?> QUEL FUTUR POUR DJERBA ?
QUEL FUTUR POUR DJERBA ?

Banc Public n° 213 , Octobre 2012 , Kerim Maamer



Particularité insulaire, merveille de Méditerranée, mythe de l'histoire, richesse de la nature, beauté des paysages, système socio-économique, modèle de formation, lieu de bien-être, ressource de l'économie ... ce miracle de Djerba est un capital fragile, qui risque de se composer au passé.  Il est mis en péril par les agissements humains anarchiques et désordonnés. L'½il  de diaspora observe les ruptures brutales, qui brisent notre harmonie et causent des atteintes irrémédiables à notre patrimoine. Elles touchent gravement et au sens large, les paysages, la population, les ressources... soit l'entièreté de notre joyau de Djerba.

A l'origine, la terre de Djerba n'est qu'un « bout de désert dans la mer », sans eau douce, ni ressources naturelles. Au fruit de leur expérience, les hommes ont produit ce miracle de l'île des jardins, de luxuriance et de sécurité, de beauté et d'harmonie, de richesse et d'équilibre, de prospérité et de bien-être, de tolérance et de paix. Il faut comprendre la particularité et les secrets de Djerba: l'intérêt des lois coutumières, l'importance de l'histoire et de nos acquis pour protéger notre patrimoine, l'entretenir et nous projeter dans un devenir optimiste.

Aux racines de Djerba

L'ancienne Meninx fut probablement prospère, telle qu'on voit la force de ses constructions, la diversité de ses marbres, la grandeur de ses nécropoles, la réputation de son commerce, la primauté de son vin, la représentation de sa muse et de ses mosaïques, etc. Toutefois, la cité s'éteignit sans qu'on sache pourquoi! Aucune mission sérieuse d'archéologie n'a entrepris de rechercher une vérité de l'Histoire sur Méninx. Avec la conquête arabe, le vocable prit signification de « Ma Naqss », soit « manque d'eau ». L'explication est insuffisante pour expliquer le déclin. L'île devint lieu de refuge, depuis le récit des premiers Juifs de l'exode, l'exil d'Ulysse, la fuite des ibadites, l'établissement de pirates et autres fuyards. Les constructions souterraines de Djerba, le camouflage des réserves d'eau douce et de grains illustrent des formes primitives de protection.

 

Les Arabes (au sens large) ont apporté la maîtrise de l'eau. Venant de pays désertiques, ils avaient appris le soin de l'eau, dans sa récupération, sa conservation, son entretien, son drainage et son usage qui devaient répondre aux besoins des gens et de leur agriculture.  A Djerba, ces connaissances s'avérèrent géniales. Les habitants ont transformé l'île de Méninx en île des jardins. Les anciens construisaient des citernes en dessous de toutes leurs habitations et des réserves dans tous les lieux de bas relief.  Les sentiers de "tabias" (haies en plantes épineuses) considéraient les reliefs, pour drainer les eaux de pluie vers leurs réserves pour l'agriculture. Les gigantesques tabias donnaient une beauté très particulière au paysage végétal de Djerba. Elles incarnent une identité djerbienne,  permettant de définir des limites, d'assurer une intimité et la sécurité de ses habitants. Elles  maintenaient aussi une humidité des sols, qui contribuait à une luxuriance de la végétation.  Au sein de leurs domaines, les djerbiens entretenaient une botanique diversifiée et rigoureuse, qui faisait la verdoyance de leurs manoirs. Les arbres à Djerba sont titre de droit.  Au nom du droit coutumier, on possède l'olivier et sa production centenaire d'une huile précieuse. La végétation faisait la réputation de l'île aux jardins. Beaucoup plus que cela, les Djerbiens ont inventé un système d'organisation socio-économique et politique original, basé sur l'autarcie, pour les besoins fondamentaux comme l'eau, l'alimentation, l'habillement, la sécurité, l'éducation, la formation... Le modèle fit école et fut source d'enrichissement économique pour la communauté. Les Djerbiens ont exporté sur le continent leur modèle agricole, leur savoir-faire artisan et leur gestion dans les activités économiques.

Nous aurions eu plaisir à détailler cette connaissance du passé, si l'urgence ne nous appelait à évoquer les dangers qui guettent notre patrimoine. Le comportement anarchique des hommes provoque des atteintes définitives, qui compromettent les atouts majeurs de l'île dans un délai immédiat. A vue d'oeil s'observent, chaque année, la défiguration de paysages centenaires, la destruction des sentiers de tabias, l'arrachement des  oliviers et palmiers,  la disparition des dunes, la diminution  des plages, l'épuisement des ressources marines, le morcellement des terres, l'urbanisation sans limites, l'extension de commerces clandestins,  la modification des mentalités... 

 

L'ancienne législature fut ignorante des particularités de l'insularité, de ses lois coutumières et de ses atouts majeurs.  Elle abusa de pouvoirs esseulés, pour encourager l'entreprenariat anarchique et incontrôlé. La présente s'avère défaillante d'autorité et de stratégie. Les conséquences risquent d'être pires. Les mentalités se sont modifiées. Les qualités de tolérance, de liberté, d'activisme économique, d'identité, de paisibilité, de discrétion, d'intérêt communautaire... qui caractérisaient le Djerbien sont devenus leurs défauts. La tolérance s'apparente à un laissez-faire et à de l'abus contre la nature; la liberté s'apparente à l'irrespect des hommes et des lois; l'activisme devient l'anarchie; la discrétion, de l'exubérance; l'identité, de l'égoïsme; l'intérêt commun, de l'intérêt individuel... Il sera très difficile de remettre de l'ordre face à cet activisme débordant. La sauvegarde de Djerba passe par un projet politique : accord de stratégie publique, adoption du modèle, fixation des objectifs et moyens de réalisation.  

 

Infrastructures brutales

Il y a d'abord l'idée de "développement". Le Président Ben Ali en avait une perception très diminuée. Il s'imaginait que l'investissement dans les infrastructures améliorerait l'indice de bien-être humain et grandirait son prestige personnel. Les  argentiers du monde ont flatté notre pays pour lui accorder les crédits nécessaires. 

 

Or, nos hommes politiques ont confondu "progrès" avec "bien-être" social. Djerba est une île de vacances, de repos, de bien-être, de beauté... C'est un lieu de ressources et non pas un lieu d'expansionisme économique. Les autorités publiques n'ont pas mesuré  les dégâts qu'elles causeraient au tourisme. Au lieu de préserver les sentiers et les routes de campagne et le capital végétal de Djerba, les autorités ont développé de lourdes infrastructures routières, lignes d'électrification, aqueducs... Ces investissements ont justifié le flux migratoire et la spéculation foncière. Ils ont entraîné des constructions, habitations et commerces en tous genres qui saignent les paysages, détruisent la beauté naturelle de nos campagnes, l'identité et le cachet de Djerba. Tout au long de ces routes du FMI, des spéculateurs/promoteurs achètent des terres au prix de l'olivier, qu'ils aménagent à leur guise pour les revendre au prix de l'immobilier. Le capital naturel de Djerba avec son paysage végétal, ses sentiers de tabias aux plantes diverses, ses oliviers et palmiers centenaires... est grandement défiguré au profit d'un paysage urbanisé, d'architectures incohérentes ou étrangères à l'île, de richesses inégales. Les pâturages et la production des campagnes ont été diminués par l'établissement de citadins qui recherchent la campagne mais qui muraillent leur lot. L'élevage est devenu coûteux. L'île devient est totalement dépendante du continent pour son alimentation.  

 

Les routes apportent encore de la vitesse dans un lieu où celle-ci est officiellement limitée à 70km/h. Là où les urbanistes avaient prévu une route de campagne (Midoun-Phare de Téguermass), Ben Ali imposa une route à quatre voies, peu importe les oliviers arrachés, les portails antiques démolis, les tabias détruites, les terres expropriées sans avis ni  indemnisation... Les puissantes cylindrées donneront leur gaz dans ce lieu de détente. Ce n'est donc pas la banlieue citadine qui se met au rythme de la campagne, mais la campagne de Djerba qui se met au rythme de la banlieue!  Sur ces voies rapides, une multitude de maisons et de commerces clandestins en tous genres se sont établis, permettant aux automobilistes de s'y arrêter à tout moment. Le risque d'accident étant connu, la commune a établi des "dos d'ânes" pour ralentir la vitesse sur la voie rapide.  Les jours de marché, les innombrables taxis chiffrent leur journée et croisent les ambulances qui ramènent leurs accidentés. C'est l'exemple typique d'une incapacité de concertation des pouvoirs pour s'accorder sur une décision juste et rationnelle.  

Anarchie économique

 

Le désordre continental s'impose dans un lieu de prestige qui veut répondre au standing international du tourisme. Les constructions illégales, les commerces clandestins et autres activités économiques informelles s'établissent à leur guise, à la sortie des villes, le long des routes ou sur les marchés. Ces entreprises informelles échappent aux taxes et impôts, nourrissent le désordre et le manque d'hygiène, voire la destruction de l'environnement. Les pires sont les métiers liés à la construction-démolition (véhicules buldozers). Ils sont les puissants démolisseurs de patrimoine. En quelques heures, ils déplacent des titres de droit, anéantissent des paysages constitués par des centaines d'années. Ils oeuvrent dans l'illégalité et sans contrôle public. N'importe quel corps de métier peut s'établir à Djerba et développer son activité, sans enregistrement dans nos communes. Certains magasins ouvrent à tout moment de la journée et de la nuit. Ils exploitent de jeunes enfants, dans le but de récupérer une clientèle, maintenir des revenus de misère et financer leur projet spéculatif.  D'autres miséreux tentent de rentabiliser leur marchandise par des étalages de commerce ambulant, dans les lieux de villes, sans limites au sol, ni enregistrement, ni contribution aux taxes locales.  Le marché hebdomadaire devient quasi-quotidien. Cet activisme commercial, très néfaste pour l'environnement de Djerba, échappe à l'impôt. Un encadrement permettrait plus d'ordre, préserverait le cachet de Djerba, contribuerait aux recettes de la république pour mieux aider les communes déshéritées.   

 

Kerim Maamer

     
 

Biblio, sources...

 
     

     
   
   


haut de page

Banc Public - Mensuel indépendant - Politique-Société-environnement - etc...
137 Av. du Pont de Luttre 1190 Bruxelles - Editeur Responsable: Catherine Van Nypelseer

Home Page - Banc Public? - Articles - Dossiers - Maximes - Liens - Contact