. Ce qui inciterait les jeunes parents à en prendre chacun à leur tour pour s’occuper des enfants. En effet, à la fin de la carrière, la différence entre le forfait de remplacement et le salaire sera énorme, et ils n’y auraient pas intérêt.

CVN: Que pensez-vous de l’allocation universelle?

MB: Je suis violemment contre. Au sein du comité de liaison, les femmes Écolos sont pour, mais les personnes actives dans le Comité sont contre car c’est cela ou la sécurité sociale, et je préfère la sécurité sociale: elle a le meilleur rapport qualité/prix.

Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

(1) Voir à ce sujet l’étude du DULBEA (département d’économie appliquée de l’ULB) “Tendances et perspectives de( l’emploi des femmes au cours des années 1990” par Christian Hecq et Danièle Meulders
(2) “Femmes: pourquoi le retour au foyer”, par Marie-Cécile Royen, Le Vif/L’Express du 5 -11 avril 1996

 
     

     
   
   


haut de page

Banc Public - Mensuel indépendant - Politique-Société-environnement - etc...
137 Av. du Pont de Luttre 1190 Bruxelles - Editeur Responsable: Catherine Van Nypelseer

Home Page - Banc Public? - Articles - Dossiers - Maximes - Liens - Contact