|
|
|
|
Stratégie mondiale
Banc Public n° 133 , Octobre 2004 , Catherine VAN NYPELSEER
Parmi une multiplicité d'ouvrages mettant l'accent sur les questions économiques, Charles A. Kupchan, un géopolititologue américain qui a été un des conseillers du président Clinton, publie une analyse géostratégique de la situation mondiale visant à promouvoir un regain d'intérêt pour la politique internationale aux états-Unis, ainsi qu'une redéfinition de la politique étrangère de ce pays. Rédigée dans un style clair et concis, cette analyse de la situation mondiale dans une optique libérale s'adresse essentiellement au peuple américain qu'elle tente de convaincre de renoncer aux tentations du repli sur soi et de la politique unilatéraliste actuelle.
Le titre de la traduction française de l'ouvrage est trompeur, et ne reflète pas son contenu: nous n'y avons malheureusement pas trouvé en quoi l'Europe pourrait sauver l'Amérique, ce qui aurait pourtant été bien agréable à lire de la part d'un auteur américain. Le titre de la version en langue anglaise publiée en 2002 était tout différent, et reflétait bien mieux le contenu de l'ouvrage: "La fin de l'ère américaine, la politique étrangère des états-Unis et la géopolitique du XXIe siècle ".
L'auteur, qui est professeur d'université, commence par déplorer les carences actuelles de son pays en termes de réflexion sur la politique internationale, qui sont notamment causées par l'absence d'une élite formée en politique internationale vu la fuite des étudiants brillants vers le domaine économique et les entreprises privées.
Les personnes qui orientent actuellement la politique étrangère des états-Unis, comme les conseillers du président, ont été formés pendant la guerre froide. Le pays manque donc à la fois de pilotes capables de le guider dans ses relations internationales, mais également d'une analyse géostratégique qui permettrait d'établir les lignes directrices d'un plan d'action au niveau international.
Actuellement, depuis la fin du rideau de fer et l'effondrement de l'Union soviétique, la structure politique du monde est de type unipolaire, dominée par les états-Unis dans les domaines économique, militaire et culturel. Dans une perspective historique, c'est-à -dire en extrapolant à l'avenir la connaissance que l'on a des événements du passé, cette situation ne saurait perdurer: les situations hégémoniques ont toujours eu une fin.
L'Europe
Le premier facteur de changement de l'équilibre mondial est la construction européenne. Un chapitre de septante pages, bien documenté, est consacré à la création de l'Europe et à l'état actuel de son intégration. Charles A. Kupchan valorise les progrès accomplis en matière économique et monétaire, en particulier la création de l'Euro qui va selon lui devenir une monnaie de référence au niveau mondial. Du point de vue politique, il estime que l'intégration va se poursuivre et que l'Union européenne réussira à conquérir une place politique dans les relations internationales digne de son poids économique.
A l'appui de cette thèse il mentionne le revirement politique du premier ministre britannique Tony Blair en faveur de l'intégration de son pays à la zone euro, ainsi que la volonté politique forte de l'Allemagne, par la voix notamment de son ministre des affaires étrangères Joshka Fisher, de faire évoluer les institutions européennes vers un modèle disposant de plus de souveraineté. Pour lui, l'attraction qu'exerce l'Union européenne sur les pays voisins, et son élargissement, constituent un gage de vitalité et accélèreront l'élaboration d'institutions européennes fortes. Il estime également que l'Europe va se doter d'une puissance militaire capable de lui permettre de tenir son rang au niveau international, de manière à ce qu'elle ne doive plus dépendre des états-Unis pour assurer la paix dans des zones limitrophes comme en ex-Yougoslavie. A cet égard, l'attitude du Congrès américain est paradoxale: tout en demandant aux européens de se doter des moyens d'assurer leur sécurité, et de permettre aux états-Unis d'en faire l'économie, ils réagit négativement lorsque l'Europe agit en ce sens.
Dernier facteur important d'unification et de progrès dans l'élaboration des institutions, le fait que l'Union européenne va se doter d'une Constitution est présenté de manière très positive, par référence à l'importance de la Constitution des états-Unis dans l'intégration des états américains.
La fin de l'unipolarité
Ainsi l'Union européenne constituera le premier pas mettant fin à l'ère unipolaire actuelle. Mais cette transition peut représenter un danger pour la paix mondiale. Ici, Kupchan fonde son anlyse sur des comparaisons historiques:
- la scission de l'Empire romain en deux entités politiques distinctes, l'Empire romain d'Occident et l'Empire romain d'Orient, qui conduisit les deux parties, pourtant issues d'une même entité et partageant des valeurs culturelles communes, à s'affronter;
- l'unification de l'Allemagne par Bismarck au XVIIIe siècle, la volonté de cette nouvelle entité de s'imposer au plan international et les terribles conflits qui s'en suivirent, de la guerre de 1870 aux deux guerres mondiales.
Pour éviter que le monde ne revive une telle situation lors la scission du bloc formé actuellement par les états-Unis et l'Europe en deux entités distinctes, les américains doivent préparer cette transition en s'investissant dans les institutions internationales pour leur donner une crédibilité dont ils bénéficieront lorsque leur suprématie prendra fin.
Charles A. Kupchan fustige l'attitude récente des états-Unis en matière environnementale - notamment le rejet par l'administration Bush du protocole de Kyoto aux négociations duquel le gouvernement Clinton avait participé sans enthousiasme, et plus encore les motifs affichés de ce retrait: la protection des intérêts américains -, en matière de désarmement, d'acceptation de la compétence de juridictions internationales, etc.
Le phénomène du terrorisme
Cet analyste n'accorde pas une grande importance au phénomène du terrorisme dans une optique géostratégique. Il le présente plutôt comme un épiphénomène résultant de la misère et du désespoir de populations mal gouvernées dont la colère est détournée vers la puissance dominante du moment. Ce phénomène disséminé n'a pas du tout l'importance d'un affrontement avec un ou des états ennemis.
La lutte contre le terrorisme doit consister pour lui à augmenter les contrôles de sécurité, notamment sur les flux tranfrontaliers de personnes, ainsi qu'à une éradication de ses causes par un meilleur développement économique et une évolution vers la démocratie des zones dont il est issu.
L'avenir du monde
Modeste et réaliste, Charles A. Kupchan ne prétend pas disposer de la boule de cristal pour nous prédire l'avenir de la planète. Plus intelligement, il se contente d'identifier les facteurs qui seront des moteurs de changement.
L'élément nouveau essentiel est l'évolution technologique et le passage à l'ère numérique, qui va engendrer la fin de l'ère du capitalisme industriel.
En effet, à la différence d'inventions isolées comme le rouet ou le téléphone, la technologie numérique affecte pratiquement tout le champ de l'activité économique. Par ailleurs, elle peut augmenter la productivité et diminuer les couts à une échelle comparable à celle de l'avènement du moteur à vapeur. Enfin, elle affaiblit le lien entre le lieu géographique et le site de la production propre à l'ère industrielle.
L'analyse claire et nuancée de cet auteur - si l'on ne s'irrite pas de certains biais intellectuels comme la soi-disant nécessité du nationalisme - est intéressante et aura surement un impact sur la politique américaine.
Catherine VAN NYPELSEER |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Biblio, sources...
Untitled document
|
|
|
|
|
|