Huit ans plus tard, une jeune fille maigre et pâle fut arrêtée par la police devant la maison d'une vieille dame paniquée à qui elle avait demandé d'appeler la police pour l'aider à échapper à son ravisseur, dans un autre quartier de la capitale autrichienne.
Elle raconte aujourd'hui ce qu'elle a vécu entre ces deux dates, l'histoire d'une détention dans des conditions atroces sous la coupe d'un malade mental.
L'enlèvement
Le ravisseur l'a empoignée par la taille et poussée avec son cartable à l'arrière d'une camionette blanche, alors qu'elle marchait vers son école en passant par une rue peu fréquentée.
Elle se souvient avoir voulu crier mais qu'aucun son n'était sorti de sa gorge. Elle pense s'être débattue puisqu'elle avait un oeil au beurre noir le lendemain, mais ne se souvient pas avec précision du déroulement précis de la scène.
Ensuite la camionnette démarre et se rend à un mystérieux lieu de rendez-vous dans une forêt de pins, où il a prétendument rendez-vous avec des «autres» qui ne se manifesteront jamais et à qui la petite fille aurait prétendument dû être livrée, d'après son ravisseur.
Comme on parle beaucoup à l'époque dans les médias d'enfants enlevés qui ont été violés et assassinés, elle lui demande si «on va abuser d'elle», mais il répond heureusement «qu'elle est beaucoup trop jeune pour ça» et qu'il «ne ferait jamais une chose pareille» (p. 53).
Il la conduit alors dans le garage d'une maison où, enroulée dans une couverture serrée qui l'étouffe presque, il la porte dans une cave sans fenêtre.
Le cachot
Il s'agit d'une pièce de cinq mètres carrés environ, qui sent le moisi. Un ventilateur fait un vacarme assourdissant. Au début de sa détention, elle dormira sur un matelas posé par terre, plus tard le criminel lui construira un lit en mezzanine. La pièce comporte un WC sans porte et un lavabo. L'éclairage provient d'une simple ampoule, qu'il allume depuis l'extérieur quand il le juge bon, en général de 7h du matin à 20 heures précises, sauf quand il veut la punir et la laisse plusieurs jours dans l'obscurité totale.
Plus tard, lors de sa première sortie pour se rendre avec lui dans le reste de la maison, six mois après son enlèvement, elle constatera que l'accès à son cachot se fait par un boyau où l'on ne peut pas se tenir debout, qui se termine, après deux portes en bois, par une lourde porte en béton armé scellée par une barre de fer et cachée derière un bahut, pratiquement impossible à découvrir. Dans la mesure où personne d'autre que le criminel ne sait qu'elle se trouve à cet endroit, s'il arrive quoi que ce soit à cet homme lors de ses activités à l'extérieur, elle sera «enterrée vivante» (p. 140).
L'enfant sera l'objet de coups violents portés sur toutes les parties du corps. Il ne s'agit pas de punitions organisées mais plutôt de gestes impulsifs de colère lorsque son comportement n'est pas conforme à ce que le ravisseur aurait souhaité, par exemple si elle a parlé sans y être invitée par lui.
Elle est souvent affamée car le geôlier économise la nourriture. Une fois sa peau devient toute jaune car elle doit se nourrir exclusivement de carottes crues pendant plusieurs jours. Avec ce traitement la gamine boulotte devient très maigre, avec un indice corporel en-dessous de la limite où l'on risque de mourir de faim, jusqu'à ce que le criminel décide de la remplumer jusqu'à ce qu'elle ait «assez de forces pour travailler» (p. 221).
Motifs
Mais quelle est la motivation du ravisseur? Au contraire de l'affaire Dutroux, il ne fera pas de sa captive un objet sexuel, mais plutôt un objet tout court.
Lors de son arrivée dans l'horrible cache, il la regarde «comme un fier propriétaire contemple son nouveau chat – ou pire encore : comme un enfant regarde son nouveau jouet. En s'en réjouissant à l'avance, mais en se demandant quand même un peu ce qu'il va pouvoir en faire» (p. 58).
En sa présence, elle doit se tenir en permanence à une distance maximum d'un mètre de lui. Il ne supporte pas qu'elle s'isole, même quand elle va aux toilettes, la porte doit rester ouverte. Il installe un interphone dans la cache afin d'être au courant de ses moindres faits et gestes. Lors de ses nuits d'insomnie causées par la sinusite, elle doit lui raconter interminablement toutes ses activités de la journée.
Mais l'homme s'est également procuré de la main d'½uvre gratuite: elle doit faire le ménage et nettoyer, briquer les carreaux et le sol de la cuisine jusqu'à ce que l'on y décèle plus la moindre miette, ni une trace de chiffon. Pour le vérifier, elle devait se coucher par terre!
L'enfant sera par ailleurs utilisée comme une bête de somme pour les travaux de rénovation d'une partie de la maison.
Manipulation
Natascha Kampusch est fière aujourd'hui d'avoir été capable de résister sur certains points à son geôlier. Elle refusera par exemple de l'appeler «Maestro» comme il l'aurait souhaité.
Elle n'a jamais réellement cru à ses allégations selon lesquelles ses parents avaient refusé de payer une rançon parce qu'ils ne souhaitaient pas la récupérer, ou qu'ils ne l'aimaient pas.
Par contre, elle croyait fermement à ses avertissements selon lesquelles les portes et fenêtres de la maison étaient piégées et exploseraient si elle tentait de les ouvrir, ou bien que son ravisseur tuerait toute personne à qui elle s'adresserait pour demander de l'aide.
Le criminel tente de la persuader qu'il lui a sauvé la vie, il clame qu'elle est sa création. Pour gommer toute référence à son passé, il lui impose de changer de prénom (c'est elle qui doit se choisir un nouveau prénom). Elle résiste à cette manipulation et dessinera même son arbre généalogique sur un des murs de sa cellule, pour se rappeler qu'elle est membre d'une famille.
Natascha Kampusch estime aujourd'hui qu'il avait malgré tout réussi à l'enfermer dans une prison mentale telle qu'elle n'envisageait plus de pouvoir mener une autre vie. Cela provoquait un désespoir tel qu'elle commit deux tentatives de suicide, une fois en s'ouvrant les veines et une autre fois en provoquant un dégagement de fumée dans son petit réduit à l'aide des plaques de cuisson, avant de se raviser.
Activités
Comme Ingrid Betancourt dont nous avons évoqué la captivité le mois passé, dans des circonstances bien différentes, Natascha Kampusch doit trouver des activités pour occuper ses journées de captivité, en particulier les week-end pendant lesquels il n'apparaît pas à cause de la présence de sa mère chez lui, qui ne doit être au courant de rien. Le criminel lui procurera un petit ordinateur muni de quelques jeux vidéo, puis une télévision et un magnétoscope avec des séries américaines, de quoi peindre, etc. Elle consacre chaque jour du temps à entretenir sa prison.
Comme Ingrid Betancourt dans sa jungle, la captive tient à confectionner pour les dates prévues des cadeaux pour ses proches avec les moyens du bord, comme ce présent pour la fête des mères composé de c½urs en papier coloriés découpés sans ciseaux et collés les uns aux autres à l'aide de crème Nivéa qu'elle s'imaginait offrir à sa maman… une façon de garder contact avec ses proches et avec le rythme du temps qui s'écoule.
Syndrome de Stockholm
Natascha Kampusch prend position fermement dans son livre contre l'application automatique du concept de syndrome de Stockholm à ce qu'elle a vécu de positif par rapport à son agresseur. Selon ce concept psychologique, nommé suite à la réaction des victimes d'une prise d'otages en 1973 dans une banque de la capitale suédoise qui avaient pris fait et cause pour les bandits, ressentir des sentiments positifs par rapport à ceux qui vous privent de liberté est simplement pathologique. Elle estime que personne n'est entièrement mauvais, que la réalité même dans les situations extrêmes, n'est pas en noir et blanc mais composée de subtiles gradations. Elle affirme: «En le voyant comme un être humain avec une face très sombre et une face très claire, je pouvais rester moi-même un être humain, et il ne pouvait plus me briser» (p. 206).
Pour elle, la société, qui n'accepte pas cette vision des choses, se sert de cas spectaculaires comme le sien pour «ne pas avoir à regarder dans toutes ces maisons où la violence montre son visage lisse et bourgeois», pour «se décharger de la responsabilité des crimes quotidiens commis sur des victimes anonymes que l'on n'aide pas – même si elles réclament de l'aide» (p.208).
La fin
Profitant du premier moment de sa détention où le ravisseur, distrait par un appel sur son portable, l'avait quittée des yeux alors qu'elle devait passer l'aspirateur dans sa camionette au jardin, elle réussit à s'enfuir. Comme elle l'avait prévu, l'homme se suicida le jour même, en se jettant sous un train.
Son livre, qui se lit comme un roman, provoque, comme celui d'Ingrid Betancourt, un sentiment d'admiration par rapport à son courage, sa résistance, la structuration de sa personnalité qui lui ont permis de résister à cet enfer et de s'en sortir la tête haute.
Bien que l'enquête à propos de l'enlèvement ait présenté de sérieux dysfonctionnements, cette affaire n'a pas provoqué une remise en cause des mécanismes politico-judiciaires comparable à celle qui, en Belgique, suivit l'affaire Dutroux.