?> CRITIQUE DE LA SCIENCE ECONOMIQUE du développement : science ou instrument ? (I)
CRITIQUE DE LA SCIENCE ECONOMIQUE du développement : science ou instrument ? (I)

Banc Public n° 209 , Avril 2012 , Kerim Maamer




L’économie du développement prend place dans la pensée scientifique au lendemain de la deuxième guerre mondiale. La discipline est liée à un contexte international. Les Etats-Unis sont la nouvelle puissance économique mondiale. Leur engagement pour la Liberté justifiait un soutien à la démocratie et à la reconstruction. Ils ont apporté une aide financière aux puissances européennes, dans le cadre du Plan Marshall.


Dans le même esprit, ils veulent porter un intérêt aux « pays pauvres ». Dans un discours de 1948, pour la première fois, le président Harry Truman affirma le concept de « nations développées » et de « nations sous-développées ». Les Etats-Unis voudraient les aider par un soutien économique, financier et militaire à ces pays « colonisés », « en retard économique », avec des « populations souffrant de misère, de faim et de maladie »… Les pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie sont considérés « nations non développées ».  

SCIENCE DU DÉVELOPPEMENT

L’économie du développement veut se consacrer aux caractéristiques de pays qui n’auraient pas atteint des niveaux de vie économique suffisants. La matière se veut scientifique, s’appuyant sur des critères et données statistiques, pour définir les états économiques et justifier les insuffisances / difficultés propres.
Les « pays non développés » se caractérisent : par une faiblesse de leurs niveaux de vie, des insuffisances de productions agricoles et industrielles, des défaillances dans l’organisation des services, une faiblesse d’accès à la technologie, à la formation, au savoir… ; par des états de pauvreté, d’analphabétisme, de faibles niveaux d’éducation, d’accès à la santé, d’espérance de vie… ; par de faibles revenus, de fortes croissances démographiques, la mortalité infantile... Ils n’auraient pas d’organisation étatique structurée, d’institutions de service et de gestion publique… Par ailleurs, ils ont été dominés par une colonisation, qui les aurait empêchés de se développer.

La matière s’est imposée au nom de son intérêt de science. Cependant, la démarche peut prêter à critique. La pensée scientifique passe par l’observation d’un système socio-économique, sa description, l’établissement de faits, la tentative d’explications. En économie du développement, la démarche est inverse. i) Il n’y a pas de préoccupation pour le système économique de base, banalement décrié comme « économie de subsistance » dont les insuffisances paraissent évidentes. Les bases descriptives ne sont pas posées, ni même la mesure des performances dans une perspective de temps, tandis que les résultats sont considérés insuffisants. Le système en place n’est pas valorisé. Il est nié à la faveur d’un d’intérêt colonialiste pour intégrer les productions au marché européen. Il n’y a pas d’intérêt pour son mode de fonctionnement, ni d’interrogation sur l’idée de progrès et son appréciation. A cette époque, on ne doutait pas du progrès, tant les ressources étaient abondantes. Le recul du temps, la crise énergétique, la charge démographique… donnent une autre lecture. ii) Les états économiques sont observés selon une échelle d’évaluation extérieure, établie avec des critères ex-ante, posée au regard du système dominant. Des critères nouveaux jugent des systèmes anciens, sans considération pour les situations propres et locales L’objectivation des données et la classification finale confirment les infériorités. L’intention semble précéder, voire promouvoir, l’outil de la démonstration. Dans ces conditions, pourquoi ne pas considérer d’autres échelles de valeurs, mieux cohérentes aux conditions locales comme l’intégration communautaire, l’autosuffisance, la qualité de vie, la force coutumière ou la cohésion sociale ? iv) La classification laisse entendre « qu’il y aurait un stade plus ou moins évolué de la société »... Les « pays développés » auraient atteint un idéal social auquel les « pays non développés » devraient aspirer et, pour parvenir au progrès social, l’économie de marché est recommandée… Prétentions et certitudes sont inadéquates à l’objectivité et à l’esprit de science. On voit que le concept de développement est à la fois une « finalité », un « processus », alors que les « bases descriptives » n’ont pas été posées ; les pays sont jugés, avec présentation d’un modèle et recommandation des voies de rattrapage. Sous des rapports d’objectivité, il y a une instrumentalisation que les pays de l’Est n’avaient pas acceptée.

Le recul de l’histoire permet de reconsidérer ces prétentions. Dans un contexte international de course aux armements, au cours d’une guerre froide, au lendemain d’une deuxième guerre mondiale, après une crise économique d’ampleur mondiale… voici que s’affiche le modèle triomphant du matérialisme et volontariste pour « porter secours » aux pauvres. Une qualification qui avait heurté les délégués africains. Dans leur perception, la richesse n’est pas que d’argent. Elle est aussi celle de l’âme, de la culture, de l’identité, de la mémoire. Quant aux idées de « secourir » ou de « civiliser », de christianiser les peuplades ou de hiérarchiser les races et les cultures…, elles ont nourri divers projets d’invasion, de conquête, de domination, d’occupation, de soumission. La comparaison n’est pas nouvelle. Les cultures ont souvent opposé les pays aux « populations civilisées ou barbares » ; « arriérées ou avancées » ; « traditionnelles ou modernes», « développées ou non développées », « industrialisés ou non industrialisés », « Nord et Sud », « Occident tiers-monde », « riches ou pauvres »… Sans percevoir d’esprit malin, la pensée aime structurer le « eux » et le « nous ». Certes, les limites et qualifications sont imparfaites. Cependant, elles donnent des représentations qui permettent de structurer la pensée.

ÉTAT DE DÉVELOPPEMENT

L’état de développement, tel qu’il est observé par les économistes occidentaux, est le produit de la révolution industrielle du 19e siècle. Il est donc récent. Le capitalisme a pris naissance en Angleterre vers l’an 1760, se développant en Europe à partir de 1820, en « Occident » fin 19e siècle et devenant un modèle planétaire au 21e siècle. Il a permis d’incroyables progrès qui  font l’état d’avancement technologique de nos sociétés. Cependant, l’homme a occupé tous les milieux. Il a épuisé d’énormes ressources. En l’espace de ces 200 ans, particulièrement ces 50 dernières années, l’humanité à exploité plus de ressources naturelles que nos 10.000 ans de civilisation humaine. Les ressources fondamentales, supposées abondantes, se sont raréfiées.

Les pays dits « non développés » n’ont pas suivi le mouvement industriel. Ils arrivent tardivement dans le processus de développement. Dans une certaine mesure, ils ont conservé des fonctionnements ancestraux avec des modes de vie,  de production en cohérence à leur milieu et leurs traditions. Cette organisation a été déstabilisée au contact de l’économie de marché, à la fois par le choc colonial, le contre-choc décolonial, l’ambition de développement, l’économie de marché, l’exploitation des ressources aux dépens de l’expérience. Paradoxalement, les économistes n’ont pas eu d’intérêt pour l’organisation nourricière, fondement de la survie humaine, qui pousse les hommes vers l’expansion ou le déclin. Ils ont laissé cet intérêt pour les ethnologues dont on connaît la faiblesse des budgets. L’économie du développement, non plus, n’a pas porté beaucoup d’intérêt à l’économie de subsistance: composition sociétale et complémentarité fonctionnelle – hiérarchie et partage des tâches - gestion domestique et mode alimentaire – ressources et classification des besoins – gestion, production et stockage – autarcie et échanges - auto-production et auto-consommation … Cette fonction descriptive de l’économie aurait eu son utilité, particulièrement lorsqu’on devra se préoccuper de l’équilibre entre consommation et ressources. Et là, ... l’expérience des modèles ancestraux nous manque. Les économistes s’intéressent plus à la gestion des agents économiques, qu’à la gestion des besoins. L’épuisement de la planète obligera à une modification de perceptions pour un intérêt de subsistance et de bonheur des gens.

à suivre « Le citoyen matérialiste », « La prise de conscience » et « Le dilemme d’Adam ».

Kerim Maamer

     
 

Biblio, sources...

Austères finances publiques, Xavier Dupret, Gresea, 10 octobre 2011

 
     

     
   
   


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