?> Notre Terre qui êtes précieuse
Notre Terre qui êtes précieuse

Banc Public n° 291 , Mai 2021 , Catherine Van Nypelseer



L’Ancien Testament ainsi que des récits mésopotamiens du XVIIe siècle avant J.-C. font déjà référence à une catastrophe écologique, l’Arche de Noé, qui ne fut vraisemblablement pas de pure imagination.


 

Cette histoire «commence lorsque Dieu observe la méchanceté et la perversité des hommes, et décide de faire tomber un déluge sur la Terre pour y détruire toute vie, ‘’depuis l'homme, jusqu'aux bestiaux, aux bestioles et aux oiseaux du ciel’’. Un homme, Noé, trouve toutefois grâce aux yeux de Dieu, car il apparaît ‘‘juste, intègre parmi ses contemporains et il marchait avec Dieu‘‘. Il est choisi, dans ces conditions, pour survivre et perpétuer sa lignée. Dieu, pour cette raison, dit à Noé de construire une arche […]. ‘’Car encore sept jours et je ferai pleuvoir sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits et j'effacerai de la surface du sol tous les êtres que j'ai faits’’» (1). Ensuite, Noé devra y monter avec un couple de chaque espèce d’animal, des vivres, et toute sa famille.

 

Donc la catastrophe a été prévisible (‘’sept jours’’) et une solution technologique efficace a pu être mise en œuvre pour sauver un seul couple de tous les animaux du monde (humains inclus).

Cette manière de penser qu’il existe des solutions techniques à tous les problèmes d’habitabilité de la Planète imprègne les pensées de nombre de décideurs - parmi ceux qui ont compris au moins une partie des catastrophes en cours, comme le réchauffement climatique. On peut également associer cette histoire avec la solution proposée par les défaitistes ‘’constructifs’’ qui proposent d’envoyer quelques humains pour un long voyage dans l’espace vers une autre planète à coloniser -Plan(ète) B- pour sauvegarder l’animal humain une fois que ses contemporains auront achevé de détruire celle-ci.

 

Ce fantasme pourrait apporter une solution inconsciente à leur angoisse : les puissants de ce monde comme des chefs d’Etat ou de grandes entreprises s’imaginent peut-être qu’ils feront partie des quelques ‘’élus’’ à ce long voyage, ou qu’ils contribueront, en soutenant ces projets, à la préservation de la race humaine, à qui l’éventualité de sa disparition est insupportable.

 

Inconscience et bêtise

 

Mais plutôt que la ‘’méchanceté’’ et la ‘’perversité’’, ceux qui détruisent notre planète –nous-mêmes y compris - n’en ont pour la plupart pas conscience. Il n’est pas méchant, le bucheron qui coupe à blanc à l’aide d’engins de chantier une surface de la riche forêt amazonienne. Il n’est peut-être pas instruit des publications scientifiques qui ont établi que chaque mètre carré de forêt tropicale primaire, c’est-à-dire non plantée par l’homme, contient un arbre d’un type différent de la parcelle voisine. Cela n’a donc rien à voir avec nos uniformes forêts européennes: des milliers d’espèces de végétaux et d’animaux sont ainsi perdus, sans doute à jamais.

 

«La surface de forêt vierge tropicale détruite en 2020 est équivalente à la taille des Pays-Bas : des arbres envolés en fumée ou abattus par les êtres humains à un rythme toujours plus élevé, malgré la crise économique liée au Covid-19. Le rapport annuel du Global Forest Watch, basé sur des données satellite, a ainsi enregistré la destruction en 2020 de 4,2 millions d’hectares de forêts primaires tropicales, cruciales pour la biodiversité de la planète et le stockage du carbone (…)» (2).

 

Consommateurs

 

J’écrivais ci-dessus «nous-mêmes y compris», car la plupart des destructions visent à satisfaire les besoins de consommateurs. Sur les terrains rasés, on plante des prairies et des cultures pour nourrir notre bétail, des caféiers, des cacaotiers, des hévéas pour le caoutchouc de nos pneus ; 

les excavations ravagent les sols pour en extraire nos combustibles ou les métaux rares ou communs dont nous avons besoin pour que les industriels puissent produire nos voitures, nos appareils électroniques et leurs batteries…

 

Comme dans la chanson de Jacques Dutronc, nous y pensons (beaucoup d’entre nous ont pu prendre connaissance de ces informations), puis nous l’oublions, parce que nous sommes dans une société où cette consommation est habituelle et valorisée, et procure les emplois dans la fabrication et la vente dont nous avons besoin pour rester intégrés à cette société dite ‘’de consommation’’.

 

Ça fait trop mal d’y penser

 

Nous l’oublions également parce que cela fait trop mal d’y penser, comme est douloureux notre sentiment d’impuissance devant la tâche gigantesque et paraissant insurmontable d’arrêter ce rouleau destructeur (dans l’article précité, on mentionne que la surface de forêts tropicales détruites a augmenté de 12% l’année passée!).

 

En effet, il est frappant de constater la disproportion entre les soins minutieux et l’intérêt suscité chez beaucoup de concitoyens pour le sauvetage d’un seul animal maltraité ou accidenté près de chez nous, et l’indifférence pour la mort dans des conditions atroces de millions d’animaux par exemple dans les mégafeux en Australie l’année passée – au point que l’on envisage à présent la disparition d’une espèce endémique comme les koalas.

 

ECOLOS

 

Au moment de pouvoir exercer une influence par un vote, on croit pouvoir exprimer une préoccupation pour la protection de la nature avec un vote écologiste.

 

Mais peut-être que les sujets qui font mal à penser ne procurent pas non plus de bons résultats électoraux, et voilà que les ECOLOS belges francophones se distinguent à présent par des prises de position polémiques sur le voile islamique, qui n’ont rien à voir avec leur ‘’core business’’ environnemental, sur lesquels on ne les entend guère.

 

Si l’on pense aux dangers qui menacent à court terme l’ensemble de la vie s’étant développée sur cette planète, on peut comparer ce type de débats aux célèbres discussions sur ‘’le sexe des anges’’ pendant le siège de Constantinople en 1453. Cette expression fait référence au fait que, pendant l’assaut du sultan turc contre la deuxième capitale de l’Empire romain (qui avait survécu plus de mille ans à la première), les religieux chrétiens et les courtisans du dernier empereur continuèrent à se disputer à propos du sexe des anges, facilitant la prise de la ville; l'expression désigne des disputes disproportionnées par rapport à leur enjeu, ou des débats «sur des questions futiles occultant un problème plus important » (3).

 

Les 9 Limites (Collapsus)

 

Dans le livre « Collapsus », ouvrage collectif dont nous vous parlions dans le Banc Public n°284 d’octobre 2020, il est rappelé dans le premier chapitre par Dominique Bourg neuf domaines dans lesquels il existe des limites physiques à ne pas franchir sur la Planète «pour préserver les conditions favorables à l’épanouissement de l’humanité et des autres espèces :

1) le changement climatique,

2) l’intégrité du vivant […],

3) les perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore liées à nos activités agricoles,

4) l’usage des sols,

5) l’acidification des océans,

6) la déplétion de l’ozone stratosphérique,

7) les aérosols atmosphériques,

8) l’usage de l’eau douce et

9) la pollution chimique par l’introduction de nouvelles entités inconnues du vivant.»(p.22)

 

Youth for Climate

 

Une autre erreur ou ‘’perversion’’ serait de laisser ce combat aux jeunes, sous prétexte que ce serait seulement de leur avenir qu’il s’agit. Tous ceux qui ont encore quelques années à vivre sont concernés par les dégradations qui s’accélèrent et risquent, en cas de franchissement de seuils irréversibles, de modifier fondamentalement à court terme l’environnement physico-chimique dont nous avons besoin pour vivre.

 

Au contraire de cette lâcheté, nous devrions nous mobiliser tous pour stopper la machine à détruire, appliquer les solutions déjà connues et en rechercher de nouvelles.

 

La grave crise du Coronavirus a montré d’une part un exemple de calamité nouvelle générée par les activités humaines, mais d’autre part que des changements gigantesques de comportements en un délai de quelques jours et à l’échelle mondiale sont possibles, alors que nous croyions le contraire.

Utilisons l’énergie morale que nous avons emmagasinée comme un ressort pendant l’inaction forcée du confinement pour prendre en nos mains l’avenir de notre Planète, et surtout ne pas laisser tout recommencer comme avant

Catherine Van Nypelseer

     
 

Biblio, sources...

 

  1. Arche de Noé’’, Wikipedia, consulté le 14 mai 2021

  2. Déforestation – Forte hausse de la destruction de la forêt vierge tropicale en 2020’’, liberation.fr, 31 mars 2021

  3. linternaute.fr

 
     

     
   
   


haut de page

Banc Public - Mensuel indépendant - Politique-Société-environnement - etc...
137 Av. du Pont de Luttre 1190 Bruxelles - Editeur Responsable: Catherine Van Nypelseer

Home Page - Banc Public? - Articles - Dossiers - Maximes - Liens - Contact