Dans la réalité, c'est bien à des prises de guerres stratégiques .et des projets discrets de société dont on ne pouvait apprécier les effets qu'à long terme que l'on a eu affaire, la classe politique de l'époque servant surtout à apaiser le personnel des banques et le public. L'élimination des établissements publics bancaires du paysage financier belge était, disait-on, « une nécessité afin de soulager les finances publiques ». Les socialistes ménageant leur doctrine et l'opinion de leurs ouailles, en parlant, comme Freddy Willockx ( SP) « de technique de « privatisation maîtrisée », qui consista, en ce qui concerne la CGER, à privatiser en 5 ans grâce à une stratégie des petits pas destinée à éviter les affrontements sociaux.
La CGER était une institution publique qui, après 1980, a été convertie en banque et a reçu un statut de banque privée. À peu près chaque Belge y avait un livret d'épargne. De même, la gestion des versements pour les pensions des travailleurs y était en de bonnes mains. Via les sociétés de crédit reconnues par la CGER, des prêts logement bon marché étaient consentis. Longtemps, les services bancaires sont restés en grande partie gratuits.
En 1999, la Caisse générale d'épargne et de retraite (CGER) s'est retrouvée englobée dans le groupe Fortis, qui terminait alors d'avaler une proie dont elle contrôlait le capital depuis 1993. En 1995, c'est la banque belge de Crédit à l'Industrie qui était tombée dans le giron de Fortis par le biais de la CGER.
Le professeur émérite Piet Frantzen (VUB), ancien membre de la direction de la CGER, avait qualifié la cession de cette dernière d'arnaque du siècle". "En trois ans à peine, Fortis avait récupéré le prix de la transaction avec les seuls bénéfices de la défunte CGER" . A peine installée, la nouvelle direction exige 12% de rentabilité sur fonds propres. Vendre tout et n'importe quoi sans égard pour le client pourvu qu'on tire 12% de rendement, voilà en quoi a consisté l'apport du privé, raconte Marc Tarabella, un ministre socialiste affichant son repentir.
Pour Xavier' Dupret, « l 'écrémage des institutions publiques de crédit est allé de pair avec l'apparition de toutes sortes de produits financiers qui ne servaient qu'à attirer le bas de laine des travailleurs vers le circuit de la spéculation bancaire. En même temps, le prix des services augmentait systématiquement. Et les actifs étaient sous-évalués. Voilà pourquoi le passage de la CGER entre les mains de Fortis a constitué une juteuse affaire ».
L'évolution du Crédit communal a été similaire. En 1860, l'Etat belge s'était doté d'un outil de financement qui accorderait des crédits aux communes : le Crédit communal était fondé sous forme de société anonyme. Ses actionnaires seront les communes qui, pour emprunter à des taux préférentiels, doivent souscrire au capital de la nouvelle compagnie. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale une des plus importantes institutions financières du Royaume.
Mais progressivement, les activités du Crédit communal s'internationalisent et après l'union avec le Crédit Local de France (financement des collectivités locales françaises) donnent naissance au groupe Dexia, qui veut devenir leader mondial des services financiers du secteur public.
En 2000, Dexia Holding SA, acquiert la compagnie américaine Financial Security Assurance Inc. (FSA), filiale à 90% du Credit Local (France). Mais FSA ne va pas se limiter aux collectivités locales et, au contraire, étendra son champ d'activités aux crédits subprimes". La préférence pour les hauts rendements a amené la banque des communes à risquer le financement des pouvoirs locaux dans des opérations de haute voltige financière. Avec les conséquences que l'on sait.
Jacques Moden a réalisé étude sur les privatisations en Belgique : ses chiffres montrent que les privatisations n'ont pas ½uvré à une amélioration des finances publiques belges. Les privatisations auraient rapporté, selon le chercheur, 17 milliards d'euros. En comparaison, la dette belge atteignait 300 milliards d'euros dans les années 90. Les privatisations n'ont pas renfloué les caisses de l'Etat. "On était dans l'irrationnel, une sorte de brouillard idéologique", confiait le ministre Tarabella à l'hebdomadaire Trends-Tendances.
Marco Van Hees (inspecteur à l'impôt des sociétés) s'interroge sur ces choix politiques et remarque que Karel Van Miert, ex-commissaire Européen à la concurrence est devenu administrateur d'une série impressionnante de grands groupes multinationaux : Agfa-Gevaert, Solvay, De Persgroep, Carrefour, Viverndi, Philips. Jean-Luc Dehaene est lui devenu administrateur de Lernout &Hauspie, Lotus, Inbev, Domo, Umicore, Telindus, tout en étant chargé d'écrire une constitution pour l'Union Européenne. Didier Reynders , avant de devenir ministre des finances en 1999 présidait le conseil d'administration d'une banque, la banque SEFB, devenue Record Bank, filiale du groupe ING. Avant lui, 13 autres ministres des finances avaient travaillé dans le secteur bancaire.
Concernant le prix ridicule payé par BNP Paribas pour acquérir les plus beaux morceaux de Fortis, Marco Van Hees souligne aussi les relations privilégiées entretenues par Didier Reynders avec Albert Frère, dont Paribas est un des partenaires principaux. Comme en témoignent les petits ennuis qu'il a actuellement en France ou la revente de ses avoirs sidérurgiques à l'état Belge – à l'époque il jouait au tennis avec Willy Claes, ministre des affaires économiques – « le financier Carolo », remarque Van Hees, « cultive l'art de s'enrichir aux dépens et avec l'aide de l'état en cultivant des amitiés avec des hommes politiques de tous bords. »
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