En 1917, quand Henry Ford affirmait qu’il fallait des règles collectives pour augmenter les salaires (afin d’augmenter la consommation) et quand Kellog's passait ses usines à 30 heures, ils ont eux aussi été moqués par les autres patrons américains.
Entre 1900 et 1970, on est passé de 7 jours à 6, puis de 6 jours à 5. La journée est passée de 12 heures à 8. Et les salariés gagnaient progressivement 5 semaines de vacances… En soixante-dix ans, alors que la productivité augmentait assez peu, on a divisé par deux le temps de travail. Mais depuis 1970, alors que la productivité a fait des bonds de géant, nous ne sommes plus capables de faire évoluer notre contrat social : à peu de chose près, à 38 heures en moyenne, la durée réelle d’un emploi à temps plein est la même qu’il y a quarante ans.
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En France, d’après les chiffres de l’INSEE, un actif à temps plein travaille 39,5 heures par semaine, alors que de l’autre côté il y a quatre millions de personnes qui font zéro heure. En Allemagne, le modèle dont on nous parle souvent, il y a tellement de petits boulots que la durée moyenne du travail hebdomadaire est tombée à 30,1 heures sans compter les chômeurs. Et aux Etats-Unis avant la crise, ils étaient, selon la Maison Blanche, à environ 33 heures. Du fait des énormes gains de productivité des dernières décennies, nous vivons une vraie révolution qui pose  la question d’une nouvelle répartition du travail.
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Aux Etats-Unis, depuis dix mois, l’ancien ministre de l'économie de Bill Clinton, Robert Reich, dit que si Obama est réélu, la principale réforme qu’il devra faire sera d’organiser une baisse du temps de travail sans baisse de salaire. Pour Reich, les gains de productivité de nos économies sont la principale cause du chômage. « La question fondamentale est de mieux répartir les bénéfices de la révolution de la productivité. Le problème n’est pas qu’il y ait moins de travail à cause des ordinateurs, des robots et d’Internet, mais que les fruits de cette productivité ne soient pas partagés correctement: une grande partie de la population est au chômage et ne gagne plus de quoi vivre, tandis que l’essentiel des gains de productivité va aux 1% les plus riches.»
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En France, 400 entreprises, de toutes tailles et dans tous les secteurs, sont déjà passées à la semaine de quatre jours. Selon une étude du ministère du Travail en 1997, un mouvement général vers la semaine de quatre jours permettrait de créer deux millions d’emplois.
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Pour Pierre Larrouturou, Il faut aller plus loin et mieux que ce qui avait été fait sous le gouvernement Jospin. Et ça ne doit pas être un sujet tabou. Pour lui  il ne faut pas rêver, la croissance ne va pas revenir. Au Japon, elle n’est que de 0,7% en moyenne depuis vingt ans, alors qu’ils ont fait le maximum sur le plan industriel, budgétaire et monétaire.
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« Il faut passer à 4 jours, 32 heures, sans étape intermédiaire. C’est le seul moyen d’obliger les entreprises à créer des emplois » affirmait  Antoine Riboud, le fondateur de BSN Danone en septembre 1993. Mais, en 2012, la durée moyenne d’un temps plein reste supérieure à 38 heures.
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« La question du temps de travail mérite mieux que le débat caricatural que nous avons eu il y a quelques années », expliquait le 23 octobre 2010 le président de la Commission emploi du MEDEF. « Aujourd’hui, il est très difficile de trouver un emploi stable avant 28 ou 30 ans. Puis, entre 30 et 40 ans, on demande aux gens de travailler plein pot et de tout réussir en même temps : leur vie privée et leur vie professionnelle. Et vers 55 ans, on les jette comme des mouchoirs en papier tout en leur demandant de cotiser plus longtemps… Objectivement, cela n’a pas de sens », continuait Benoît Roger-Vasselin devant une assistance étonnée.  « Il faut rouvrir le débat sur une autre répartition du temps de travail tout au long de la vie ».
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Le partage du travail actuel : un non-sens...
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– D’un côté, toutes celles et ceux qui font 0 heure par semaine car ils sont au chômage.
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– De l’autre, tous ceux qui travaillent plein pot (et parfois trop) : la durée réelle d’un plein-temps en France est supérieure à 38 heures d’après l’INSEE.
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– Au milieu, toutes celles et tous ceux qui galèrent avec des petits boulots à temps partiel, sur la semaine ou sur l’année.
Cette forme de partage du travail  provoque une énorme souffrance aussi bien du côté de ceux qui travaillent 0 heure par semaine que du côté de celles et ceux qui travaillent plein pot, mais acceptent de plus en plus des emplois stressants ou médiocrement payés par peur de se retrouver dans le prochain plan social (« Si tu n’es pas content, va voir ailleurs »). Et combien ont un travail mais ne font pas le métier qui les intéresse ?
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Une réduction déjà effective
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D’une façon ou d’une autre, un certain « partage du travail » existe dans tous les pays : aux États-Unis, avant même la crise des « subprimes », il y avait tellement de petits boulots que la durée moyenne du travail était de 33,7 heures.
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De même, en Allemagne, les chiffres du ministère du Travail indiquent qu’avant la crise de 2008, avant la mise en place du  « Kurzarbeit », quand l’Allemagne était présentée comme un modèle de plein-emploi, il y a avait tellement de petits boulots que la durée moyenne, sans compter les chômeurs, était de 30,3 heures. Dans tous nos pays, que nous le voulions ou non, on produit plus avec moins de travail.
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Alors qu’il avait fallu cent quarante ans pour que la productivité soit multipliée par deux entre 1820 et 1960, elle a depuis été multipliée par CINQ. La révolution industrielle du XIXe siècle ou l’invention du travail à la chaîne au début du XXe siècle sont des gains de productivité presque ridicules au regard de ceux réalisés depuis trente ans. Grâce à la multiplication des robots et des ordinateurs, la productivité du travail humain a progressé de façon inouïe. Le phénomène est mondial. Entre 1970 et 2008, le PIB  a plus que doublé : + 150 %. Mais, dans le même temps, grâce aux gains de productivité, le besoin total de travail a diminué puisqu’on produit beaucoup plus avec moins de travail.
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« Il faut baisser la durée du travail de 20 à 25 % d’ici 2015 », affirmait la Commission Boissonnat en 1995. « Une baisse de la durée du travail à 30 heures permettrait de reconstituer une vie familiale et une vie privée », écrivait Edgar Morin dans « Pour une politique de civilisation ».
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En 1997, les syndicats allemands demandaient un passage général à la semaine de 32 heures. Depuis son congrès de Montpellier, en 1995, la CFDT demande une loi-cadre pour aller à 32 heures.
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35 heures : un bilan mitigé
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Quand le contenu de la deuxième loi sur les 35 heures a été rendu public en juin 1999, nombreux sont ceux qui ont tiré la sonnette d’alarme. L’OFCE, l’institut d’économie de Sciences-Po, a publié une étude très critique (« Une réduction réduite ») et, à l’université d’été du PS, fin août 1999, l’atelier consacré aux 35 heures a été assez houleux. Beaucoup de militants ne comprenaient pas qu’on donne autant d’heures supplémentaires, autant de flexibilité, autant d’exonérations sans aucune contrepartie en emplois.
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● Aucune obligation d’aller réellement à 35 heures,
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● Aucune obligation d’embauche,
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● Possibilité d’accroître la flexibilité et de modifier la définition du temps de travail,
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● Les PME de moins de 20 salariés laissées hors du champ de la réforme…
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Certains font aujourd’hui un bilan mitigé des 35 heures,  alors que 40 % des salariés n’ont jamais eu accès aux 35 heures.  La réforme n’a pas été aussi réussie qu’on aurait pu le souhaiter, mais elle a, selon l'INSEE, créé plus de 300.000 emplois.
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Conclusion
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En 1933, Albert EINSTEIN expliquait déjà que la mauvaise utilisation des gains de productivité des années 1910-1925 (Ford et Taylor, cf. Charlot dans « Les temps modernes ») était la cause fondamentale de la crise : « Cette crise est singulièrement différente des crises précédentes. Parce qu’elle dépend de circonstances radicalement nouvelles conditionnées par le fulgurant progrès des méthodes de production.
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Pour la production de la totalité des biens de consommation nécessaires à la vie, seule une fraction de la main d’½uvre disponible devient indispensable. Or, dans ce type d’économie libérale, cette évidence détermine forcément un chômage (…).
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Ce même progrès technique qui pourrait libérer les hommes d’une grande partie du travail nécessaire à leur vie est le responsable de la catastrophe actuelle», écrivait Einstein avant de demander une « baisse  de la durée légale du travail »
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33,7 heures de durée moyenne aux Etats-Unis. 31,4 heures de durée moyenne aux Pays-Bas. 30 heures de durée moyenne en Allemagne. … Il faut en finir avec les faux débats : si l’on intègre les gains de productivité colossaux réalisés dans toutes nos économies depuis 40 ans, le débat n’est plus « pour ou contre la RTT ? » mais plutôt « quelle RTT ? » : RTT organisée par le marché (précarité, stress et concurrence permanente) ou RTT organisée par le débat, le référendum et la négociation ?
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