SQUATT STORY

Banc Public n° 60 , Mai 1997 , Frank FURET



Le 19 mars de cette année, dans la bonne commune d’Ixelles, la Fondation Pneumatic prend possession de 4 immeubles, laissés depuis 15 ans à l’abandon, et ce, dans l’intention d’y créer un centre socio-culturel. Les membres de la Fondation commencent par rendre l’endroit vivable, et y organisent des évènements: un concert de rock, (qui attirera 300 personnes), un Ciné club avec table d’hôtes, un cycle de conférences, un atelier d’écriture, une jonglerie, un cours d’espagnol, un atelier de sculpture-mécanique, un atelier de peinture, un projet de “théatre-action”, etc. On peut aussi y boire un coup, y jouer aux cartes, au Scrabble ou aux échecs.

Le squatt “Richard Gaillard”, du nom du propriétaire des lieux, a aussi une vision politique: il s’incrit dans un mouvement de lutte pour la décentralisation des villes, dans le retissage des liens sociaux dans les quartiers, dans la re-création d’une vie collective et solidaire et souhaite générer une dynamique de lutte grâce à la création d’une contre-culture. D’autre part, l’occupation du lieu est une remise en cause directe du capitalisme et de sa valeur centrale: la propriété privée. Le squatt revendique la valeur d’usage de biens confisqués par leurs propriétaires au nom de leur valeur d’échange. Le squatt est organisé en AG ouverte à tous et le principe d’organisation est la démocratie directe qui exclut toute forme d’autoritarisme: la lutte et la gestion de ce lieu doit être collective, autonome et autogérée. L’argent récolté par les activités sera réinvesti systématiquement dans d’autres projets collectifs et le prix des activités restera le plus proche possible du prix coûtant. Le bâtiment, mis en vente en 1984, est inutilisé et dépérit depuis. Les habitants du quartier ont toujours connu ces 3 pâtés de maisons vides rue Sans-souci, à moitié ouverts et n’abritant que des chats. La Fondation Pneumatic juge que cette superficie énorme doit être utilisée, même momentanément, et revendique le droit de rester dans le bâtiment et d’en faire quelque chose tant que le propriétaire n’aura pas pris une décision concrète à son sujet.


Bon nombre des habitants du quartier passent visiter les lieux et soutiennent, comme le Syndicat des Locataires ou le Front Wallon des Sans-Abris, l’initiative. La bonne police d’Ixelles, par contre, n’est pas très enthousiaste et vient souvent contrôler les squatters, menaçant, dans un premier temps, de les expulser pour des raisons d’insalubrité, menaçant même d’employer des gaz lacrymogènes pour évacuer une soirée de 2OO personnes. Elle refusera aussi la domiciliation que 2 squatters avaient demandé, ce qui est absolumment illégal (une domiciliation ne peut être refusée pour un autre motif que le non-séjour effectif dans les lieux). Le propriétaire refuse tout dialogue avec les occupants et refuse même de communiquer le prix de vente des immeubles. Dans un premier temps, le propriétaire raccroche systématiquement au nez des squatters qui essaient de négocier avec lui. Néanmoins, un des membres de la Fondation Pneumatic retéléphonera toutefois au propriétaire en se faisant passer pour un expert en matière urbanistique: rassurée par le titre ronflant de son interlocuteur téléphonique (les propriétaires refuseront par ailleurs tout contact avce la presse) la femme du propriétaire des lieux s’épanche: “Ce sont des Marocains, des nègres et des étudiants drogués. C’est un scandale que l’État aide ce genre d’étudiants”. Et tant qu’elle y est, elle poursuit l’exposé de sa vision politique à l’intention du faux expert en urbanisme qui réussit à garder son sérieux: “quand je pense à cette Benaïssa (la mère de la petite Loubna) qui est encore enceinte; je parie que c’est pour les allocations”. Époustouflés par les hauteurs spirituelles des 2 vieux Yuppies réfugiés en province - à Wavre pour être exact - la Fondation renonce à un arrangement à l’amiable.

Le 3 avril la police, sur l’ordre du bourgmestre De Jonghe d’Ardoye, fait expulser les occupants sans même prévenir: les volatiles entrent de force et sans mandat, les arrêtent et saisissent leurs effets personnels et leur matériel. Les membres de la Fondation sont plaqués aux murs par des policiers ne présentant aucun signe susceptible de les considérer comme ce qu’ils sont. “On leur a ouvert alors qu’ils essayaient de défoncer la porte; aucun papier légal n’a été montré”. Les squatters estiment cette expulsion illégale: le propriétaire n’a pas saisi la justice de Paix, seule habilitée à trancher et à fournir un éventuel mandat d’expulsion.

Face au pouvoir communal qui préfère défendre le droit spéculatif des propriétaires au détriment du droit primordial à habiter et à disposer de lieux pour y développer des activités, la Fondation se propose alors de réagir: tout d’abord en réoccupant le lieu (et d’autres en cas d’expulsions). “Des dizaines de maisons sont inocuppées à Bruxelles alors que la majorité des gens vivent dans des logements insalubres, dépensent des fortunes pour avoir un logement ou vivent à la rue”. De plus, la Fondation se propose de porter plainte pour non-respect de la procédure légale d’expulsion, pour refus de domiciliation et pour dégâts occasionnés lors de la saisie de leurs affaires. La Fondation déplore également la connivence entre le pouvoir communal et l’intérêt d’un propriétaire avide de spéculation: en effet, la commune n’a jamais taxé ce bâtiment, se privant assez bizarrement d’une importante source de revenus (le total de taxes qui aurait dû être normalememnt payées était de 1.170.000 FB/ an), même si la loi n’oblige pas pas les communes à percevoir ces taxes. C’est donc plus de 10 millions qui n’ont pas été payés à la commune. La commune est-elle au service de tous ou bien au service des propriétaires, se demandent les Pneumaticiens? Le fait que M. Richard Gaillard, le propriétaire, soit proche des autorités (il serait un petit camarade d’Albert Demuyter, l’ancien bourgmestre d’Ixelles) aurait-il joué en sa faveur dans cette affaire?

Du côté de la commune, on se borne à discréditer le squatt: le génial De Jonghe D’Ardoye (bourgmestre PRL), qui semble apprécier la dentelle en matière de clichés rigolos, y voit notamment un complot organisé par Antoinette Brouyaux (conseillère communale Ecolo), estimant aussi que les membres de la Fondation Pneumatic ne sont pas des squatters: pour lui “ce sont des gangsters avec des méthodes de gangsters, des agitateurs politiques” et “par respect pour la propriété privée”, il se refuse de toute façon à appliquer la loi Onkelinkx de réquisition de bâtiments inoccupés. Toutefois, il ne semble pas que le KGB soit impliqué. Quant à Dominique Dufourny, échevine libérale, elle s’étonne: pour elle, les Pneumaticiens ne sont pas des squatters, ni des SDF, et dans un effort colossal pour comprendre et expliquer au peuple, la subtile échevin de la famille et des sports ajoute carrément à l’intention de la presse “tout ce qui les intéresse, c’est de vagabonder”. Néanmoins, le dernier conseil communal, d’une audace politique inouïe, aurait décidé tout à coup d’enfin faire appliquer les taxes sur les bâtiments vides, allant même jusqu’à voter une motion en ce sens...

Le 7 avril, les squatters réoccupent l’immeuble et seront à nouveau expulsés le lendemain (cette fois, la presse sera invitée et présente); le 12, les Pneumaticiens insistent et occupent la place Fernand Coq avec bouffe et calicots pendant une heure avant de se faire chasser par la police ixelloise (ils arrivent toujours à temps) qui les empêche de réaliser les activités qu’ils avaient prévues. Les rassemblements sur cette place sont en effet interdits et c’est en brandissant des pages du règlement que l’officier de police - un intellectuel jugeant finement par ailleurs qu’il s’agit là avant tout “d’adolescents mal dans leur peau” - leur ordonne de quitter la place. Les pneumaticiens obtempéreront, un peu las de se faire embarquer au poste.


Banc Public: Explique-nous un peu ce qu’est la Fondation Pneumatic.


Tom: La Fondation Pneumatic est constituée d’un noyau de gens qui se sont réunis sur base d’idées communes; la plupart ont des idées libertaires, marxistes, anticapitalistes, antiracistes, féministes, en tout cas anti-impérialistes; d’autres n’ont pas d’étiquette politique. Le mouvement a réellement commencé en décembre 1996 et voulait créer un mouvement de lutte politique par le squatt.


Dès lors quand De Jonghe d’Ardoye vous accuse d’être des agitateurs politiques, il n’a pas tout à fait tort?


De fait. Mais il se trompe en réduisant notre action à l’idée que nous ne sommes que des trublions irresponsables uniquement en quête d’agitation. Je ne nie pas le sens politique de l’action de la Fondation, mais j’estime qu’il est peu facile de réduire le squatt à une simplette stratégie agitationniste: les activités culturelles, conviviales et festives ont réellement eu lieu: 700 personnes sont passées au squatt et étaient assez enthousiastes vis-à-vis des activités développées, indépendamment de l’idéologie qui peut nous animer. C’était avant tout un lieu de vie.


Il vous a accusé d’avoir insulté le propriétaire; vrai ou faux?


Il y a eu des mots; lors de l’ expulsion, une fille a pété les plombs et a traité le propriétaire de menteur parce qu’elle estimait qu’il n’avait pas vraiment envie de vendre son bien, qu’en fait il spéculait. Elle était vraiment très énervée, hystérique même. Mais bon, il nous a raccroché au nez chaque fois que nous avons essayé de le contacter, alors...


Que répondre à l’argument que pas un seul de vous n’est sans logement? En fait pour la plupart, vous êtes étudiants, Non?


La plupart des pneumaticiens sont étudiants, en sociologie, en art, d’autres étudient pour devenir assistants sociaux ou éducateurs. Il y a aussi des gens qui travaillent et des chômeurs. Pour la plupart, nous avons effectivement un logement sauf deux d’entre nous, à qui on a refusé la domiciliation au squatt. De plus, un des pneumaticiens va, lui aussi, bientôt se retrouver sans logement et comptait un peu sur le squatt.


Dominique Dufourny vous reproche aussi d’avoir squatté sous la désapprobation des voisins...


Faux. Sauf dans le chef du garage en face, qui ne nous voyaient pas d’un très bon oeil. Sinon beaucoup de gens du quartier sont venus nous dire que nous avions raison d’occuper; certains sont venus aux soirées organisées et ont même apporté de la vaisselle, à manger. Nous avions des relations assez conviviales avec le voisinage.


La Fondation a encore des projets?


On a un projet d’actions ponctuelles à court terme: informer sur les squatts, sensibiliser, toucher les gens par des affiches, des autocollants, entretenir les contacts existant déjà avec des squatts de Gand, de Liège, en Espagne. Puis on va être en examen (blocus) pour la plupart du noyau. On organisera sans doute une fête histoire de remplir les caisses de Pneumatic, qui sont vides, avant les vacances, puis on reparlera actions en septembre. En fait nous comptons, à long terme, faire un effort pour développer et coordonner des actions de squatt à Bruxelles. Le mouvement squatt est inexistant à Bruxelles alors que se loger devient de plus en plus probléméatique et que les maisons inoccupées sont légions à Bruxelles; en fait il y a le squatt des Marolles qui va être stoppé pour cause d’insalubrité; il y a aussi le squatt de la rue Rossini, en fait l’ancien squatt de l’Etoile du Berger, où les occupants ont été relogés par l’archevêché de Malines-Bruxelles, propriétaire, dans un de ses autres bâtiments vides et ce avec un bail précaire (un an sûr, plus 6 mois de préavis au cas où l’immeuble serait revendu); ici, les squatters sont en train de rendre habitable cette ancienne école abandonnée mais salubre: travaux d’électricité, salle de bain; ils ont aussi le projet d’y élaborer des ateliers de sérigraphie, de photo, de cinéma etc. Et puis il y a eu le squatt très médiatisé du Beurschouwburg, mais il n’a duré qu’une semaine, avec la bénédiction de De Donnéa qui a trouvé l’occasion de peaufiner son image sociale; par contre le même De Donnéa a fait expulser discrètement des squatters qui avaient des problèmes de logement; il y a eu quelques squatts-logement dans Bruxelles: ce n’étaient pas des squatts à projet, c’étaient des squatts pour abriter des gens qui ne trouvaient rien ou qui avaient des problèmes de fric: existence confidentielle et expulsion discrète. Tout celà est encore fort fragile. Il faut développer, structurer et concrétiser l’idée d’un réseau et d’une organisation de squatters, et la Fondation Pneumatic compte à priori y jouer un rôle. Voilà.


Merci.


De rien. Salut.


Frank FURET

     
 

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