Dans son premier chapitre intitulé « La razzia et l’hécatombe : un effet de souffle », Gilles KEPEL revient sur le cataclysme du 7 octobre 2023 et essaye de comprendre et d’expliquer la genèse du drame. Il souligne qu’il est parfaitement légitime de rappeler dans le débat public, avec toute l’insistance nécessaire, l’ampleur épouvantable de l’hécatombe des civils à Gaza, et de la condamner. Il ne l’est pas moins de remémorer l’horreur du progrom qu’a causé la razzia du 7 octobre, et le sort affreux des otages, prisonniers dans les tunnels de Gaza (pp.17-18).
C’est en effet la première fois dans l’histoire tourmentée entre Israël et les Palestiniens appuyés par les pays arabes, que les civils paient un tel tribut à la guerre. En effet, lors des guerres précédentes, les victimes se comptaient principalement parmi les militaires des différentes armées et les civils paraissaient relativement épargnés. A partir de la première Intifada et surtout de la seconde, la donne a changé partiellement, puisque des milliers de civils palestiniens et israéliens ont trouvé la mort lors de confrontations avec l’armée. Il n’empêche que cela se passait lors de combats isolés ou de manifestations, alors que les morts de Gaza et du 7 octobre ne sont pas partie à des combats et sont des victimes de la violence inouïe des deux camps.
G. KEPEL rappelle pertinemment que le premier ministre israélien a favorisé la division de la Palestine en deux états pour la faire disparaître comme entité historique tout en s’employant à promouvoir l’ascension à Gaza du plus radical des chefs du Hamas, Yahya SINWAR, qu’il fit libérer de prison (…) Ce dernier, qui fit basculer , à dater de 2012, le Hamas de son appartenance originelle aux Frères musulmans vers un alignement sur Téhéran et son « axe de la résistance » anti-israélien, produisait un effet répulsif sur l’Occident par la violence de sa rhétorique comme de son action (p.23). Relevons que celui-ci a été éliminé en octobre 2024 et que sa traque a justifié la fermeture du couloir de Philadelphie, zone frontière entre Gaza et l’Egypte sous le contrôle de cette dernière, qui permettait par ses tunnels l’approvisionnement en armes, munitions et différentes denrées de l’enclave.
L’auteur souligne également que trop peu de travaux ont été consacrés à la simple analyse des évènements car les militants de chaque camp ne prennent en considération que leurs victimes. Par ailleurs, la représentation permanente que donnent les chaines satellitaires et les réseaux sociaux, , brouille, par une surenchère à l’émotion, l’examen raisonné des faits et privilégie les perspectives les plus engagées. (pp.37-38).
Malgré le bruit ambiant, il faut s’intéresser à la reconstruction sous peine d’être pris entre la solution finale préconisée par le Hamas (« from the sea to the river », soit de la Méditerranée au Jourdain) et la solution de certains ministres israéliens qui souhaitent expulser les Palestiniens d’Israël (tribune parue dans Le Monde du 4 mai sous la plume de l’ancien ambassadeur d’Israël en France Elie BARNAVI).
L’auteur termine ce premier chapitre en considérant que la stratégie élaborée depuis 2001 consistant à remplacer l’équation paix contre territoires par celle de la paix contre la paix, complétée par l’arrosage financier de Gaza notamment par le Qatar et la promesse d’un développement économique intégré et profitable entre les états du golfe et le techno-état israélien a implosé le 7 octobre, contraignant depuis lors à explorer à nouveaux frais la solution dite des « deux états » dans la perspective d’une paix réaliste et pérenne et de repenser l’ensemble de la question israélo-palstinenne.
Depuis la sortie du livre, la situation a encore évolué puisque, outre l’élimination de SINWAR le 16 octobre, Israël a lancé une offensive contre le Hezbollah, au Liban, et a éliminé son chef. En rétorsion, l’Iran a lancé le 1er octobre une salve de missiles à laquelle Israël a répondu le 26 octobre par une offensive aérienne réussie visant les défenses iraniennes et les sites de lancement et de production de missiles.
Désormais, on peut considérer que les deux pays sont en guerre, même s’ils veillent particulièrement à en maitriser le niveau d’engagement. Sous peine d’être perçu comme un tigre de papier, l’Iran a dû soutenir son allié libanais, le Hezbollah, en s’engageant directement contre Israël et en prenant un risque considérable. Quant à Israël, pays de dix millions d’habitants, malgré un potentiel militaire et technologique assez incroyable, il multiplie les fronts et risque de s’épuiser. Tous attendent le résultat de l’élection présidentielle américaine dont l’issue pourrait rebattre les cartes.
Le livre de KEPEL nous livre également d’autres observations sur les nouvelles lignes de faille qui ont surgi après le 7 octobre et sur la remise en cause de l’Occident par le sud global. Nous y reviendrons dans notre prochaine édition.