Dorian de MEEUS, rédacteur en chef de La libre Belgique ("Triste wokisme", 29 janvier 2025), écrit :
Quand la statue "La Maturité" choque certains esprits immatures, le couperet peut faire mal : "La vision patriarcale de ce monument n´est plus en phase avec la société actuelle..." Boum, il sera donc remplacé par un arbre! (...) Cette décision absurde démontre à quel point la "cancel culture" n´est pas une vue de l´esprit comme d´aucuns voudraient encore le laisser croire. Au contraire, le wokisme pousse certains décideurs à déboulonner les ouvrages qui ont pourtant marqué l´histoire de notre civilisation. Cacher les traces du passé n´aidera personne et n´effacera aucune blessure. La propension de certains à interpréter chaque œuvre ancienne avec une grille de lecture militante devrait inquiéter les artistes actuels. (...) Comme les citoyens et les associations de quartier, nos ministres bruxellois feraient bien de se préoccuper de l´état de notre patrimoine au lieu de se donner bonne conscience sur son dos.
Pour l´Atelier de recherche et d´action urbaines (ARAU, 30 janvier) cependant, il ne faut pas être dupe de l´alibi idéologique :
Les luttes contre le patriarcat se sont vues instrumentalisées pour justifier un réaménagement qui trouvait son origine ailleurs.
À notre connaissance, cette statue n´a jamais fait l´objet d´une quelconque contestation de la part du milieu féministe bruxellois. (...) Tout cela a pour conséquence de voler la vedette au véritable problème urbanistique... : le projet pour le square de la Maturité est la conséquence d´un masterplan (plan directeur, NdR) nommé "Coteaux du Pentagone", financé par la ville, que personne ne connait, qui n´a pas fait l´objet d´une enquête publique, et qui suit son chemin... Un masterplan avec plein de bonnes intentions et beaucoup de prescriptions qui mériteraient plus de ransparence et de nombreux débats publics!
Dans une interview accordée à Bruzz, la secrétaire d´État chargée de l´Urbanisme et du Patrimoine Ans PERSOONS déclare qu´elle projette le déménagement de l´oeuvre de Victor ROUSSEAU au square Gutenberg. Placée à cet endroit, cesserait-elle donc de "véhiculer... une vision patriarcale" comme l´indique l´arrêté de refus de classement?
(...) Le recours à un argumentaire... "wokiste" n´est donc en fait qu´une manière de motiver un refus autrement que par un simple "la statue est dans le chemin, il faut l´enlever pour faire les travaux qu´on veut" qui n´aurait sans doute pas eu une solidité juridique suffisante... (...)"
On peut également lire sur le site de l´ARAU (5 février) les conclusions d´une étude historique commandée par la ville de Bruxelles en 2022, "très claire quant à la valeur de la statue (par ailleurs considérée comme un chef-d´oeuvre) et du square comme un ensemble cohérent". "Pour l´ARAU, le square de la Maturité doit être préservé, restauré et intégré au projet de réaménagement souhaité par la ville et la Région." ?
Par-dessus le marché, l´architecte et historien de l´art Pierre LOZE, argumente, non sans sarcasme ("Ce vieux cochon de Victor ROUSSEAU", www.entreleslignes.be, 17 janvier) et de manière convaincante selon nous, que l´oeuvre n´est en rien une apologie du patriarcat :
Face à des figures allégoriques peu habillées, l´état d´esprit actuel a conduit nos censeurs à les interpréter, d´une certaine façon, en termes de patriarcat et de domination masculine ou d´instrumentalisation du corps de la femme, et donc de les stigmatiser, en même temps que les fantasmes qu´elles peuvent susciter chez certains... Cachons donc ce monument que je ne saurais plus voir. Tartufferie moderne. (...)
Il faut peut-être se souvenir que cette oeuvre, inaugurée en 1922, ... évoque la douleur des hommes d´un certain âge dont les fils se sont illustrés au champ d´honneur et n´en sont pas revenus. Ces hommes, trop âgés pour combattre, n´avaient d´autre issue, après ce désastre qui avait ruiné le pays, que de placer leurs espérances dans l´énergie et la candeur d´une jeunesse qui avait échappé à l´horreur de la Première guerre mondiale. À bien regarder cette statue d´homme assis et nu, on constate d´ailleurs qu´elle est dénuée de toute expression virile. Elle traduit surtout un sentiment de perte... Quoique fière, son expression est plutôt celle d´une résignation, forme de sagesse, qui se réfugie dignement dans l´espérance placée dans l´avenir de la jeunesse et dans le retour d´une certaine abondance, qui reviendra en effet et qui est exprimée par les opulentes guirlandes de fruits. (...)
Que l´expression d´abandon et de dereliction exprimée par cette statue centrale ait pu échapper complètement à ceux qui l´ont appréciée, et soit rapportée à la domination masculine, en dit long sur leur faible capacité de jugement. Ces gens-là ne savent pas regarder. (...) Et le trouble qu´elle suscite vient autant de cette figure d´homme âgé, déshabillé physiquement et moralement, que de la nudité de ces jeunes femmes délicieuses, qui peuvent certes réveiller des émois... mais aussi la fureur de certaines féministes d´aujourd'hui. Voilà donc l´oeuvre de ce sculpteur des âmes comme l´avait appelé la critique (Richard DUPIERREUX, NdR ) ramenée à l´autoportrait d´un vieux dégueulasse.
Une pétition pour le classement a été lancée par l´Union professionnelle des guides et médiateurs culturels de Belgique le 6 janvier 2025 : elle remarque que "l´oeuvre n´a jamais suscité aucun débat ni aucune polémique auprès des visiteurs belges ou étrangers" et s´inquiète de son sort en cas de déplacement : "nous savons tous, hélas, comment cela se termine pour les œuvres démontées et stockées 'en vue de', alors veut-on que cette œuvre finisse comme la Maison du Peuple (de Victor HORTA, NdR)?"
La pétition peut être signée sur le site www.change.org
(malheureusement administré en anglais!).
