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MEXIQUE, LA STRATEGIE DE LA TENSION

Banc Public n° 52 , Septembre 1996 , Catherine VAN NYPELSEER & Francis DOUCHAMPS



MEXIQUE, LA STRATEGIE DE LA TENSION

Depuis le début de l’insurrection zapatiste dans l’Etat du Chiapas, le 1er janvier 1994, la situation économique et politique du Mexique a fort évolué. C’est le jour de l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange commercial avec les Etats-Unis que les indiens avaient choisi pour lancer un soulèvement armé qu’ils préparaient depuis une dizaine d’années dans les montagnes, et qui a eu un retentissement mondial.


La situattion économique du Chiapas

La terre est aux mains d’une vingtaine de familles, comprenant souvent des membres du P.R.I., le Parti Révolutionnaire Institutionnel, au pouvoir depuis 70 ans au Mexique; les politiques de redistribution de la terre ne sont pas parvenues jusqu’à cet état du Sud, proche de la frontière avec le Guatemala .
L’Etat produit énormément de richesses qui sont systématiquement exportées sous forme de matières premières, sans que la population locale en bénéficie: gaz, pétrole, électricité d’origine hydroélectrique (représentant 20% de la production mexicaine), productions agricoles destinées à l’exportation: café, céréales, avocats, abricots, bananes, cacao, bois exotique, bovins... Toute l’infrastructure de communication est conçue pour l’exportation. Les routes cessent d’être macadamisées à la frontière de l’Etat...
Pendant ce temps, en matière de santé les raccordements à l’eau potable et à l’égout sont rares; il y a un cabinet médical pour 5.000 habitants et trois fois moins de lits d’hôpital que dans le reste du Mexique. 54% des habitants souffrent de malnutrition.
Les indiens souffrent de leishmaniose (la lèpre des montagnes) de parasitoses, de la gale, du typhus, du choléra, de la rougeole... Toutes des maladies pourtant curables, mais mortelles pour ces populations en situation précaire.
L’armée zapatiste
L’armée zapatiste (E.Z.L.N.) se présente comme une armée régulière, disciplinée, appliquant les accords de Genève sur les prisonniers. Elle compte 40% de femmes, dont certaines à des postes de commandement, ce qui représente une rupture complète avec la condition des femmes dans les villages indiens: là, elles s’occupent des enfants, de la cuisine et aident aux cultures, mais ne prennent jamais part au processus collectif de décision.
Cette armée joue un rôle éducatif important: les combattants, de jeunes paysans pauvres de 15 à 25 ans, y apprennent à lire et à écrire ainsi que la langue espagnole.
Le but de la création de cette armée est d’obtenir l’attention sur les problèmes des indiens, le respect de leur dignité, de leur culture, des programmes d’éducation et de santé visant à les amener au même niveau que le reste du pays, et des réformes politiques.
Les indiens défendent fondamentalement la vie. Ils ont pris les armes parce qu’ils estimaient n’avoir aucun autre choix, mais n’ont pas de culture guerrière.
Le but de ces combats n’est pas de prendre le pouvoir, mais d’obtenir une gestion plus démocratique de tout le pays, “une autre manière de faire de la politique”, dont le leïtmotiv est “diriger en obéissant”, en s’appuyant sur l’établissement de “ponts” avec la société civile mexicaine et étrangère.
Depuis le début de l’insurrection, de nombreux communiqués ont été diffusés et la société civile est associée à toutes les négociations. Des forums de discussion sont créés et, cette année, du 27 juillet au 4 août, une rencontre intercontinentale, sur le thème “pour l’humanité et contre le néolibéralisme”, préparée par des rencontres sur plusieurs continents, a eu lieu au Chiapas. Il s’agissait de discuter “comment on vit sous le néolibéralisme et comment on lui résiste”. Le but était de déterminer des moyens d’action, au niveau mondial, contre le néolibéralisme.
Actuellement, une épreuve de force est engagée entre les zapatistes et le gouvernement mexicain: le 3 septembre dernier, les zapatistes se sont retirés des négociations. Ils ont accusé la délégation gouvernementale de mener une stratégie “de l’oubli et de la minimisation”. Les accords de février ne sont toujours pas appliqués, et la commission chargée du suivi de ces accords n’a pas été installée.
Les discussions suivantes, qui avaient débuté en mars sur le théme “démocratie et justice” semblent poser problème aux négociateurs du gouvernement.
Le shéma général des discussions est normalement le suivant:

* 1e phase: discussion générale, avec des invités et des assesseurs (ou conseillers) des deux camps
* 2e phase: discussion sur des thèmes plus précis avec les conseillers seulement
* 3e phase: sans invités, on essaie d’arriver à des propositions consensuelles.

Celles-ci (ou celles des deux parties s’il n’y a pas d’accord) sont soumises par chacune des parties à leur “base sociale” (pour les zapatistes, il s’agit des indiens de la région, et cela dure un certain temps, 20 jours au moins, car les propositions doivent être traduites dans les langues indiennes et discutées dans chaque village; même les enfants à partir de onze ans ont voix au chapitre. Quant aux négociateurs gouvernementaux, ils doivent consulter... le Président.)

La quatrième phase consiste en la discussion d’amendements aux textes précédents dans le but d’arriver à des accords.
Or, sur le deuxième thème, en mars et avril dernier, le gouvernement n’avait convié ni invités ni assesseurs et ses négociateurs n’ont rien dit, ils se sont contentés d’écouter, pendant les deux premières phases.
Ensuite une première crise avait déjà eu lieu, suite à la condamnation à 14 ans de prison pour terrorisme de deux personnes qui avaient été arrêtées en février 95, au moment de l’offensive militaire, et accusés d’être des sympathisants de l’armée zapatiste. Les zapatistes avait suspendu provisoirement leur participation aux négociations. Un mois plus tard, en appel, les deux hommes ont été libérés. La semaine passée, le procureur de l’Etat de Mexico a encore requis la peine maximale de 50 ans de prison pour d’autres personnes arrêtées en février 1995.
Les négociations ont repris en août, après des réunions visant à repréciser les modalités du dialogue. Le gouvernement a enfin apporté des propositions, que les zapatistes ont toutefois estimées vides de sens, ou déjà votées sans avoir été discutées avec eux, comme la réforme électorale.

La réforme du système électoral

Les principaux partis sont tombés d’accord sur une réforme du système électoral, en dehors de toute négociation avec les zapatistes. Cette réforme a été négociée par les présidents de partis et votée par le Parlement en quarante-cinq minutes, sans aucun amendement.
Cette réforme consiste en:

* une plus grande indépendance de l’institut fédéral électoral: il sera indépendant désormais du ministre de l’intérieur, présidé par un directeur désigné par la chambre des députés à la majorité des 2/3, et le tribunal fédéral électoral sera rattaché au pouvoir judiciaire.
* un financement public des partis
* l’affiliation à un parti devient strictement individuelle
* on tentera de permettre le vote des Mexicains se trouvant à l’étranger
* plus de transparence dans la constitution des listes électorales et dans la comptabilisation des résultats
* le gouverneur de l’important Etat de Mexico sera désormais élu et non plus désigné par le Président.

La situation du Mexique

La révolte Zapatiste est contagieuse. Il y a un mouvement général, dénommé “El Barzon” (le joug) de personnes privées qui, s’étant endettées au cours de l’euphorie économique suivant la signature des accords de libre-échange avec les Etats-unis, et étant incapables de rembourser vu la crise économique actuelle, suspendent le remboursement de leurs dettes. Le gouvernement aide les banques, mais pas les particuliers.
Des révélations importantes ont eu lieu ces derniers mois en ce qui concerne la corruption de l’entourage de l’ancien Président Carlos Salinas: Raoul Salinas, son frère, en prison depuis février 1995 sous l’accusation d’être l’instigateur du meurtre du secrétaire général du P.R.I., aurait fait des révélations pour tenter d’entraîner ses amis dans sa chute. Il doit justifier les 120 millions de dollars (au moins) qu’il a placés en Suisse suite aux privatisations des grandes sociétés d’Etat et aux revenus que lui apportait le trafic de stupéfiants, d’après des enquêteurs mexicains, américains, suisses et français. L’origine des fonds n’a pas encore été prouvée.


L’E.P.R.


D’autre part, un autre mouvement militaire est apparu: l’E.P.R. (Ejercito Revolutionaro Popular)
Il s’agit d’un mouvement très différent de l’E.Z.L.N. : au contraire de celle-ci qui dit vouloir négocier et ne pas revendiquer le pouvoir, l’E.P.R. refuse de négocier avec les dirigeants corrompus et veut le pouvoir.
L’E.P.R. s’est manifestée pour la première fois dans l’Etat de Guerrero, le 28 juin 1996, jour du premier anniversaire du massacre de 17 paysans désarmés qui se rendaient à une réunion d’une organisation paysanne de l’opposition. Au cours d’une cérémonie de commémoration, à laquelle assistait Cautemo Cardenas, ancien candidat à la présidence pour le P.R.D. (parti d’opposition de gauche), ils sont descendus d’une colline surplombant le lieu du massacre sans violence mais munis d’un armement de guerre (Kalachnikov) et vêtus de beaux uniformes. A cette occasion, il n’y avait eu aucune violence, mais le mouvement n’avait pas été pris au sérieux.
Ensuite, elle s’est livrée, il y a quinze jours à une série d’attaques très violentes dans cinq ou six Etats simultanément, en plusieurs endroits différents de chaque Etat, ce qui demande une organisation importante. Ces attaques ont visé de petits objectifs militaires et civils et visaient plutôt à déstabiliser qu’à occuper des objectifs militaires, puisqu’ils n’ont pas cherché à occuper les objectifs qu’ils avaient pris. Des attaques ont notamment eu lieu à Acapulco (mais en dehors de la zone des hôtels, et à Huatulco,la nouvelle station balnéaire à la mode. Manifestement, l’E.P.R. dispose de très gros moyens. Elle dit les obtenir à l’aide de kidnappings et d’ ”expropriations” de banques (hold up), ce qui est possible car ils sont fréquents.


Fait curieux: suite à l’attaque d’une radio locale à Tabasco, deux guerrilleros qui auraient été arrêtés alors qu’ils distribuaient de la propagande de l’E.P.R. sont des hommes de main du gouverneur, membre du P.R.I., qui apparaissent à ses côtés sur des photos! Il est donc possible qu’une partie du P.R.I. joue la stratégie de la tension contre le président actuel, Zedillo, car ils s’opposeraient aux réformes risquant de diminuer leur pouvoir. A l’appui de cette idée, il faut savoir que des rumeurs ont couru sur le fait qu’il n’achèverait pas son mandat mais serait remplacé après deux ans (ce qui est possible contitutionnellement). D’autre part, l’E.P.R. a dit, dans un communiqué, qu’ils n’avaient rien à voir avec les deux membres du P.R.I., ni avec les menaces d’attentat à la bombe qui agitent en ce moment toutes les villes du pays, et semblent bien faire partie d’une stratégie de la tension, dans un pays dont l’importance géostratégique, par sa frontière de 3.000 km avec les Etats-Unis, ses ressources naturelles et sa place dans le système économique mondial n’est pas à négliger.


Au contraire de l’E.Z.L.N., l’E.P.R. ne paraît pas limitée à un territoire. Après sa première action publique, elle a organisé des rencontres avec des journalistes dans la région montagneuse, très difficile d’accès, de la Huasteca, en dehors de l’Etat de Guererro. Elle se présente comme le bras armé d’une organisation politique formée de l’union de quatorze organisations, ouvrières et paysannes, dont le PROCUP-PDLP, une organisation née dans les années ‘60 dans l’Etat de Guerrero.
Le discours politique de l’E.P.R. paraît plus classique pour l’Amérique latine que celui des zapatistes: c’est un discours marxiste, visant à instaurer la dictature du prolétariat, une renégociation de la dette extérieure et la restitution des terres aux communautés indiennes.
L’E.P.R. paraît indépendante des zapatistes; elle estime que ce n’est pas avec de la poésie que l’on gagne les guerre. Elle lui a proposée son aide qui a été refusée. Mais le sous-commandant Marcos, porte-parole des zapatistes, a déclaré qu’il n’y avait pas les “bons” zapatistes et les “mauvais” de l’E.P.R., que chacun a choisi sa voie, ce qu’il respecte. Il refuse le mécanisme visant à tenter de les opposer. Quant aux tentatives de minimisation, il les rapproche de ce que l’on a dit des zapatistes au début.


La situation actuelle au Chiapas


La situation est très dificile. Soixante mille hommes de l’armée mexicaine se trouvent au Chiapas, soit six pour un combattant de l’E.Z.L.N., qui se sont repliés dans les montagnes. Ils se livrent à des exactions contre les paysans: des chars, à la poursuite d’hypothétiques trafiquants de drogue, dévastent les champs. D’après Danièle Miterrand, la veuve du Président français, qui s’est rendue au Chiapas en avril dernier et vient de publier un livre1 sur cette visite, la récolte ne pourra pas avoir lieu cette année. Elle exprime dans son livre son intérêt pour ce mouvement qui la passionne et lui semble porteur d’espoir de renouveau politique pour le 21ième siècle.
Danièle Mitterrand a été très frappée de l’écho rencontré par le mouvement zapatiste dans le reste du continent latino-américain: partout où elle s’est rendue, au Brésil, en Uruguay, au Chili, après avoir rencontré le sous-commandant Marcos, on lui demandait avec enthousiasme de raconter ce qu’elle avait vu.


Un financement européen?


Une petite anecdote pour terminer: il semblerait que des ambassadeurs de tous les pays européens, ainsi que le délégué de la Commission européenne, qui s’étaient rendus sur place avaient promis un financement à la Conaï, la structure indépendante, présidée par l‘évêque de San Christobal, qui organise les négociations entre les zapatistes et le gouvernement. Fin juillet, la Commission a renoncé à cette aide, suite à des pressions du gouvernement mexicain! Celui-ci vient pourtant de déclarer que la plupart des revendications des zapatistes pouvaient être

Catherine VAN NYPELSEER & Francis DOUCHAMPS

     
 

Biblio, sources...

(1) " Ces hommes sont avant tout nos frères", par Danièle Mitterrand, édition Ramsay, juillet 1996

 
     

     
   
   


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