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NON-CONSCIENCE ET PUISSANCE DE CONSOMMATEUR

Banc Public n° 210 , Mai 2012 , Kerim Maamer



L’article publié dans notre livraison d’avril a évoqué le concept scientifique de «l’économie du développement», dont les origines seraient antérieures à la seconde guerre mondiale. Assimilée à une philosophie sociale,  l’économie du développement s’assimilait à l’idée de bonheur qui a toujours préoccupé les hommes. La révolution agricole du 18e, le capitalisme industriel du 19e, les améliorations technologiques du 20e siècle, la révolution télématique du 21e siècle ont chacun transformé les conditions de vie, intensifié les productions et consommations, déplacé le système du marché du national à son cadre mondialisé. 

Ce modèle de croissance ne peut plus continuer, tant il en arrive à menacer l’existence future sur la planète.

CYCLE RECENT

Ibn Khaldoun évoquait au 14e siècle le mouvement cyclique des civilisations. Selon lui, elles évoluaient d’une croissance à leur apogée, d’un déclin à leur décadence. Au cours des phases de déclin, les sociétés se doivent de réfléchir sur elles-mêmes, pour trouver les espoirs d’un renouveau. L’observation est certainement vraie. De nombreuses civilisations ont eu les grandeurs qui ont constitué notre patrimoine, nos valeurs, le vestige des lieux, la connaissance des livres, le témoignage des musées. Toutes les cultures ont laissé des récits de pages glorieuses, et même honteuses, que la mémoire humaine s’est tenue de retenir pour prévenir.

 

L’extraordinaire Empire romain vécut près de 500 ans. Il fut un des plus longs. Il régna sur l’Europe et la Méditerranée, tant qu’il imposait son ordre avec ses ressources militaires, son organisation et son droit. Puis, il s’effrita de l’intérieur. D’autres expansionnismes vécurent moins longtemps.

 

Concernant le capitalisme industriel, son épopée est une courte période dans l’histoire de l’humanité. Il est né en Europe au 19e siècle et s’est développé à travers le monde, avec des réussites diversifiées. Il date d’à peine 150 ans. Lui succède une exceptionnelle ère télématique, qui date d’une vingtaine d’années, depuis 1987 (dérégulation). Ces deux révolutions ont fortement amélioré nos techniques et compétences. Toutefois, leurs apports extraordinaires s’avèrent autant de risques de désastres. Les affrontements avec la nature sont déclarés. La planète se débat de douleur. On le sait… mais on ne veut pas le voir ! Le système capitaliste est l’agresseur. Il devra modifier son fonctionnement, simplement parce qu’il nous mène à la fin du monde. Ce modèle économique ne tiendra pas 300 ans... parce qu’on a touché aux limites de la planète.

 

CITOYEN MATERIALISTE

Le marché économique a évolué d’une conception de « production d’entreprise », à un système de « consommation de masse ». Il ne considère plus son environnement national, mais le cadre mondialisé autant pour l’exploitation, la production, la distribution, la consommation.

 

L’argent est devenu le moyen exclusif de l’échange. Il a effacé toutes les autres formes d’actions de service, de solidarité ou de bénévolat. Particulièrement dans les sociétés développées, tout est monétarisé. La tendance se répand dans les pays pauvres où la solidarité des gens est fondamentale.

 

L’argent est même valorisé comme le moyen neutre de rationalité, d’efficience, d’honnêteté. Il régit tous les rapports humains, même ceux d’une famille.

 

Le consommateur est le moteur du processus économique où il est, à la fois, l’entrant et le sortant, le bénéficiaire et le pourvoyeur. Le consommateur matérialiste est avide de tout. Les entreprises sont là pour satisfaire ses désirs les plus fous, pourvu qu’il en manifeste le désir ; sinon elles lui feraient ressentir le besoin. La culture renforce l’intérêt de l’individualiste, responsable et soucieux de sa personne, de ses charges, de son statut… Le pouvoir médiatique appuie ces préoccupations « légitimes » de confort, d’épanouissement, d’esthétique, de luxe… avec les encouragements du système institutionnel qui tire profit de ce dynamisme.

 

L’appétit de consommation « légitimé » entretient le fonctionnement du système avec les obligations d’exploitation et production, consommation et croissance, redistribution et concurrence… Toutes les institutions politiques de gauche ou de droite et internationales de commerce plaident dans le sens de la relance économique, de favoriser la croissance, de financer les défaillances… et ainsi faire carburer une planète dont les ressources sont épuisées. Toute cette activité économique se fait au détriment de la nature dont les défraiements ne sont pas considérés. L’engrenage est destructeur probablement à moyen terme.

 

Le système basé sur la production, l’exploitation des ressources, le commerce international et la consommation a atteint des limites graves. La consommation matérialiste est devenue planétaire. Aujourd’hui, de gros calibres démographiques aspirent à ce standard de vie. Or, il n’est plus possible d’assurer à chaque citoyen les caprices de sa consommation. Les ressources de la planète ne suffisent plus à la pérennité du modèle. Le système est fort coûteux pour la nature, impayable, incohérent aux conditions de production, profondément destructeur pour les ressources de la terre et … il déshérite gravement les générations futures.

 

Les limites se profilent clairement : déforestation, réchauffement climatique, épuisement des ressources, gaspillage d’énergie, déstructuration, déculturation, pollution de l’air, de la mer, destruction de la faune, de la flore, insuffisance d’eau, souffrance animale, extinction d’espèces  vitales et animales … Les catastrophes (Fukushima, Golfe du Mexique, Tchernobyl, Bophal), la fonte des glaces… ne sont que des fragments spectaculaires de dégâts fondamentaux causés à la nature.

 

PRISE DE CONSCIENCE

Il convient d’amorcer, non pas un déclin, mais une rétrogradation de la croissance économique, pour adapter notre régime au milieu naturel, et non pas le contraire. Les connaissances, les technologies et les productions exceptionnelles qui ont été réalisées pourraient aisément servir une humanité future. Il serait temps de penser à nos héritiers, avec une réflexion sur les formes d’organisation et de développement, mieux cohérentes avec le milieu naturel et la biodiversité. Si les responsables publics envisageaient cette réflexion de « poètes », les progrès de la technologie pourraient contribuer à de nouveaux espoirs et à de nouveaux équilibres pour redéfinir la notion de besoin, organiser des formes collectivistes, diminuer le rôle exclusif de l’argent, stimuler les valeurs communautaires, renouveler la nature, reforester le monde, protéger la vie animale, préserver la diversité biologique… La connaissance des modèles ancestraux aurait aussi un vif intérêt pour maîtriser les conditions de la durabilité.

 

Certaines grandes écoles de l’économie appellent à la décroissance.  Il semble que l’écoute vienne plus du consommateur que de l’autorité gouvernementale. Les Espagnols piégés par le crédit ont lancé une grève de la consommation. Les Japonais de Fukushima ne veulent plus de l’électricité nucléaire, qui illumine les spots publicitaires pour les pousser à acheter. Les Islandais ont renié les règles du capitalisme financier pour en revenir à des pratiques de bolchévisme russe! L’Islande refuse d’honorer ses dettes, nationalise les banques, emprisonne ses banquiers… sans aucune menace d’interventionnisme américain. Les peuples arabes ne veulent plus discuter avec leurs gouvernants. Ils leur ont imposé le « dégage », dépouillé de toute dialectique. Les notations économiques de la prestigieuse institution du FMI ont été appréciées absolument minables par les populations tunisiennes. Quant aux pressions des intégrismes religieux, elles appellent carrément au retour des âges… C’est donc un ensemble de malaises qui appellent à des interventions de fond pour réorganiser la vie des hommes.

 

Dans l’épopée de l’homme, nous évoquerons un début du récit du développement, avec un prochain article sur : « Le dilemme d’Adam ».

Kerim Maamer

     
 

Biblio, sources...

 
     

     
   
   


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