?> Attaque AVORTée CONTRE LES TOUAREGS Bamako hors jeu au profit d’Alger
Attaque AVORTée CONTRE LES TOUAREGS Bamako hors jeu au profit d’Alger

Banc Public n° 309 , Novembre 2024 , Michel Legrand



Les billets de novembre et décembre ’23 décrivaient la nouvelle situation qui prévalait dans le Nord du Mali. En résumé, on pouvait noter les développements suivants :

 


-offensive de l’armée malienne appuyée par la milice Wagner;

 

-retrait de la MINUSMA qui craignait d’être prise en étau entre les séparatistes et l’armée malienne et ses supplétifs;

-victoire de l’armée malienne et prise de Kidal, une capitale symbolique de l’Azawad avec Gao et Tombouctou (région autonomiste touarègue) (1).

 

L’article de septembre faisait le point sur la bataille de Tin Zaoutine de fin juillet (2) et la défaite sévère de la milice Wagner (renommée Africa Corps) et de l’armée malienne face aux Touaregs et aux groupes djihadistes.

 

 

Tin Zaoutine, côté algérien

 

Malgré des attaques de djihadistes à Bamako, le gouvernement malien n’a pas pris la mesure du problème et a décidé de concentrer ses moyens contre les séparatistes du Nord puisque, à la date du 20 septembre, deux colonnes militaires de plusieurs dizaines de véhicules et de blindés appartenant aux FAMA (forces armées maliennes) et à l’Africa Corps faisaient mouvement vers le

nord du Mali et vers Kidal dans le but de renforcer la lutte contre les Touaregs et de laver la défaite cinglante de Tin Zaoutine.

 

Cet envoi massif vers la frontière n’était pas de nature à plaire à l’Algérie, protectrice des Touaregs, qui a fait part de sa préoccupation à Bamako et qui considère que la lutte contre les djihadistes doit être un objectif prioritaire pour l’ensemble de la région. Les relations entre les

deux pays ne sont guère au beau fixe depuis la dénonciation de l’accord

d’Alger de 2015, qui prévoyait d’octroyer une certaine autonomie à l’Azawad.

 

À la mi-octobre, l’opération a fait long feu puisqu’elle s’est bornée à récupérer les dépouilles des soldats maliens tués lors de la bataille de Tin Zaoutine (3). La colonne est donc rentrée à Kidal et a évité toute confrontation directe avec les séparatistes. On peut d’ailleurs se demander si l’opération de récupération des dépouilles n’a pas fait l’objet d’un accord entre les différentes parties.  La crédibilité du gouvernement de Bamoko qui proclamait urbi et orbi sa volonté d’éradiquer les insurgés est donc en question.

 

Mais que s’est-il passé pour que l’opération conjointe des FAMA et de l’Africa Corps, ex milice Wagner, s’enlise dans les sables sahariens ?

 

La réponse n’est peut-être pas au Mali, mais à Alger et à Moscou.

 

Il faut rappeler que le projet d’attaque visait une zone frontalière de l’Algérie qui n’apprécie pas particulièrement les combats qui s’y déroulent et surtout leurs conséquences, qui poussent les populations à fuir la zone de combat et à se réfugier en Algérie.

 

Si l’Algérie est plutôt tolérante par rapport à la population touarègue,

elle ne souhaite pas accueillir des milliers de personnes fuyant la zone de combat, d’autant que cet afflux pourrait déséquilibrer économi-

 

quement, voire politiquement, la région et imposerait d’y apporter de l’aide humanitaire, matière dans laquelle les services algériens ne sont guère à la pointe, et compte tenu également de la distance entre le

nord algérien et les confins du Sahara. Enfin, en cas d’afflux de

réfugiés, le risque d’infiltration d’éléments djihadistes ne doit pas être sous-estimé.

 

Tous ces arguments sont certes importants mais étaient connus au moment de l’opération. Bamako ne semblait pas impressionné par les différents avertissements algériens, fort de sa capacité d’initiative et du soutien de l’Africa Corps.

 

La raison de l’abandon doit donc être recherchée ailleurs.

 

Il ne faut pas oublier en effet qu’Alger est un allié de longue date de la Russie et que sa parole à Moscou est entendue. Quant à la Russie, elle ne peut se permettre de perdre ou de mécontenter un allié de poids, surtout à un moment où elle est empêtrée dans son « opération spéciale » en Ukraine, pour satisfaire une exigence d’un nouvel allié qui, en plus, a dénoncé les accords patronnés par l’Algérie permettant d’accorder une certaine autonomie aux séparatistes touaregs. 

 

Il est donc fort probable et même certain qu’Alger a fait part de son irritation à Moscou devant l’opération visant à laver l’affront de Tin Zaoutine et que Moscou a intimé l’ordre à sa milice de l’interrompre et de regagner sa base.

 

C’est donc au niveau des relations russo-algériennes que l’affaire s’est vraisemblablement discutée et on ne voit pas d’autres éléments pouvant expliquer le revirement brutal de la milice russe qui voulait pourtant en découdre.

Il est également symptomatique que les forces maliennes n’ont pas osé continuer l’opération sans l’appui de l’Africa Corps, ce qui illustre leur incapacité à lutter à armes égales contre les Touaregs.

 

A l’avenir, il est probable que la milice Wagner se tiendra à distance de la frontière algérienne et se bornera à sécuriser les villes prises sans s’engager dans le désert, trop dangereux, où elle pourrait essuyer une nouvelle défaite, à cause notamment de l’expertise des services ukrainiens présents dans la région en appui aux Touaregs. L’avertissement d’Alger à Moscou portait vraisemblablement aussi sur le risque militaire pour la milice russe.

 

Cette affaire pourrait également remettre en question la collaboration de la milice russe avec le gouvernement malien, qui s’est rendu compte que son allié russe n’est guère prêt à sacrifier sa relation privilégiée avec son voisin.

 


 

Michel Legrand

     
 

Biblio, sources...

 

(1) Azawad signifie “zone de

pâturages”.

(2) Ville à cheval sur la frontière entre l’Algérie et le Mali : la partie malienne est séparée de la partie algérienne par un oued.

(3) Le CSP (cadre stratégique permanent), qui réunit les mouvements séparatistes, détient 22 prisonniers des FAMA et deux appartenant à la milice Wagner. Le CSP considère que ce sont des prisonniers de guerre, et non des otages, qui sont donc traités selon les conventions internationales.  

 
     

     
   
   


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