?> LOI SUR L’HEBERGEMENT: PARTAGE ESPOIR OU MIROIR ?
LOI SUR L’HEBERGEMENT: PARTAGE ESPOIR OU MIROIR ?

Banc Public n° 156 , Janvier 2007 , Kerim Maamer



Le divorce, quasi inexistant au XIXe siècle, atteint 5% des mariages en début de XXème  siècle. Déjà, des voix se sont élevées contre ce fléau social et ses conséquences pour les enfants. Dans les années ‘70, il atteint 10%; on parle de crise de la famille, d’éclatement du modèle nucléaire, de montée des individualismes. On dénonce le détricotage de la famille, la perte d’identité qui en découle. Les curés, les psys se battent pour préserver ou réhabiliter les liens familiaux.  Le divorce continue à augmenter pour atteindre deux tiers des mariages en 2002.Les pays européens connaissent une même évolution croissante des divorces. La France, la Belgique, les Pays-Bas ont une progression statistique assez proche. Au cours des années ‘90, l’accélération est plus marquée en Belgique. La France et les Pays- Bas atteignent les taux de divorce de 1,9 ‰ et de 2,1‰Â  en 2002 (moyenne européen­­ne de 1,8 ‰) tandis que la Belgique grimpe subitement à 3‰ pour devenir « champion européen» (*).

 


«L’accélération belge» suscite des interrogations. Il est particulier d’observer comment un pays à tradition conservatrice ait pu évoluer de cette manière ! La forte croissance du divorce interpelle car les conséquences sont profondes. Les situations d’éclatement familial, de séparations très conflictuelles, d’éviction parentale et de leur corollaire d’abandon familial, de «dépaternalisation», de violence… ont atteint des proportions nouvelles dont les conséquences n’ont pas été identifiées ou évaluées. Interpellés par ces excès, les politiques ont perçu la nécessité de répondre à cette hémorragie sociale qui décime tant de familles, qui mine tant d’enfants. Des états-généraux de la famille ont été organisés. Les intervenants de la société civile ont conduit des réflexions menant, à un projet, puis à une loi.

La Loi sur l’hébergement partag

La Loi du 18 juillet 2006 définit le principe de l’hébergement égalitaire en tant que modèle de référence. L’accord entre parents est certes privilégié. A défaut, le principe égalitaire s’appliquerait, sauf contre-indication concrète. Le juge peut s’écarter du modèle pour des raisons qu’il devra motiver. La loi n’est pas rétroactive et concernera les litiges nouveaux.
Jusqu’à présent, lorsqu’il s’agissait de définir les modalités d’héberge­ment des enfants, les parents n’étaient pas égaux devant un juge. La situation était particulièrement inégalitaire en période de conflit. Pour se prémunir de l’égalité s’est profilé un intérêt à maintenir une difficulté relationnelle. Une dérive accusatrice et conflictuelle s’est développée dans la pratique. Pour défendre la partie requérante, l'avocat trouvait un intérêt stratégique à démolir l’image de l’autre, à amplifier jusqu’à l’absurde des aspects intimes et personnels, sans témoins et sans contradiction possible. Un type de dialectique qui a affecté et désarmé tant de justiciables non habitués à ces procédures.

Les parlementaires se sont accordés pour réaffirmer les principaux fondements du droit : l’égalité entre parents,  la neutralité de l’Etat par rapport à leur conflit, l’obligation de poursuivre une parentalité respon­sable après divorce. Le législateur ne prétend pas que le modèle est idéal et ne cherche pas à l’imposer. Si idéal il y a pour l’enfant, c’est d’avoir des parents unis «pour le meilleur comme pour le pire». Lorsque le pire arrive, la préférence va pour les parents responsables qui organisent leur séparation et le mode d’hébergement.

Si les parents « ne parviennent pas » ou « ne veulent pas » trouver d’accords, le principe égalitaire prévaut. Peu importe que le désaccord soit dû à une stratégie malicieuse, au refus de contact, de médiation, à l’absence de volont… La collectivité n’accepte plus de cautionner une forme de déresponsa­bilisation. Les juges n’ont ni le temps, ni les moyens de se dépenser à tenter d’apprécier les détails d’une situation au risque de soutenir un parent aux dépens de l’autre. L’Etat affirme son principe de neutralité et épargne aux juges de se noyer dans une masse d’informations qui vise à leur faire perdre de vue l’essentiel d’une relation parentale.

Quelle force de loi ?

La présente norme égalitaire ne s’impose pas de manière stricte. Il est dit que le conflit ne pourrait justifier un écartement au principe égalitaire ; il est aussi accordé au juge de s’écarter du modèle, pour des raisons prétendues relatives à l’intérêt de l’enfant… Les excep­tions peuvent être liées à l’âge de l’enfant, à la distance, et à d’autres aspects à apprécier par le juge. Elles affaiblissent la règle. De notre point de vue, la seule exception acceptable est lorsqu’un parent ne veut pas, ou ne peut pas s’occuper de l’enfant. La loi perd de sa force et le juge peut encore faire ce qu’il veut bien faire, en fonction de ses desiderata, des plaidoiries, de son appréciation, etc. En fin de compte, avec ou sans la loi, le juge fait ce qu’il veut! Certains (rares) juges n’ont pas attendu la loi pour décréter un hébergement égalitaire, en dépit du conflit. De même, les juges pourront s’éloigner du modèle à des conditions qu’ils devront motiver. L’exercice n’est pas bien difficile. Ceux qui lisent régulièrement les jugements savent combien les motivations peuvent être farfelues.

De nombreux pays observent avec admiration cette avancée du droit en Belgique. Il n’est que la juste conséquence de nos excès. Le législateur a essayé de réduire cette hémorragie des divorces conflictuels. La loi parait positive, laisse une inspiration de bonne volonté. En réalité, elle est encore insuffisante tant une remise en cause profonde du système familial est nécessaire. Le droit n’est probable­ment pas le seul moyen, ni le meilleur moyen de résoudre les conflits conjugaux. Le pouvoir législatif a établi depuis longtemps les règles d’un jeu avec un gagnant… et donc un perdant! Un parent serait meilleur. L’autre serait donc plus mauvais ! Si l’un est présenté en victime, l’autre est nécessairement coupable ! Le système a renforcé ce postulat que dans un divorce, un époux est supérieur à l’autre. Lorsque cette perception est affirmée avec le sceau de l’Etat, elle produit un sentiment d’injustice et une atteinte à notre sens inné de la justice. La rupture mal vécue affecte dangereusement la santé physique, psychique et économique des ex-conjoints. Les services d’assistance et de santé  sont appelés à s’occuper de plus en plus de ces situations, tentant, vaille que vaille, d’apaiser les souffrances qui en résultent, au lieu de les prévenir.

C’est l’accord des parents qu’il faut privilégier et imposer ; que les parents s’entendent sur leurs apports, les complémentarités, leurs responsabilités  d’entretien et d’organisation de leur vie familiale dans son éclatement. L’Etat devrait favoriser les structures d’aide pour qu’elles contribuent à trouver les arrangements nécessaires. Mais l’Etat ne le fait pas.

La loi accorde au juge l’autorité pour apprécier une situation familiale mais il ne lui donne pas les moyens de l’appréciation. Il accorde la fonction de réaliser des décisions mais il ne lui donne pas les moyens de construire cette décision. Il privilégie l’accord entre les parents mais ne favorise pas les structures d’aide pour définir les arrangements. Dans ces conditions… s’il est facile de « trancher », est-il aisé d’apprécier objectivement une situation familiale ? Appartient-il au juge de résoudre au mieux les problèmes conjugaux ? Si on attendait des avocats qu’ils contribuent à des négociations d’infortune entre les couples, ils rétorqueraient avec un brin d’ironie, qu’ils ne sont pas « assistants sociaux » ! Dans ces conditions, n’y aurait-il pas erreur d’adresse lorsqu’on se présente devant la justice pour résoudre des conflits conjugaux?

 

Kerim Maamer

     
 

Biblio, sources...

(*) Danemark, 2,8, Royaume Uni 2,6 Allemagne 2,4. Moyenne inférieure, Espagne 1,4, Grèce 1,1‰. Bas Irlande, Italie, Pologne, Slovénie enregistrent des taux aux alentours de 0,7. Particularité de Malte, qui n’a pas de chiffres relatif au divorce car il y est interdit.

 

 
     

     
   
   


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