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ARBRES ET SANTÉ

Banc Public n° 286 , Décembre 2020 , Catherine Van Nypelseer



En ce triste temps de l'épidémie mondiale de coronavirus, qui déforme nos relations humaines en faisant de chaque congénère un danger potentiel de contamination, le dernier livre du célèbre ingénieur forestier allemand Peter Wohlleben "L'Homme et la nature" (*), qui nous parle des relations entre les humains et les arbres, apporte une bouffée d'air frais.


 

Il n'y a en effet aucune raison de limiter les contacts avec la forêt, où nous ne risquons nullement de contracter ce virus mortel, bien au contraire même puisque ce contact avec la nature augmente notre résistance aux infections…

 

Dans la lignée de son premier ouvrage, "La vie secrète des arbres", qui fut un "best-seller" mondial (voir Banc Public n°264, février 2018), il aborde de manière à la fois scientifique, personnelle et exaltante de nombreux sujets, induisant chez ses lecteurs l'envie de se promener dans les bois.

 

Comme d'habitude, une sélection seulement de ces sujets seront abordés dans votre Banc Public.

 

Le cœur des arbres

 

Depuis son premier livre, Peter Wohlleben s'interroge sur le mécanisme qui permet à l'eau de s'élever dans les arbres. Les différentes hypothèses envisagées, comme l'évaporation ou la capillarité ne permettent pas d'expliquer ce phénomène.

 

Ici, il nous présente une nouvelle découverte.

Un scientifique hongrois, András Zlinsky, a d'abord observé que "les bouleaux semblaient dormir la nuit" (p.90): leurs branches "s'affaissaient d'une dizaine de centimètres" pour remonter au lever du jour. Intrigué, il mesura ensuite ces variations sur des arbres de différentes essences et découvrit que leurs branches montaient puis descendaient toutes les trois ou quatre heures.

 

Si l'on complète ce phénomène par les variations du diamètre du tronc observées par d'autres chercheurs, il pourrait s'agir d'un mécanisme de pompage, "l'équivalent d'un battement de cœur si lent que nous l'aurions ignoré jusqu'ici", le cœur n'étant donc pas un organe distinct, mais formé par l'ensemble de l'arbre.

 

Cette théorie scientifique nous a paru tellement poétique que nous avons souhaité la mettre en exergue.

 

Forêt et santé

 

Autre expérience scientifique menée par Peter Wohlleben lui-même, que chacun peut répéter: la marche en forêt, contrairement à la marche en ville, provoque un abaissement de la tension artérielle, s'il s'agit de feuillus, et une élévation de celle-ci s'il s'agit de conifères.

Cet effet, découvert dans les années 1970, serait dû aux effluves émanant des arbres qui communiquent entre eux, les conifères plantés non adaptés à nos régions échangeant "au moyen de messages chimiques à propos des attaques d'insectes et du manque d'eau dont ils souffrent"(p.148).

 

Mais les résineux ont d'autres qualités: le biologiste russe Boris Tokin avait montré dès 1956 que "les résineux désinfectent littéralement leur environnement. Aux alentours de jeunes peuplements de pins, il n'a pour ainsi dire trouvé aucun germe dans l'air. La cause se trouvait dans les arbres eux-mêmes, qui secrétaient des phytoncides, des antibiotiques végétaux" (p.149).

 

Pour Peter Wohlleben, "en vous promenant dans les bois, vous faites sans doute plus pour vos défenses immunitaires que vous n'en avez conscience: vous bénéficiez des mesures que prennent les arbres pour se défendre".

 

Arbres en ville

 

Ici, il est question d'une étude statistique américaine de grande ampleur de l'université de Chicago, basée sur des données de 30.000 habitants de la ville canadienne de Toronto.

Il s'est avéré que, même en ville, les arbres sont bons pour la santé: "quand il y a au moins dix arbres dans un quartier, l'état de santé de ses habitants s'améliore dans les mêmes proportions que lorsque leur revenu augmente de dix mille dollars (et que, en conséquence, les soins médicaux sont mieux assurés). Onze arbres supplémentaires dans le même périmètre favorisent la santé dans les mêmes proportions qu'une augmentation de revenu de vingt mille dollars, ses habitants bénéficiant alors d'un rajeunissement de leur âge biologique de 1,4 ans." (p.151)

 

Ce qui justifie amplement les multiples combats des citadins pour garder "leurs" arbres, auxquels le Gerfa a plusieurs fois fait écho (arbres de l'avenue Stiénon ou de l'avenue du Port, à Bruxelles).

 

Façadisme

 

La folle "économie" dont nous sommes, volontairement ou non, des rouages détruit les forêts comme le reste de la nature. Seules les réalisations humaines y ont une valeur.

 

Méga-incendies ou abattages volontaires ont atteint une ampleur sans précédent ces dernières années.

 

Peter Wohlleben attire notre attention sur une autre facette du problème, qui met en doute la prétendue protection de certaines forêts: des coupes à blanc sont réalisées en des lieux difficilement observables, en laissant subsister une mince bande de forêt visible depuis les rives. Les visiteurs croient alors admirer une forêt préservée, alors qu'il ne s'agit que d'un trompe-l'œil…

 

Il est par ailleurs stupéfiant de découvrir que les labels bien connus de certification du bois de consommation censés protéger la nature comme FSC(1) ou PEFC(2) certifient du bois issu de coupes à blanc de forêts primaires ! C'est ce que notre auteur a pu observer en visitant la région du parc national suédois de Fulufjället, où se trouve un épicéa dénommé Old Tjikko, qui est considéré comme le plus vieil arbre du monde, 9.950 ans (p.229).

 

Les mots et la forêt

 

Nous qualifions de forêts "les tristes plantations d'arbres de même âge, souvent d'essences non indigènes. Notre administration forestière craint le terme de plantation comme le diable, l'eau bénite. En user révélerait au profane combien la nature authentique est rare autour de nous"(p.143).

 

Pour Peter Wohlleben, il conviendrait de réserver le terme de "forêt" aux forêts sauvages.

 

En matière de terminologie, l'ouvrage nous fait faire des découvertes intéressantes sur l'origine des mots. Par exemple, en allemand, comme en néerlandais, le mot "livre", Buch ou boek dérive du mot hêtre, Buche ou beuk. En effet, les anciens germains gravaient des signes sur des planches de bois bien avant l'invention du papier (p. 139). En français et dans les langues latines, le mot "livre" réfère au "liber", la couche située entre le bois et l'écorce. Pensons également à l'affectueux "bouquin"…

 

Consommer moins de bois

 

Le rejet croissant des matières plastiques polluantes nous conduit à favoriser les emballages en papier, fabriqués à base de bois. Le bois est considéré comme une matière première écologique pour deux raisons: son caractère renouvelable – "là où un arbre est abattu, il en pousse toujours un autre, à condition que leur terrain ne soit pas converti en surface agricole ou en cité" (p. 215)-, et le fait que son usage est considéré comme climatiquement neutre, puisque, en brûlant, "un arbre ne peut pas rejeter plus de CO2 qu'il n'en a retenu lors de sa croissance".

 

Mais ce raisonnement ne tient pas compte de l'ensemble des phénomènes. Les forêts intactes stockent "au moins deux fois plus de biomasse vivante que les forêts exploitées" (p.216). Lorsqu'on abat des arbres, on permet au soleil d'atteindre la terre et de réchauffer le sol, ce qui active la décomposition de l'humus par les champignons et les bactéries, entraînant la dispersion dans l'air du CO2 qu'il contenait.

 

L'alternative au plastique ne devrait pas être le papier, mais bien la réduction des emballages.

Promenons-nous dans les bois…

 

A peine le livre refermé, au premier rayon de soleil, je suis partie revisiter la forêt proche de mon domicile, au bord de la frontière linguistique. J'ai ressenti que par la grâce de ce livre, elle me touchait autrement.

 

Le magnifique "Dikke Beuk" un hêtre âgé de plus de deux siècles, m'a accompagné en pensée tout le reste de la journée. Fierté de l'administration forestière flamande, ces spécimens sont valorisés; dans une autre partie de la forêt, on peut également voir "Dikke Eik", "Gros chêne", encore plus vieux d'un siècle, mais dont une partie de l'écorce a été arrachée par la foudre.

 

Celui-là dispose même d'un sentier à son nom, qui y conduit. J'y ai entendu des visiteurs qui le croyaient malade à la suite de cette blessure; mais en été, quand on lève la tête et regarde son magnifique houppier bien vert, sans aucune branche dégarnie de feuilles, on constate qu'il ne dépérit pas du tout.

 

Un peu d'espoir dans ce monde de brutes…

 

 

 


Catherine Van Nypelseer

     
 

Biblio, sources...

(1) Forest Stewardship Council

(2) Program for the Endorsement of Forest Certification

 

 

(*) L'HOMME ET LA NATURE

Comment renouer ce lien secret

par Peter Wohlleben

(traduit de l'allemand par Lise Deschamps)

Editions Les Arènes

Mars 2020

282 p., 21,85 €

 
     

     
   
   


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