Les deux ouvrages résultent d’une collaboration entre la femme politique et un journaliste (masculin), mais ici le résultat est présenté sous la forme d’entretiens. On peut d’ores et déjà souligner la qualité du travail du scribe, actuel rédacteur en chef de la Libre Belgique, qui est parvenu à condenser une quinzaine d’entretiens de 3-4 heures en un court mais dense ouvrage de lecture agréable, où l’on reconnait aisément la manière de s’exprimer de cette femme politique bien connue. Dans les deux cas également, l’ouvrage traite à la fois de la vie personnelle et de la carrière politique.
Si dans l’article précédent nous avions émis une réserve sur la qualité (ou le défaut) de ‘‘fille de’’ dont se prévalait Jacqueline Galant, parce que son père n’avait pas une notoriété politique nationale, il est clair que ceci ne s’applique pas à la fille de l’homme politique de stature internationale que fut Paul-Henri Spaak. On peut même rappeler qu’Antoinette Spaak est aussi du côté paternel la petite-fille de Marie Janson, la première femme à siéger au Parlement belge, et l’arrière-petite-fille de Paul Janson, ténor libéral dont il avait été question également dans l’article du mois de février, qui avait milité pour le suffrage ‘‘universel’’ masculin et contre le droit de vote pour les femmes qui auraient prétendument voté comme leur confesseur le leur aurait indiqué. Ce fait négatif pour son aïeul n’est pas mentionné.
Comme Jacqueline Galant, Antoinette Spaak est venue en politique via son père. C’est sa filiation et sa proximité avec un homme actif dans la politique qui l’a introduite dans ce milieu, qui lui en a appris les mécanismes. Mais elle n’a commencé à faire elle-même de la politique qu’après son décès, et dans le prolongement du dernier combat qu’il avait mené pour le respect des droits des Francophones à Bruxelles. Mère de famille sans profession ayant arrêté ses études universitaires pour se marier, ses enfants étaient grands lorsqu’on lui proposa de s’engager au FDF en 1972. Elle en devint la première femme présidente d’un parti politique en Belgique en 1978, à cinquante ans.
Dans son activité politique, elle se décrit comme quelqu’un qui facilite les contacts et une certaine tenue dans les discussions entre les personnes. Elle n’a jamais exercé de fonction exécutive comme ministre, ni souhaité le faire, ayant constaté la charge que cela représentait dans le cas de son père. Elle a été députée belge, européenne puis bruxelloise, présidente de parti et négociatrice à ce titre d’accords gouvernementaux nationaux, présidente du Parlement de la Communauté française, et est ministre d’Etat.
Femme politique
Dans son cas, elle estime que le fait d’être une femme a été «un très grand avantage» en politique, sans «aucun désavantage».
Unique femme président de parti, on la «chouchoutait» (p.83). Pourtant, dans la suite de la réponse, elle rappelle l’affront subi lorsque lors de la longue crise politique de 2011 le roi Albert II a organisé une réunion de ministres d’Etat sans sélectionner aucune femme. Les quatre femmes qui portaient ce titre - Magda Aelvoet, Annemie Neyts, Miet Smet et elle-même- ont réagi de concert dans les médias.
Antoinette Spaak estime que le fait d’avoir eu une vie professionnelle très intéressante qui correspondait à ce qu’elle avait envie de faire lui permet de mieux vieillir que les autres femmes de son âge.
Républicaine
Antoinette Spaak est républicaine: pour elle, «appartenir à une famille ne peut donner automatiquement l’autorité nécessaire», «le système républicain est plus conforme aux règles de la démocratie» et les élections donnent des possibilités de changement (p.95).
Histoire familiale
Comme pour beaucoup de familles, l’histoire de la famille Spaak s’entremêle avec celle du pays et de ses mœurs. Plusieurs anecdotes figurant dans ce livre ont résonné avec nos souvenirs familiaux et d’histoire de Belgique :
Le père et la mère d’Antoinette Spaak provenaient respectivement d’un milieu laïc et catholique. Préalablement à leur mariage, la mère de la mariée avait exigé que le jeune couple rencontre un prêtre, qui avait exigé que le futur époux prenne l’engagement solennel d’élever ses enfants dans la religion catholique. Au moment où il allait accepter, sa fiancée répliqua «Il n’en est pas question !». Elle le prit par la main et ils s’en allèrent.
La grand-mère en question riposta quelques années plus tard en emmenant l’aîné des enfants se faire baptiser lors d’une promenade. Les promenades suivantes des autres enfants furent «fermement encadrées» (p.12).
Dans le même registre, mais en plus ancien, l’aïeul Paul Janson souhaitait être incinéré à son décès, ce qui n’était pas encore possible en Belgique en 1913. Un cortège funèbre le long duquel tous les réverbères avaient été crêpés de noir l’emmena de sa résidence (à l’actuelle place Janson) à la gare du Midi pour être enterré à Paris, porté par des travailleurs reconnaissants pour son action en faveur du suffrage ‘‘universel’’ et de l’instruction obligatoire.
Souvenirs de guerre
Après la guerre philosophico-religieuse, la guerre tout court. Il faut lire les passages où Antoinette Spaak relate l’arrestation par la Gestapo de sa maman, d’elle-même et de sa sœur, emmenées au siège de l’avenue Louise, alors que son père était en Angleterre avec le gouvernement belge, à la suite de l’arrestation à Bruxelles de l’épouse de son oncle qui était résistante. Les jeunes filles furent libérées, mais leur mère fut incarcérée cinq semaines à la prison de Saint-Gilles. Elle dit ne jamais avoir eu peur grâce au calme de sa maman, malgré qu’elles avaient entendu les cris de personnes torturées.
Un autre épisode se déroule un mois avant la fin de la guerre. Une femme se présentant comme la femme d’un rexiste téléphona à la mère d’Antoinette Spaak pour la prévenir qu’elle avait entendu lors d’une réunion qu’un commando rexiste s’apprêtait à venir la tuer ainsi que ses deux filles. Elles se rendirent dans un sous-sol dans une rue voisine où elles se cachèrent durant six semaines, jusqu’à la libération de Bruxelles. La grand-mère qui vivait dans le même immeuble entendit la sonnette juste après leur départ.
Paul-Henri Spaak
Une partie importante du livre concerne la vie et l’action politique de l’homme politique belge qui devint le premier président de l’assemblée générale de l’ONU, secrétaire général de l’OTAN, et signa pour la Belgique le traité de Rome fondant la Communauté européenne, vues à travers le prisme des souvenirs de celle de ses enfants qui développa également une carrière politique.
L’épisode de son décès alors qu’il avait repris une activité politique contre l’avis de ses médecins après une première alerte - lorsqu’elle le lui avait rappelé avant un meeting consacré à l’avenir de Bruxelles à la place Flagey en 1971, il lui avait répondu: «Que préfères-tu : me voir comme cela ou dans un fauteuil roulant ? »- est très émouvant.
Vivacité d’esprit
Dans ce livre, Antoinette Spaak raconte les événements politiques qu’elle a vécus en tant que spectatrice puis actrice dans le style concis auquel elle nous a habitués. Elle estime avoir eu une vie privilégiée. Si à l’époque (en 1978 !) ce fut «comme si E.T. devenait président de parti» (p.48), on se rend compte au fil des pages qu’elle continue à vivre la politique. Il faut calculer pour s’apercevoir qu’elle a 88 ans.