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Les affaires sont les affaires(7): Aspects politiques des OGM
Banc Public n° 171 , Juin 2008 , Frank FURET
Des débats fortement médiatisés se développent aujourd’hui pour vanÂter les mérites potentiels des OGM dans la lutte contre la malnuÂtrition et la faim: les OGM seraient indispensables pour augmenter la production alimenÂtaire et répondre aux besoins croissants de l’humanité dans un contexte de croissance de la population mondiale. Les multinaÂtionales semencières affirment aujourd’hui ½uvrer pour le bien de l’humanité et attaquent l’opposition aux OGM comme relevant d’un luxe de nantis. De récentes études semblent prouver que la prétention à présenter les OGM comme permettant un accroissement spectaÂculaire de la productivité, s’appaÂrente à une mystification. Même la très prudente OrganisaÂion des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), dans un rapport publié en mai, a estimé que "l'agriculture biologique a le potentiel de satisfaire la demande alimentaire mondiale, tout comme l'agriculture conventionnelle d'auÂjourd'hui, mais avec un impact mineur sur l'environnement." Alors pourquoi cette insistance de l’industrie agro-alimentaire?
Spéculations…
Pour les partisans d’une agriculture soutenable et équitable la crise mondiale actuelle est le résultat des aberrations de la politique agricole mondialisée: les pays du Sud ont été encouragés à se spécialiser dans l’agriculture industrielle et la monoculture afin de nourrir le bétail du Nord. Des pays comme l’Argentine ou le Brésil, par exemple, ont perdu leur autosuffisance alimentaire au profit de la monoculture de soja transgénique pour l’exportation. Cette culture intensive, cause de la déforestation et de bouleversements écologiques consentis au nom du profit a mené aux problèmes alimentaires actuels, les spéculateurs s’enrichissant par ailleurs à bon compte sur la hausse des prix agricoles qu’ils accélèrent par leurs man½uvres financières. Pour certains analystes, si rien n’est fait pour contrôler l’emballeÂment du marché, ces spéculateurs vont entraîner la formation d’une bulle artificielle sur le prix des denrées agricoles, ce qui aura pour conséquence à court terme d’affamer certaines populations et à moyen terme de ruiner les agriculteurs lorsque cette bulle spéculative éclatera en provoquant l’écroulement des prix.
Productivité discutable
A en croire ceux qui en font commerce, les plantes génétiquement modifiées devraient sauver de la faim les populations défavorisées; mais seuls augmentent les bénéfices de Monsanto et des spéculateurs. Alors que des appels se multiplient pour le recours massif à la technologie transgénique afin de «résoudre la crise alimentaire mondiale», de nouvelles études aux USA, démontrent que cette technologie controversée peut réduire le rendement des cultures, et viennent contrarier l’idée de passer aux OGM pour résoudre la croissance de la crise alimentaire dans le monde.
Une étude menée sur une période de trois ans à l’University of Kansas, épicentre de la ceinture agricole américaine, a découvert que le soja transgénique produit environ 10% de moins que son équivalent conventionÂnel. Ces résultats viennent contredire toutes les affirmations des défenseurs de la biotechnologie qui soutenaient que les OGM augmentaient les rendements. Une autre étude réalisée par l’University of Nebraska a découvert que les semences de soja de Monsanto produisaient 6% de moins que leur équivalent conventionnel, et que la différence allait jusqu’à 11% en comparaison avec les meilleures graines à haut rendement disponible sur le marché. Même l’USDA, le Ministère de l’Agriculture américain, connu pour son soutien aux biotechnologies, reconnaît une baisse du rendement des récoltes.
Les deux universités s’accordent sur le fait que ce serait la modification génétique qui aurait pour effet secondaire de réduire la productivité de la plante. Les cultures de coton génétiquement modifié auraient égaleÂment décliné au fur et à mesure que la technologie transgénique prenait le dessus. Monsanto a reconnu sa surprise face à l’envergure du déclin de productivité révélé par l’étude du Kansas mais n’a pas nié le fait qu’il existe une différence de rendement des récoltes. L’entreprise a déclaré que son soja n’avait pas été élaboré pour augmenter les récoltes mais qu’elle travaillait actuellement au développement d’une nouvelle espèce à haut rendement. Les critiques doutent que ce soit réalisable car cela exigerait des modifications génétiques beaucoup plus complexes.
La plus grande étude réalisée à ce jour sur le sujet des rendements agricoles, qui a été menée par l’International Assessment of Agricultural Science and Technology for Development et soutenue par l’ONU, a conclu que les OGM ne pouvaient pas résoudre la pénurie alimentaire actuelle. LorsÂqu’on lui a demandé si les OGM pouvaient être la solution contre la faim dans le monde, le professeur Bob Watson, le directeur de l’étude mais aussi scientifique en chef pour le Department for Environment, Food and Rural Affairs (Ministère anglais), a dit que la «réponse est simple, c’est non».
Dépendance alimentaire
Les partisans des OGM mettent en avant le fait que ces produits consÂtituent peut être le seul moyen pour les pays en voie de dévelopÂpement de mettre fin à la famine et à la dépendance alimentaire. Mais, nonobstant les défauts de sincérité précédemment constatés dans le chef des marchands d’OGM, la logique et la prudence incitent à s’interroger: les OGM ne seraient-ils pas, au contraire, une arme de dépendance alimentaire absolue? Il y a une quinzaine d’années, John Block, secrétaire d’Etat américain à l’agriculture déclarait: «notre meilleure arme, c’est l’arme alimentaire».
Et les OGM risquent d’instaurer la dépendance alimentaire envers les entreprises détentrices des brevets sur les OGM. Accepter les OGM, c’est se livrer pieds et poings liés aux multinaÂtionales détentrices des brevets. Les variétés transgéniques ne favorisent ni la capacité de production des populaÂtions pauvres, qui ne peuvent acheter tous les ans les semences améliorées et les engrais, ni leur solvabilité. Et la faim est le résultat du fonctionnement normal de l’économie de marché, dans lequel la nourriture va à ceux qui ont les moyens de la payer, théorie partagée par l’économiste prix Nobel Amartya Sen. Les OGM, technologie des pays riches, pourraient donc renforcer la dépendance alimentaire des plus pauvres et la faim dans le monde, et n’être qu’un moyen de plus de soumettre les nations à la globalisation des économies, en instaurant la dépendance agroalimentaire et en imposant l’uniformisation des organismes vivants, notamment ceux produits à des fins agroalimentaires.
Recul des cultures vivrières
Le modèle transgénique est le dernier maillon d’un modèle de production intensif, fondé sur un “paquet technologique” qui comprend non seulement les semences et l’herbicide, mais aussi toute une série d’intrants, comme les engrais ou les insecticides, sans lesquels il n’y a pas de rendement, et qui sont vendus par des multinationales du Nord aux pays du Sud. C’est pourquoi certains parlent de seconde révolution agricole: la première, celle des années d’après-guerre, avait été pilotée par les organismes agronomiques nationaux et visait à développer les capacités agroalimentaires des pays en s’appuyant sur la classe paysanne; la seconde est impulsée par des intérêts supranationaux et conduit à un modèle agricole tourné vers l’exportation.
Les producteurs locaux de cultures de subsistance (dites cultures vivrières) ne peuvent concurrencer les importations subventionnées. Les marchés locaux s’écroulent, les revenus des ménages diminuent et les investissements dans les systèmes agricoles déclinent, renforçant ainsi l’inadéquation entre la production locale et la demande.
La pauvreté ou la richesse d’une nation ne peut être le seul indicateur de sécurité alimentaire. Il existe en effet de fortes inégalités dans un même pays dans les modes de production agricole et dans l’accès à la nourriture. En Argentine, la culture massive du soja transgénique a entraîné une baisse de la production des cultures nécesÂsaires à l’alimentation des Argentins. Ainsi de 1996 à 2002, le nombre d’exploitations laitières a diminué de 27%, et pour la première fois de son histoire l’Argentine a dû importer du lait de l’Uruguay. Pour cette même période, l’Argentine a vu sa producÂtion de riz diminuer de 44%, celle du tournesol de 34%, celle de la viande porcine de 36%. Les prix des produits de consommation de base ont flambé: en 2003 le prix de la farine a augmentée de 162%, celui des lentilles de 272%, celui du riz de 130%. Au Brésil, les firmes multinationales possèdent plus de terres que l’ensemble des agriculteurs brésiliens. Ces terres sont surtout utilisées pour cultiver des cultures de rente pour l’exportation. Le Brésil est le quatrième exportateur mondial de produits agricoles, mais 40% de la population brésilienne souffre de sous-alimentation…
Les variétés transgéniques ne semblent pas avoir été conçues pour les petits producteurs, mais pour les objectifs et modes de production des producteurs les plus nantis. En effet, la sécurité alimentaire de près d’un milliard et demi de ruraux est basée sur une agriculture paysanne produisant une grande diversité de cultures et de variétés sur de petites parcelles. La sélection à la ferme, la conservation des semences fermières et l’échange des semences dans la communauté et entre communautés sont des pratiques usuelles qui diffèrent des systèmes de production industrielle.
Technologie et contrôle
Les champs de culture traditionnelle sont à terme contaminé par le croisement avec les plants d’OGM. À partir de ce moment-là le propriétaire du champ traditionnel contaminé par des OGM n’est plus propriétaire des semences produites sur son champ. Les compagnies sont propriétaires des semences OGM puisqu’elles disposent de brevets sur ces OGM.
Les semences anciennes sont fertiles sans limites, elles produisent à leur tour des semences fertiles qui permettent à leur possesseur d’être en autosuffisance alimentaire - lui et ses descendants - sans limite dans le temps. Alors qu’avec les semences OGM, l’agriculteur est contraint de racheter au lobby agroalimentaire chaque année des semences qui ne se reproduisent pas.
Le marché des semences génétiqueÂment modifiées s’est considérablement développé ces dernières années, malgré une opposition publique grandissante à la diffusion des plantes transgéniques et à la commerÂcialisation d’aliments génétiquement modifiés. Peu à peu s’érige un oligopole de firmes multinationales qui domine le marché des semences transgéniques. La diversification de leurs activités tend à une plus grande intégration des filières et à un meilleur contrôle de toute la chaîne alimentaire depuis les semences jusqu’au consomÂmateur. Ces monopoles, en devenant incontournables pour produire comme pour commercialiser, vont menacer ce qu’il reste d’autonomie aux agriculÂtures paysannes. Et en poussant à la généralisation des OGM, le lobby agroalimentaire vise à instaurer un marché captif où il aurait le monopole du patrimoine génétique agricole.
Du végétal à l’animal…
Les États-Unis vont par ailleurs peut-être bien accorder un brevet à  Monsanto sur des séquences d'ADN de porcs, une décision qui pourrait avoir un effet boule de neige dans les 159 pays où des demandes pour un brevet similaire ont été déposées. L'enjeu est de taille: une grande partie des cochons possède naturellement la séquence d'ADN sur laquelle Monsanto rêve de mettre la main. Une aubaine pour cette multinationale, qui pourrait obliger les agriculteurs du monde entier à lui verser des redevances pour des animaux conçus naturellement.
Frank FURET |
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Biblio, sources...
«Opinion: l’agriculture a été sacrifiée sur l’autel du marché», par Laurent Pfaadt, fonctionnaire européen et essayiste, 27 mai 2008, Cap 21, 21 mai 2008 «Economie politique des OGM et leurs enjeux», Jean-Luc Cormier, www.passant-ordinaire.com «Les cultures transgéniques réussiront-elles à nourrir le monde?» www.infogm.org, mars 2002 «Le Monde selon Monsanto», Marie-Monique Robin, la Découverte-Arte éditions «L’introduction clandestine des OGM au Brésil et au Paraguay» www.combat-monsanto.org
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