Histoire
«Il est aujourd'hui, pour le moins paradoxal de constater qu’alors que, pendant des siècles, l'Ancien Régime avait préservé jalousement le droit de l'Etat de battre monnaie et le privilège exclusif d'en garder le bénéfice, la République démocratique a abandonné pour une grande part ce droit et ce privilège à des intérêts privés» soulignait Maurice Allais, prix Nobel d'économie 1988. Jusque dans les années 70, l’État français empruntait auprès de sa banque centrale (qui créait cette monnaie pour l’occasion) et, au fur et à mesure où l’État remboursait cet emprunt, la Banque centrale détruisait cet argent, mais sans faire payer d’intérêts à l’État. L’article 25 de la loi du 3 janvier 1973 de Pompidou (ex-directeur général de la Banque Rothschild…) et Giscard d’Estaing va mettre fin à cette pratique. Depuis l’État Français s’interdit à lui-même d’emprunter auprès de sa banque centrale et s’est donc lui-même privé de la création monétaire, s’obligeant à emprunter auprès d’acteurs privés, à qui il doit payer des intérêts, ce qui rend évidemment l’argent beaucoup plus cher.
Au niveau européen, le simulacre de débat sur le traité de Maastricht, estime Etienne Chouard, a complètement occulté cet enjeu important: rien n’a été étalé sur la place publique concernant l’abandon total de la création monétaire aux banques privées (article 104 du traité) qui est pourtant, pour Chouard, la cause majeure de la dette publique qui asphyxie nos États. Cet article 104 du traité de Maastricht devenu, tout aussi discrètement, l’article 123 du traité de Lisbonne, dit ceci:
''Il est interdit à la BCE et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées "banques centrales nationales", d'accorder des découverts ou tout autre type de crédits aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la BCE ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.''
Ce qui pourrait être traduit concrètement par «Les États n’ont plus le droit d’emprunter auprès de leurs banques centrales mais aux banques privées qui empruntent à la BCE à 1% et prêtent, en contreparties d'obligations souveraines, à des taux se situant suivant les pays entre 3,5% et près de 9%».
Allais &Cie
Maurice Allais, prix Nobel d’économie 2008, a développé sur la fin de sa vie une idée majeure: il faut, pour lui, rendre la création monétaire aux États, à une banque centrale indépendante; il faut que la banque européenne (BCE) récupère la création monétaire en la reprenant aux banques privées. Pour lui, c’est une honte que les banques privées se comportent (parce qu’on les y autorise) comme des faux-monnayeurs, et que cela nous ruine. Cette servitude est pourtant non nécessaire: il n’y a rigoureusement aucune raison d’abandonner la création monétaire aux banques privées. Des sommes considérables, celles des intérêts de toute cette création monétaire privée, sont retirés depuis des décennies à la collectivité, dans la plus grande discrétion et sans la moindre justification politique ou économique, et sans le moindre débat public sur le sujet. Une dette publique extravagante, annuellement renouvelée, complètement asphyxiante pour les services publics et pour le bien-être général est née de cette invraisemblable ponction.
Cette dette est très injustement imputée à la prétendue incurie de l’État: Etienne Chouard fait remarquer que depuis 1974, la dette publique française n’a cessé d’augmenter et le chômage aussi. Christian Arnsperger, docteur en Sciences économiques (UCL) remarque que sur les intérêts perçus par les banques, 20% sont reversés dans la circulation, 20% couvrent les frais de la banque, et 60% grossissent les portefeuilles des plus grosses fortunes...
Une dette publique, des intérêts privés
«Celui qui contrôle l’argent de la nation contrôle la nation» remarquait Thomas Jefferson, Président des Etats-Unis. Comment, à contempler les parcours professionnels et les réseaux sociaux de hauts responsables politiques, ne pas se dire que les banquiers privés placent leurs hommes au coeur des Etats? Le fait que le gouvernement ait abandonné cette fonction aux banques privées est, pour Chouard, une trahison abominable. Les gouvernements, en se refusant à eux-mêmes un privilège que par loi ils ont accordé aux banques, se sont faits les serviteurs des banquiers. Et l’objectif des banques privées n’est pas du tout d’émettre l’argent selon les besoins de la population, mais de faire plus de profits, et d’amener gouvernements, entreprises et individus à s’endetter. Les impôts servent ainsi à alimenter le système bancaire au mépris de l’intérêt général. De l'abandon de la création monétaire par l'État au privilège des banques, résulte l'escroquerie d'un endettement dont les intérêts permettent de verser une généreuse et perpétuelle rente à des banquiers qui ont pour seul mérite d'avoir inscrit un montant sur une ligne de compte.
Si c'est le secteur privé qui crée la monnaie, elle est créée de manière sélective, sur des critères de rentabilité et de solvabilité au service prioritaire des actionnaires du système, sans se soucier du bien commun. Dans ce système, on ne prête qu’aux riches et la population manque de signes monétaires comme un organisme manque de sang. En se substituant à l’État les banques privées se sont muées en super-percepteurs internationaux.
Mais surtout, l'intérêt bancaire perçu au prétexte de la création monétaire (rémunération principale de l'émetteur, aussi appelée seigneuriage), est une cause de l'inflation, par ailleurs dénoncée comme fléau n°1, ainsi que de la course à la croissance si dommageable à l'environnement, de l'appauvrissement des nations par la dette publique, et du transfert permanent de la monnaie des plus pauvres vers les plus riches. La question qui se pose, c’est de créer la monnaie sur des critères d'intérêt collectif, sans nécessité absolue d'être assorti ni d'une échéance, ni d'un intérêt; dans ce dernier cas de figure, l’intérêt reviendrait à la collectivité et participerait au bien commun plutôt qu’au gonflement des avoirs privés.
Arguments
La justification des promoteurs de l’article 25 de la loi de 1973 qui interdit à l’État français de présenter ses propres effets à l’escompte de la Banque de France était d’«empêcher l’État d’utiliser la ‘planche à billet’ et par voie de conséquence de limiter l’inflation». Las, l’inflation fut très largement supérieure de 1973 à 1982, par rapport aux 10 ans qui précédèrent cette date, de 1962 à 1972: 11,2% en moyenne au lieu de 4,4%.
Ce serait donc bien globalement le «service» de la dette qui a nourri l’augmentation de celle-ci au long de ces 30 dernières années. Les intérêts payés sont la cause de l’augmentation de la dette et du niveau atteint actuellement. Enfin, un autre argument est souvent cité: la monétisation de la dette publique induit ipso facto une augmentation de la masse monétaire et donc de l’inflation. Le fait que, par le passé, certains responsables politiques aient abusé du pouvoir de création monétaire ne justifie évidemment pas que l’on prive la collectivité de ce pouvoir vital pour nous tous. La seule question importante (que les responsables refusent curieusement de porter au débat public) est: qui a la légitimité pour créer la monnaie: les acteurs privés ou les acteurs publics? Autre question: comment interdire les abus aux différents acteurs?
Pour financer ses dépenses publiques, l'État a recours à l'emprunt: il émet des bons du Trésor ou des effets - selon la durée de l'emprunt - qu'il vend sur le marché. Et les banques commerciales financent leur achat de ces titres de dette publique par simple création monétaire... Autrement dit, les banques s'enrichissent gracieusement tandis que l'État (c'est à dire les contribuables) s'endette. Cette logique d'endettement crée un cercle infernal, car tôt ou tard il faudra rembourser l'emprunt et les intérêts. L’augmentation annuelle de la dette publique de 1980 à fin 2009 en France correspond, bon an mal an, aux intérêts de la dette, dans un effet boule de neige. En euros constants la dette est passée de 239 milliards d’euros (21% du PIB) fin 1979 à 1489 milliards d’euros (78% du PIB) fin 2009, soit une augmentation de 1250 milliards d’euros. Sur la même période, les français ont payé environ 1340 milliards d’euros d’intérêts aux différents prêteurs privés (banques et établissements de crédits, fonds de pension, assurances-vie…). Ce montant est sensiblement égal à la somme des intérêts (actualisés) payés sur cette dette depuis 1973, date à laquelle l'État a renoncé à la création monétaire. Autrement dit, si l'État avait pu se financer directement à la Banque de France sans intérêts, mais avec l'obligation de rembourser l'emprunt et de détruire ainsi la monnaie créée, le pays ne serait aujourd'hui quasiment pas endetté.
Philosophie
L'humanité en est réduite à demander l'autorisation de produire et consommer, comme un enfant demande à ses parents l'autorisation de sortir, car c'est la banque qui, selon qu'elle accorde le crédit ou pas, décide en fin de compte de ce qui a le droit de se faire ou non dans le monde. Puisque la population est créatrice de la vraie valeur, n'est-il pas légitimement en droit de gouverner les signes qui la représentent? N'est-ce donc pas à un organisme public, représentant les intérêts de la communauté entière, de détenir ce privilège?
Pour Christian Arnsperger, notre système et son secteur bancaire ont inscrit l'obligation de croissance jusque dans nos corps et dans nos âmes. Pour nourrir les rentes des plus nantis et aussi, de plus en plus, simplement pour avoir nous-mêmes des pensions un peu correctes, nous sommes obligés de contribuer quotidiennement à cette grande "production de richesse".
Or, dans le système de création de monnaie actuel, pour rembourser la dette, il faut toujours créer de la valeur, il faut donc toujours plus de croissance, une croissance exponentielle. La croissance reste donc le dogme à suivre pour que le système de création de la monnaie ne s'écroule pas. Or, les effets pervers de la croissance sur l'environnement, le climat, la biodiversité, l'emploi, le bien-être ainsi que l’impossibilité d'une croissance exponentielle dans un monde qui a des ressources limitées constituent bel et bien des contraintes concrètes des systèmes économiques à venir...