?> Un autre monde est possible
Un autre monde est possible

Banc Public n° 129 , Avril 2004 , Catherine VAN NYPELSEER



C'est dans un esprit tonique et optimiste que Susan George, la vice-présidente d'ATTAC, prend la plume pour tracer l'état du combat alter-mondialiste, ses cibles ainsi que ses modes d'action, dans son dernier ouvrage "Un autre monde est possible si...".
Pour elle, la mondialisation n'est pas du tout un phénomène moderne: des échanges internationaux ont toujours eu lieu, et leur intensité était bien plus importante lorsque des mouvements de population comme l'émigration qui a fondé les Etats-Unis, par exemple, avaient lieu. Ce qui est différent actuellement, c'est que la mondialisation est commandée par les entreprises transnationales géantes, qui n'ont jamais été aussi nombreuses, dynamiques et engagées en politique: Susan Georges estime qu' "on peut presque dire (...) qu'elles rédigent les directives de la Commission européenne, les accords conclus sous l'égide de l'organisation mondiale du commerce, des sections entières des décisions finales lors des conférences des Nations unies" (p. 19).


La doctrine néolibérale

Il s'agit d'un ensemble de politiques imposées par le FMI aux pays en développement du Sud et aux pays anciennement sous domination soviétique. En voici les principaux axes:

- Encourager la concurrence;
Les individus, les entreprises, les Etats doivent se concurrencer, même si cette concurrence est souvent limitée dans le cas des grandes entreprises transnationales dans de nombreux secteurs dominés par des cartels informels.
- Maintenir une inflation faible;
Cette politique est pourtant contradictoire avec le plein emploi et l'expansion économique.

- Augmenter les exportations;
On prétend que le commerce est libre, alors que de nombreuses exceptions protègent les pays du Nord contre les exportations des pays du Sud!

- Permettre la libre circulation des flux de capitaux;
Même si ces mouvements provoquent des crises financières et donc sociales.

- Réduire les impôts sur les sociétés et les grosses fortunes;
Ceci pour qu'ils puissent investir, mais il s'agit souvent d'investissements ˆ court terme, ou de délocalisations dans des paradis fiscaux.

- Ne pas supprimer les paradis fiscaux;
La part des budgets des pays occidentaux financée par les entreprises diminue au profit des impôts sur les revenus, la consommation et l'emploi.

- Privatiser;
En effets seuls les marchés, et non les Etats, sont efficaces.

- Flexibiliser le marché du travail;
Supprimer les mesures de protection contre le licenciement, les avantages sociaux.

- Pratiquer la récupération des coûts;
C'est-ˆ-dire faire payer des services comme les écoles et les hôpitaux.

Pour la Banque mondiale, ces politiques ont fait diminuer le nombre de personnes vivant dans la pauvreté absolue. Mais ses statistiques, provenant d'un important service de recherches, sont contestées: deux professeurs de l'université Columbia ont publié une éude intitulée "Comment ne pas compter les pauvres", dans lequel ils démolissent les statistiques de la Banque mondiale ainsi que la méthodologie qui les fonde: elle postule en effet que la croissance profite automatiquement aux pauvres. Les chiffres de la pauvreté devraient pour eux être majorés de un tiers ˆ soixante pourcents selon les pays, pour un résultat total de deux milliards de personnes.

Les acteurs

Les acteurs de la mondialisation comprennent notamment le FMI et la Banque mondiale, créés en 1944 ˆ la conférence de Bretton Woods. Susan George fournit une analyse particulièrement intéressante de l'évolution historique de ces deux institutions.

La fonction du FMI devait être de prêter de l'argent ˆ des pays connaissant des difficultés temporaires de paiement, en vue de leur permettre de continuer ˆ faire partie du système commercial mondial. La banque mondiale - originellement "banque internationale pour la reconstruction et le développement" devait financer la reconstruction des infrastructures européennes détruites par la deuxième guerre mondiale. Aucune des deux intitutions ne devaient conditionner leur intervention ˆ l'adoption de certaines mesures. Elles ont fonctionné pendant deux ou trois décennies sans faire de vagues jusqu'ˆ ce que trois évènements, selon Susan Georges, ne changent la donne:
- en 1968, Robert Mac Namara, ex-Président de la Ford Motor Company, accède ˆ la présidence de la Banque mondiale et décide de restructurer cette institution. Il introduisit sur le marché international des obligations de la Banque mondiale, qui bénéficièrent de la note la plus favorable (AAA) vu qu'il s'agissait d'un créancier prioritaire. Ces obligations rapportèrent donc beaucoup d'argent; pour le prêter, Mac Namara modifia le système de rémunération du personnel de la banque, désormais fonction de la quantité de fonds qu'il parvennait ˆ placer auprès des gouvernements du tiers-monde, et plus de la qualité des projets financés. Ces fonds servirent alors ˆ l'achat d'équipements de prestige ou d'usines clés en mains, rapidement obsolètes.

- en 1973, l'OPEP provoque la crise du pétrole, qui aboutit ˆ un quadruplement du prix du pétrole brut. Les pays dépendant d'un approvisionnement extérieur doivent s'endetter pour pouvoir continuer ˆ fonctionner.

- en 1981, année de l'accession de Ronald Reagan ˆ la présidence des Etats-Unis, la Federal Reserve augmente brutalement les taux d'intérêt en vue de juguler l'inflation. Comme les contrats de prêt des pays du tiers-monde prévoyaient des taux d'intérêt variables et non fixes, ils furent soudain contraints de payer des intérêts énormes, alors qu'auparavant ceux-ci étaient inférieurs ˆ l'inflation.

Le Mexique fut le premier pays ˆ se trouver en situation de cessation de paiement, bientôt suivi par beaucoup d'autres. C'est ˆ ce moment-lˆ que le FMI et la Banque mondiale élaborèrent des plans, appelés "programmes d'ajustement structurel", censés permettre ˆ ces pays de retrouver leur équilibre financier, auxquels ils conditionnèrent leur intervention. Ces pays se sont donc vu imposer des politiques néolibérales orientant leur économie vers l'exportation, privatisant leurs services publics, leur interdisant tout protectionnisme visant ˆ protéger leurs industries naissantes et déterminant tous leurs choix budgétaires.

Les autres acteurs examinés dans ce livre sont l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les transnationales, le monde de la finance, le lobbyisme pour la mondialisation et, en particulier, l'ERT (european round table).
Les objectifs

Le mouvement pour une autre mondialisation souhaite que l'on établisse une taxe sur:
- les transactions financières,
- les fusions et les acquisitions,
- la pollution industrielle,
dont le produit serait affecté ˆ l'éducation, au développement, ˆ la réduction du chômage dans les pays dévelloppés. Le but est de parvenir ˆ une fiscalité et une redistribution internationale, et non de "revenir ˆ une époque plus simple, plus rurale et communautaire" (p. 175).

Le refus de la violence

Après un chapitre consacré ˆ l'organisation des réunions de manière ˆ fidéliser le plus de militants possible, puisque c'est par le nombre que l'on acquiert un pouvoir d'influence, Susan George consacre tout un chapitre ˆ réfuter l'usage de la violence dans le combat pour une justice globale.

Ses arguments sont les suivants:
- la violence détourne les médias du message que veulent transmettre la plupart des militants, pour les concentrer sur les agissements d'une toute petite minorité. Par exemple, lors de la manifestation contre le G-8 de 2003 organisé ˆ Evian, les 80.000 personnes qui manifestaient ne furent pas mentionnées par le New York Times qui communiqua ˆ ses lecteurs la seule information de la destruction d'une station d'essence BP, alors que cela avait été le seul incident de la manifestation.

- la violence dans les manifestations de masse est antidémocratique. Les groupes violents ne participent pas au débat sur les objectifs d'une manifestation. Ils en rejoignent les participants au dernier moment avec leur propre programme qu'ils n'entendent aucunement négocier avec les autres groupes de participants, mais imposer de façon égo•ste.

- du fait qu'ils sont tous vêtus de la même façon et masqués, les membres des groupes violents sont facilement infiltrables par la police ou par des groupes fascistes, ce qui donne aux autorités politiques des excuses inattaquables pour criminaliser tout le monde, même les plus pacifiques.
Lors d'une protestation au Québec contre la convention sur la zone de libre échange des Amériques (ZLEA), les manifestants avient organisé un sit-in sur une route d'accés au bâtiment où se tenait la convention. La police aurait alors ordonné ˆ ses membres infiltrés parmi les manifestants de lui lancer des pierres, afin d'avoir une excuse pour charger. Les manifestants ont ensuite vu les lanceurs de pierre bondir dans des cars de police (p. 266).

- la violence dissuade beaucoup de gens de participer ˆ des manisfestations de masse, en particulier les membres des minorités déjˆ dans le collimateur de la police. Le mouvement doit être ouvert ˆ tous, et pas seulement ˆ des jeunes très musclés de sexe masculin...

- la violence contre les personnes ou les biens n'affaiblit pas l'adversaire mais le renforce, en suscitant la sympathie pour ceux qui en sont les victimes: petits commerçants, petits employés propriétaires de voitures vandalisées.
Conclusion
Susan George estime que le mouvement pour une justice globale est une nécessité vitale pour les centaines de millions de personnes qui, inutiles au capitalisme parce qu'elle ne produisent pas dans le cadre d'un emploi salarié et n'ont pas non plus les moyens de consommer, seront sinon les victimes des famines et des guerres qui s'intensifient actuellement, sans émouvoir personne.

Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

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